Comment stopper Nétanyahou, l’architecte du génocide et son visage par excellence ? Au cours de sa longue carrière politique, celui-ci est systématiquement parvenu à rebondir quand il était acculé, généralement par une dangereuse fuite en avant qui l’a notamment conduit à installer l’extrême droite au pouvoir. La dynamique actuelle – en plus de la mort et de la destruction semée à Gaza, en Cisjordanie et au Liban – signifie l’appauvrissement de toute une couche de la population dans un pays plus théocratique, plus autoritaire et pris dans l’engrenage d’une guerre sans fin.
Il a fallu le traumatisme du 7 octobre et la guerre génocidaire pour mettre entre parenthèse les mobilisations de masse contre ce qui était vécu comme une tentative de “coup d’État judiciaire”, un projet de réforme prévoyant une diminution des prérogatives de la Cour suprême au profit du Parlement. L’autoritarisme, la corruption et la soif de pouvoir de Nétanyahou et sa coalition étaient mis à nu.
Mais au fur-et-à mesure du temps, une solide conviction a pris corps chez une majorité de la population israélienne : Nétanyahou a systématiquement et volontairement fait échouer les négociations visant à libérer les otages. Un cessez-le-feu avec un retrait des troupes israéliennes provoquerait la colère deux petits partis suprémacistes juifs (treize députés) dont l’appui lui est indispensable. Sa majorité volerait en éclat et il serait ensuite contraint de rendre des comptes par des poursuites judiciaires pour corruption ou ses responsabilités dans le massacre du 7 octobre.
Un journaliste américain, Gal Beckerman, a décrit l’humeur présente dans certains rassemblements des familles d’otage dans le magazine The Atlantic : “L’un des weekends où j’étais présent, l’un des slogans scandés par ces protestataires (…) qualifiait quiconque avait pris part aux opérations militaires à Gaza de “criminel de guerre”. Quand, le 1er septembre, la mort de six otages israéliens tués par le Hamas a été rendue publique, la foule descendue dans les rues constituait les plus grandes manifestations jamais organisées depuis la création de l’État israélien. Même si l’atmosphère y était très confuse, couper court à cette contestation par une nouvelle fuite en avant guerrière était l’une des motivations de l’attaque terroriste israélienne des 17 et 18 octobre – où des explosions simultanées d’appareils électroniques au Liban et en Syrie ont fait plus de 2.931 blessés et 37 morts – et des bombardements aveugles sur le Liban.
Polarisation et radicalisation
Ces diverses manœuvres tactiques cadrent dans une stratégie plus vaste d’un “grand Israël” selon lequel Dieu aurait donné toute la Palestine au peuple juif. Depuis le le 28 août, l’armée israélienne a lancé une vaste opération, sous couvert de “lutte antiterroriste”, qui a fait de la Cisjordanie une véritable zone de guerre et cible toute la population. Le journaliste israélien Gideon Levy explique : “Des dizaines de milliers d’hectares ont été expropriés et pillés au cours de ces derniers mois. Il ne reste pratiquement plus une colline en Cisjordanie sans un drapeau israélien ou un avant-poste qui deviendra un jour une ville”. Depuis des années, Israël prétend que son contrôle de la Cisjordanie est une occupation militaire temporaire dirigée par l’armée et non une annexion permanente civile, mais le ministre des Finances Bezalel Smotrich (extrême droite, dirigeant du Mafdal, le parti du sionisme religieux) a supervisé la création d’un organisme civil d’administration des colonies “doté d’une autorité étendue”.
La radicalisation des partisans du gouvernement s’est notamment exprimée, le 29 juillet, par la prise d’assaut de deux bases militaires israéliennes (Sde Teiman et de Beit Lid) par des centaines d’extrémistes religieux juifs, de jeunes colons et de partisans de Nétanyahou pour protester contre l’arrestation de neuf soldats réservistes accusés d’avoir violé un prisonnier palestinien arrêté à Gaza.
Un des enjeux pour faire face à cette radicalisation est la politisation du mouvement de libération des otages. Dans son article, Gal Beckerman relayait les propos d’un activiste israélien:“nous sommes plusieurs à littéralement supplier les dirigeants du mouvement de protestation d’expliquer au peuple israélien que le 7 octobre n’avait rien d’un accident, qu’il ne s’agissait pas d’un simple cafouillage. C’était le résultat inévitable de la stratégie de la droite. Et il est très facile de le montrer.” Mais les chefs de file de la contestation refusent de développer une argumentation politique et se limitent à entretenir l’animosité qui cible Nétanyahou, avec le risque que celle-ci soit instrumentalisée par des forces d’extrême droite encore plus enragées que lui.
Une société à l’unité de façade
La société israélienne n’est pas un bloc monolithique. Déjà avant le 7 octobre, plus du quart de la population vivait dans la pauvreté. Face aux difficultés économiques, Nétanyahou avait – là aussi – choisi la fuite en avant en encourageant depuis 20 ans une politique de consommation à crédit. “Beaucoup de familles ne peuvent plus rembourser leurs emprunts”, explique Jacques Bendelac, professeur émérite à l’Université hébraïque de Jérusalem. “Le pays est en train de s’enfoncer dans une récession qu’il n’a pas connue depuis vingt ans”, explique-t-il.
Tout cela est évidemment sans commune mesure avec les difficultés infernales, les destructions et la mort auxquelles sont confrontées les masses palestiniennes ou libanaises. Mais les contradictions à l’œuvre dans la société israélienne, tout particulièrement de classe, sont cruciales pour envisager la manière de frapper la machine de mort de l’État israélien en plein cœur. Cela n’implique pas pour autant de devoir attendre les développements qui y prennent place.
Des processus régionaux peuvent avoir un impact à l’intérieur des frontières israéliennes. Quand, en 2011, toute la région de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient avait connu une vague inédite de mobilisations massives à la suite des révolutions en Tunisie et en Egypte, Israël aussi avait connu un “mouvement des tentes” contre la précarité qui, à l’époque, représentait la mobilisation sociale de la plus grande ampleur depuis la création de l’Etat. Les raisons de la colère – la précarité d’existence et la répression – sont loin d’avoir disparu. À cela s’ajoute la sincère sympathie des masses de la région envers la cause palestinienne, alors que nombre de régimes autoritaires, au premier rang desquels l’Égypte et la Jordanie, font preuve d’une docilité complice et coupable face à Israël. Ce n’est que dans un nouvel embrasement révolutionnaire, qui portera cette fois-ci le combat jusqu’au cœur du système d’exploitation capitaliste, que réside la solution aux multiples questions nationales de cette région dessinée artificiellement par l’impérialisme occidental.