Une nouvelle “normalité” est en train d’émerger aux États-Unis. Trump a été réélu en surfant sur l’image de “voix dissidente” alors qu’il ne défend qu’une version encore plus brutale de la même politique dominante. Son étroite relation avec le milliardaire Elon Musk a déjà donné naissance à un nouveau mot: broligarchie, en déclinaison de l’anglicisme “bromance”. Les marchés boursiers se sont félicités pour cette victoire électorale. Pas de quoi se réjouir, par contre, concernant la protection sociale ou le climat. Elon Musk veut tailler à la hache dans les dépenses publiques, ce que Trump accueille favorablement en parlant de “révolution”.
Par Geert Cool
Chez nous, cette nouvelle normalité brutale porte un nom : Arizona
La propagande arrogante de la droite tourne aussi à plein régime en Belgique. La politique du bouc émissaire s’installe durablement : on place tous les problèmes sur le dos des personnes immigrées, des malades ou encore des chômeur.se.s. Cibler les plus vulnérables est visiblement considéré comme plus “réaliste” qu’aller chercher les moyens nécessaires auprès de la classe dominante richissime.
Les victoires électorales du MR et de la N-VA ont boosté l’audace patronale. Les patrons n’attendent pas la formation d’un gouvernement fédéral Arizona pour passer à l’offensive. Par ailleurs, la répression contre les plus vulnérables s’accroît tandis que les possibilités de lutte collective contre les politiques antisociales sont déjà attaquées.
La super-note de De Wever va bien au-delà d’une offensive brutale contre nos salaires et nos conditions de travail. C’est une déclaration de guerre à l’ensemble de notre camp social. Y répondre par un rassemblement de Noël plutôt vague, à l’image de celui prévu pour le 13 décembre, ne répond pas à la gravité de la situation. Allons-nous vraiment hésiter à résister dans l’espoir d’éviter le pire ? Toute faiblesse de notre part ne fera qu’attiser l’agression patronale.
Nous ne comprenons absolument pas en quoi le fait de demander une contribution symbolique aux super-riches rendrait le projet de la coalition Arizona plus “équilibré”, parlons même pas de “social” et “juste”. Sur quelle planète vit donc Conner Rousseau, le président de Vooruit ? Toute l’idée selon laquelle il serait possible de limer les arêtes les plus vives de la future politique gouvernementale par la négociation est illusoire. Ramener les patrons à la raison par la consultation ? C’est tout autant irréaliste. La nouvelle normalité coupe l’herbe sous le pied du syndicalisme de concertation. Sur le terrain politique, la situation n’est pas différente. Même une petite participation du PTB à une majorité dominée par le PS à Mons a suffi pour que Belfius refuse d’accorder un crédit à la ville.
Organiser la colère de la base dans une lutte de masse est urgent. Notre force potentielle n’a de sens que si nous l’organisons et si nous nous engageons dans la lutte pour de nouvelles conquêtes sociales.
Le potentiel est là
Oui, on peut organiser une lutte et même obtenir des victoires de cette façon. Le mouvement à Gand contre une coalition locale avec la N-VA l’a montré. Après une semaine d’actions assez remarquables, Vooruit a dû “se faire une raison”. Il n’y aura pas de coalition avec la N-VA, mais cela ne veut évidemment pas dire que tout est joué d’avance. Avec Groen, ce ne sera pas nécessairement une coalition progressiste, du moins si l’on entend par là l’application d’une politique qui veut répondre aux urgents besoins sociaux en termes de logement, de services publics, de transports publics, de lutte contre la pauvreté, de conditions décentes pour le personnel communal… Mais sur base du combat mené au lendemain des élections, la vigilance sociale est stimulée. De nouvelles actions pourront plus rapidement être organisées. La lutte renforce notre camp social, c’est une évidence.
La très bonne manifestation des secteurs public et non marchand du 7 novembre l’a encore montré. Le personnel des soins, du secteur social, de l’enseignement et d’ailleurs s’est réuni dans un cortège trois fois plus grand que prévu. Après des années de manque de moyens et de respect, les nouvelles majorités nées des élections ne nous réservent qu’encore plus de misère. On serait furieux à moins ! Cette manifestation a clairement donné l’énergie et l’envie d’en faire plus. À quand une suite avec un plan de bataille en escalade ?
La manifestation contre la fermeture d’Audi le 16 septembre était, elle aussi, plus importante que prévu. Elle a donné un aperçu du potentiel de résistance existant. Et il y a bien sûr encore eu la manifestation historique contre le génocide à Gaza en octobre avec 70.000 manifestant.e.s à Bruxelles.
Pour une société socialiste démocratique
Les années de sous-financement pèsent de plus en plus lourd. Dans l’industrie, la récession menace des emplois auparavant considérés comme stables et bien payés. Des licenciements collectifs commencent aussi à frapper les autres secteurs. Un gouvernement de droite dirigé par De Wever et Bouchez voudra passer à la vitesse supérieure en s’attaquant à toutes les conquêtes sociales et en faisant obstruction à l’organisation de la résistance sociale. Les génocides et les guerres continuent, la crise climatique laisse envisager le pire. Pendant ce temps, le gouvernement wallon réduit de 18,6 millions d’euros les fonds destinés à la biodiversité.
Les défis sont d’une telle ampleur que beaucoup désespèrent en silence et ne voient pas comment un changement fondamental est encore possible. S’engager dans la lutte, cela permet de sortir de la résignation et de renforcer la solidarité. Il nous faut un plan de bataille en escalade, chaque action permet consciemment de construire l’élan vers la suivante. Il y a dix ans, c’est ainsi que le mouvement ouvrier a fait vaciller le gouvernement Michel – De Wever.
Il nous faut un changement fondamental et ambitieux, ce qui nécessite un programme et une lutte à la hauteur. Où en est le projet mobilisateur et enthousiasmant d’une autre société, une société socialiste, dans laquelle la classe travailleuse prendrait en main son propre destin ? Pourquoi laissons-nous les populistes de droite, les criminels climatiques et les autres membres de cette “broligarchie” décider de notre avenir ?
Musk parle de révolution alors qu’il s’agit de contre-révolution. Trump et consorts se posent en “anti-système” tout en léchant les bottes des milliardaires. Ils s’en tirent parce que la gauche et le mouvement syndical leur laissent occuper cet espace. Un étudiant en philosophie a écrit dans une colonne de De Standaard (19 novembre): “En Belgique aussi, la notion de révolution, de résistance anticapitaliste, a plutôt été reléguée à l’arrière-plan. On a l’impression que toute la gauche a répondu de manière claire à la fameuse question de Rosa Luxemburg : ‘réforme ou révolution ?’ La révolution s’est avérée trop ambitieuse”. Nous ne nous sentons pas personnellement visés, mais l’observation est juste. Le débat sur une société radicalement différente manque cruellement.
Dans les manifestations actuelles, la compréhension que tous les problèmes sont liés autour d’un même système se développe. Le cœur du problème, c’est le capitalisme, un système où les moyens de production sont détenus par le privé et donc orientés vers les intérêts des capitalistes et leur soif de profits. Nous défendons une rupture anticapitaliste et l’instauration d’une société socialiste démocratique où les besoins de la majorité de la population, y compris celui d’une planète vivable, sont au centre d’une planification démocratique rationnelle de l’économie.