Des soins de santé accessibles et abordables? Impossible sans une expansion du secteur public
La centrale professionnelle de la FGTB ACOD-LRB (l’équivalent néerlandophone de la CGSP-ALR) de Flandre occidentale résiste aux attaques contre les soins de santé et le personnel de l’hôpital académique AZ Sint-Jan de Bruges (le plus grand de la province) avec une campagne exemplaire. Il s’agit du dernier hôpital public de Flandre occidentale. Nous nous sommes entretenus avec Stan Geernaert, président des jeunes de la LRB, militant de l’ACOD et employé au service des urgences de l’AZ Sint-Jan.
Propos recueillis par Andrej
Comment en est-on arrivé à ce que l’hôpital Sint-Jan soit le dernier hôpital public de la province?
“Le 1er novembre 2023, le dernier hôpital public d’Ostende a été privatisé. L’hôpital Henri Serruys d’Ostende s’est détaché de l’AZ Sint-Jan de Bruges et a fusionné avec l’AZ Damiaan pour former un grand hôpital ostendais.
“Depuis la privatisation de Serruys, la qualité des soins est sérieusement mise à mal. Le 18 avril, la VRT a publié un article dans lequel des témoins parlent d’une atmosphère toxique et d’une méfiance généralisée. De nombreux travailleurs sont déjà partis depuis la fusion et les réductions de personnel pour cause de maladie sont incalculables. La charge de travail a également augmenté de façon spectaculaire, les équipes sont trop petites et il n’y a presque plus de marge pour prendre congé ou pour remplacer un collègue malade.
“Récemment, une agence externe a effectué un audit du service des urgences de l’hôpital Damiaan, qui s’est avéré extrêmement critique. La qualité des soins et la sécurité des patients sont compromises. L’accent est mis sur l’accroissement du nombre de traitements, en y consacrant moins de temps, avec un financement reposant sur la performance et non sur la qualité des soins. L’audit dénonce aussi le chaos régnant et émet de sérieuses réserves quant à la direction du service d’urgence unifié. La direction fait la sourde oreille et le travail acharné du personnel n’est pas apprécié à sa juste valeur.”
Dans cette voie se dirige l’hôpital Sint-Jan?
“L‘an dernier, l’agitation régnait déjà au sein du conseil communal lorsque la question de la fusion et de la privatisation éventuelle de l’AZ Sint-Jan a été soulevée. La réponse du bourgmestre Dirk de Fauw (CD&V) illustrait la pression favorable à la privatisation au sein du pilier catholique.
“Un hôpital public unifié à Bruges est certainement possible et autorisé, mais nous continuerons à nous opposer à une privatisation. Nous refusons un scénario similaire, ou pire, à celui d’Ostende. C’est pourquoi nous avons lancé une campagne en faveur de soins publics conséquents pour toutes et tous, reposant sur le bien-être et non la recherche de profits !
“La campagne a été lancée par une grève à Bruges lors du 1er Mai. Le 3 juin, la FGTB a mené une action à l’AZ Sint-Jan, peu avant les élections du 9 juin et ce n’était pas un hasard. La Commission européenne veut que la Belgique économise 30 milliards d’euros et il est question d’en trouver une grande partie dans les soins de santé. 30 milliards d’euros, c’est trois fois le budget annuel des hôpitaux! Avec la droite, les soins de santé seront saignés. Avec une politique de gauche, nous irons chercher l’argent là où il est.”
Pourquoi les soins publics sont-ils si importants aujourd’hui ?
“Si on laisse faire le prochain gouvernement, la facture sera très salée pour tous les travailleurs, les chômeurs, les personnes handicapées et toutes les familles de notre pays. De nombreuses personnes reportent déjà des soins médicaux parce qu’elles craignent la facture. En 2023, elles seront 90.000! Les dépenses de santé absorbent une part importante du budget familial des personnes malades. Les maisons de repos sont quasiment inabordables (2.200€/mois en moyenne, hors médicaments) avec une pension moyenne de 1900€/mois. Les médecins généralistes sont débordés et ne savent plus s’occuper correctement des patients.
“Les mesures d’austérité encouragent la privatisation des soins de santé! Pourtant, un hôpital public est la meilleure garantie de soins abordables. La présence d’un hôpital public a un effet régulateur. S’il y a des soins publics à proximité, cela fera baisser tous les prix dans la région. Les soins privés sont aux mains d’entrepreneurs privés, de certaines grandes entreprises. Il s’agit là d’une grande différence dans l’approche des soins de santé. Il y a la logique du profit, qui prévaut principalement dans les établissements de santé privés. Mais il y a aussi la sécurité des patients et la qualité des soins. Ces éléments sont évidemment prioritaires dans les soins de santé publics.
“Lorsque nous parlons de sécurité des patients et de qualité des soins, nous constatons que dans certains centres publics, la dotation en personnel est supérieure à la norme d’environ 30%. Cela signifie qu’en plus de la norme de 100% fixée par l’INAMI, il y a 30% supplémentaires. Dans les maisons de repos qui dépendent des villes et des communes, les anciennes maisons de repos du CPAS, la dotation en personnel est supérieure à la norme d’environ 30%. Dans les maisons de repos qui dépendent d’une ASBL, où l’on se trouve déjà en présence d’acteurs privés, ce taux varie autour de 15%. Il ne s’agit là que du montant encore subventionné par le gouvernement. Dans les véritables acteurs privés, les organisations à but lucratif, il n’y a pas de personnel supérieur à la normale.
“La charge de travail dans une maison de repos ou un hôpital privé est donc beaucoup plus importante. Il y a beaucoup moins de marge pour les personnes qui abandonnent pour cause de maladie ou d’autres absences, comme les congés. Dans le secteur public, la marge est plus grande et il y a donc plus de mains au chevet des patients.
“Pour le personnel, il existe également des différences entre les secteurs public et privé. Cela dépend de votre statut et il y a des différences locales. Si un syndicat bien implanté fait son travail, les conditions que le personnel peut faire respecter collectivement sont meilleures.”
La campagne “Pas de profit, mais du bien-être” (Niet winst maar welzijn) vise à préserver le caractère public de l’hôpital Sint-Jan, mais appelle aussi plus largement à davantage de soins publics.
“Oui, c’est important que l’hôpital reste public pour des raisons d’accessibilité financière. Nous refusons la médecine de classe, où certaines personnes doivent faire une croix sur certains soins. Les soins doivent être accessibles et abordables. Cela exige de développer les soins publics.
“Les services publics sont le moteur de la société. La vie quotidienne ne peut se dérouler sans les efforts de ces milliers de personnes qui assurent les transports publics, l’éducation, les soins de santé, la culture et bien d’autres choses encore. Les collectivités locales jouent un rôle crucial car elles sont très proches des citoyens et sont actives dans nombre de ces domaines, tels que l’éducation et les soins. Les soins en particulier sont très importants, parce qu’une société qui ne se préoccupe pas des autres n’est pas une société.
“Les soins sont le ciment qui maintient tout ensemble. Si nous ne prenons pas soin des gens, il n’y aura pas assez de personnes ayant l’énergie et la force de faire leur travail quotidien. En ce sens, les soins relèvent de ce que l’on appelle le travail reproductif. C’est tout le travail qui assure la survie de notre société au quotidien.”
Comment gagner cette bataille ?
“Nous devons penser de manière beaucoup plus stratégique en tant que syndicat. Qui sont nos collaborateurs, quels sont nos objectifs et quelles ressources déployons-nous pour atteindre ces objectifs ? Notre objectif pour le secteur des soins de santé est très clair : préserver et développer les infrastructures et les équipements de soins de santé publics. Nous voulons une meilleure accessibilité et une augmentation de l’offre. Comment nous battre pour cela? Nous devons rallier l’opinion publique à notre cause, notamment par le biais de campagnes.
“La campagne “Pas de profit, mais du bien-être” a été lancée en Flandre occidentale, mais je pense qu’elle doit aller plus loin. La plupart des gens s’opposent à la commercialisation et à la privatisation des soins : il faut les impliquer dans notre lutte. Il faut redoubler d’efforts en matière de communication et de campagnes dans la société au sens large, dans l’espace public. Mais aussi sur le lieu de travail lui-même. C’est là que nous pouvons nous organiser au mieux contre les forces de la privatisation qui sont très puissantes, ne nous faisons pas d’illusions à ce sujet. D’où l’importance du syndicat.
“L’ACOD LRB a demandé une déclaration d’engagement aux députés et aux mandataires locaux en faveur d’un maximum d’efforts pour renforcer les soins publics et refuser leur privatisation ou leur marchandisation. Nous avons obtenu environ 270 signatures de toute la Flandre, de nombreuses villes centrales importantes, d’un certain nombre de personnalités de premier plan, des partis progressistes, mais aussi de milieux parfois inattendus, parfois d’autres partis, ainsi que de nombreuses personnes issues de listes locales qui ont soutenu cette proposition.
“Cela montre clairement qu’en tant que syndicat, nous sommes un facteur important dans ce combat. De nombreux décideurs politiques le reconnaissent en signant notre déclaration d’engagement. Mais nous devrons entrer en action. Nous avons besoin les uns des autres, des forces progressistes de ce pays, du côté politique, mais aussi de la société civile. Ensemble, nous nous battrons pour obtenir les services publics que nous méritons en tant que société.”