L’action de solidarité avec le personnel soignant de Gaza et du Liban organisée à l’hôpital Saint-Pierre le 22 novembre nous a permis d’entendre Ondine Dellicour, qui travaille pour le service de Santé mentale Ulysse, situé à Bruxelles, qui est spécialisé dans l’accompagnement psychologique de personnes exilées, plus spécifiquement celles en précarité de séjour et en souffrance. Nous reproduisons ici sa prise de parole.
“La majorité de nos patients sont en cours de demande de protection internationale ou se sont vu refuser cette protection et se retrouvent donc “sans-papiers”. Parmi nos patients, il y a toujours eu des personnes palestiniennes, majoritairement de jeunes hommes qui fuient des persécutions comme l’emprisonnement, les tortures, les crimes militaires, la ségrégation ethnique, l’oppression économique, sociale et politique systématique. Autant de violences qui peuvent laisser des séquelles, tant au niveau somatique que psychologique.
“Fin 2023 et début 2024, le nombre de demandes d’aide psychologique de personnes d’origine palestinienne dans notre service a fortement augmenté. Aussi, nous avons pu voir leur état de santé se dégrader de manière spectaculaire, une situation que nous n’avions jamais vécue auparavant, ce qui nous a poussé à prendre position en tant qu’institution de soin.
“D’abord, nous avons publié une lettre ouverte en novembre 2023 pour alerter les autorités de notre inquiétude quant à la détérioration flagrante de l’état psychologique des patients palestiniens. Nous disions alors que l’effroi et le désespoir engendrés par la situation de violence extrême à Gaza, cumulé à l’absence d’accueil et de protection en Belgique, ont des effets délétères graves sur la santé mentale des patients concernés.
“A l’époque déjà, nous mettions en avant la nécessité que des solutions soient urgemment mises en place aux niveaux de l’hébergement, de l’accompagnement psychosocial et du droit de séjour de ces personnes, condition sine qua non pour que nous puissions accomplir nos missions de soin.
“Quelques mois plus tard, face à l’absence de réaction des autorités compétentes, nous avons décidé de nous porter partie requérante dans une action collective en justice contre l’État belge concernant le délai de traitement des demandes de protection internationale des ressortissants palestiniens. L’argument juridique au centre de cette requête était de faire valoir l’état d’urgence pour justifier un traitement accéléré de ces demandes. La situation à Gaza est clairement connue du monde entier, pourquoi attendre?
“Le besoin de protection est flagrant ! Il faut que ça aille vite et que les Palestiniens qui ne sont pas encore reconnus réfugiés n’aient pas à attendre des mois, voire des années, comme c’est malheureusement le cas pour toute personne qui sollicite cette protection. Nous avons invoqué, avec les autres parties requérantes, à la fois la violence extrême et généralisée à Gaza et la situation de détresse extrême dans laquelle se trouvent les palestinien.nes présent.e.s ici, qui ont tous de la famille là-bas, et qui vivent une violence supplémentaire sans reconnaissance de leur statut de réfugié. Bien que les autorités judiciaires aient reconnu l’urgence de cet état, elles ne reconnaissent pas la nécessité d’une procédure accélérée.
“Nous avons été déçus, scandalisés même, par l’issue de cette action en justice, mais nous sommes convaincus de l’importance des actions collectives ! Même si nous n’avons pas gagné, cette action n’a pas été sans effets. Pour un service comme le nôtre, le fait de pouvoir participer à ce type d’action nous a permis de sortir de la sidération et de nous mobiliser avec d’autres! Ça permet aussi d’exercer une pression sur l’État et les autorités compétentes en leur rappelant qu’on est là, qu’on est plusieurs et qu’on ne les laissera pas faire n’importe quoi ! Enfin, après des mois de gel de traitement des dossiers palestiniens, nous constatons sur le terrain de nombreuses décisions de reconnaissance du statut de réfugié… Cette action collective y a peut-être joué un rôle, parmi un ensemble d’initiatives de solidarité et de pressions.
“Tout ça pour dire que la solidarité avec les soignants de Gaza et du Liban passe aussi par la qualité de l’accueil et des soins que nous pouvons offrir à leurs compatriotes qui se trouvent ici et à la pression que nous pouvons exercer ensemble sur nos pouvoirs publics pour que nous ayons les moyens de le faire !