25 novembre: Journée internationale pour l’élimination de la violence basée sur le genre
Dimanche 24 novembre, 14h, Bruxelles, marche de la plateforme Mirabal, Place Poelaert
L’Etat turc a connu une nouvelle succession de mobilisations féministes à la suite, notamment, du féminicide de deux jeunes femmes le 4 octobre, assassinées par un homme proche de la sous-culture misogyne “incel” qui les harcellait depuis plusieurs années. Le pays compte plus d’un féminicide par jour selon les associations qui, faute de statistiques officielles, épluchent la presse et compilent les plaintes des familles. Pour les 9 premiers mois de cette année uniquement, elles recensent 297 féminicides avérés et 160 morts éminement suspectes, des femmes qui tombent de leur balcon par exemple.
Un des slogans de ces manifestations – “les féminicides sont politiques” – souligne la responsabilité de la politique dominante dans l’entretien du climat qui permet les abus. Erdogan et son gouvernement ont retiré le pays de la Convention d’Istanbul (un traité international consacré à l’élimination des violences envers les femmes), discutent du remaniement de la seule loi protégeant les femmes contre les violences (la loi 6284), glorifient la famille (où se commettent la majorité des violences) au détriment des femmes…
Erdogan est connu pour des déclarations telles que “Je m’oppose aux naissances par césarienne et aux avortements, et je sais que c’est pratiqué à dessein. Ce sont des mesures destinées à empêcher la population de ce pays de s’accroître. Je vois l’avortement comme un meurtre.” Mais face à la colère de la rue, il a bien dû réagir, en ne parlant toutefois que du durcissement des mesures de détention. Les activistes ont directement réagi en avertissant que celles-ci renforceront l’autoritarisme du régime et non les droits des femmes.“Comment ne pas se dire que ces règles seront appliquées non pas aux meurtriers, mais aux journalistes, non pas aux voleurs, mais à ceux qui expriment leurs opinions, non pas aux harceleurs, mais à ceux qui agissent contre eux ?”, soulignait un journaliste.(1)
Un phénomène systémique
Au même moment, c’est la Côte d’Ivoire qui était sous le choc d’un nouveau féminicide dans la capitale. La Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes (LIDF) tire la sonnette d’alarme concernant la recrudescence de violences sexistes et sexuelles ces dernières années. Pour Annick Gnazalé (de l’université Alassane Ouattara) : “Les femmes s’insurgent contre l’hégémonie du patriarcat. Elles revendiquent plus de droits, elles revendiquent leur indépendance, même quand elles sont en couple. Et face à ce changement social, la violence sonne comme un rappel à l’ordre. (…) Les femmes n’acceptent plus d’être des victimes passives. Elles osent revendiquer leur liberté. Et cette nouvelle manière d’agir suscite, dans certains cas, de vives réactions chez leurs conjoints, pouvant aboutir au féminicide.’’(2)
La Belgique, de son côté, est signataire depuis 2016 de la Convention d’Istanbul, mais notre pays ne respecte toujours pas le traité qui le contraint à collecter des données statistiques sur les violences basées sur le genre. Nous dépendons toujours pour cela des articles de presse regroupés sur le blog Stop Féminicide, qui recense depuis 2019 entre 24 et 27 féminicides chaque année. Depuis l’été 2023, la Belgique est toutefois devenue l’un des trois pays en Europe, avec Chypre et Malte, à adopter une loi reconnaissant officiellement le féminicide. “C’est une loi-cadre, pas très bien financée, qui répond à la nécessité de faire des statistiques, mais qui est très maigre sur le plan de la prévention et quasiment nulle sur la question de la prévention primaire (prévention qui vise à réduire autant que possible le risque d’apparition de violence, à défaut de supprimer totalement le risque de danger, notamment via l’éducation permanente, NDLR)”, argumente l’ancienne présidente du Conseil des Femmes francophones de Belgique Sylvie Lausberg. “La loi ne vise pas la modification des mentalités, donc on ne s’attaque pas à la cause du problème. Le féminicide est l’aboutissement d’un continuum de violences.”
L’historienne Christelle Taraud, qui a réuni dans un récent ouvrage de multiples contributions de spécialistes sur la question (“Féminicides. Une histoire mondiale”, paru en 2022 aux éditions La Découverte), le souligne également : “On doit reconnaître qu’il s’agit d’un crime systémique et que nos sociétés sont construites d’une telle manière qu’elles produisent les crimes. Ça traverse toutes les couleurs de peau et toutes les confessions religieuses, c’est donc une pandémie mondiale et un phénomène planétaire.”
Selon l’ONU Femmes, en 2022, environ 48.800 femmes et filles dans le monde ont été tuées par leur partenaire intime ou d’autres membres de leur famille. Cela signifie qu’en moyenne, plus de cinq femmes ou filles sont tuées toutes les heures par un membre de leur propre famille. Le foyer, que l’on devrait considérer comme un espace de sécurité, est potentiellement le premier espace dans lequel une femme ou un enfant va connaitre ses premières violences dès le plus jeune âge. En France, l’inceste continue de détruire des vies. Chaque année, environ 160.000 enfants sont agressés sexuellement… souvent par un membre de leur famille. Le dernier sondage réalisé par IPSOS illustre un constat glaçant : un.e Français.e sur dix confie avoir été victime d’inceste.
Combattre partout le continuum de violences sexistes et sexuelles
En Belgique, en 2023, plus de 11.000 plaintes pour viol ont été déposées, soit une moyenne de 30 par jour. Ce chiffre ne représente qu’une fraction des violences, car 82 % des agressions sexuelles ne sont pas signalées selon le Moniteur de sécurité. Comment s’en étonner ? Lorsqu’une victime porte plainte, le calvaire se prolonge : le personnel médical comme celui de la police n’est pas suffisamment formé pour les accompagner et celles-ci ne sont pas toujours prises au sérieux. Beaucoup de plaintes sont classées sans suite et même lorsque ce n’est pas le cas, les condamnations donnent envie de hurler.
En juin dernier, la cour d’appel d’Anvers a confirmé la culpabilité d’un gynécologue de 60 ans de Turnhout pour l’agression et le viol de six patientes. Il a été condamné à quatre ans de prison, entièrement avec sursis, c’est-à-dire la peine ne sera pas mise en exécution. En septembre, de la prison ferme a été infligée à deux militantes écologistes qui avaient jeté de la soupe sur un tableau (protégé par une vitre) de Van Gogh. Quel que soit le pays, la logique est la même : la possession de bien est mieux protégée par la justice que l’intégrité des personnes, tout particulièrement des femmes. Un système de justice de classe implique inévitablement une justice sexiste.
Le manque de moyens est criant à tous niveaux. Entre octobre 2017 et décembre 2023, 12.456 victimes de viol ont poussé la porte d’un centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS). Pour l’année 2023, une hausse de 28 % de victimes prises en charge a été constatée par rapport à 2022. Une augmentation principalement due à l’ouverture de nouveaux centres (il y en a 13 actuellement) ainsi qu’à une meilleure communication autour de l’existence de ces structures. Alors qu’il en faudrait beaucoup plus, un à chaque campus au minimum, le financement adéquat de ces structures ne paraît pas garanti avec des autorités publiques dirigées par la N-VA et le MR. Les partis qui négocient pour le moment la coalition fédérale Arizona ne laissent aucun doute le sujet : ils ont fait bloc en septembre pour repousser une proposition de loi visant à étendre à 18 semaines le délai au cours duquel on peut procéder à une IVG (interruption volontaire de grossesse).
En France, la Fondation des Femmes estime à 2,6 milliards d’euros par an le budget minimum que l’État devrait consacrer à la protection des victimes de violences conjugales, sexistes et sexuelles (contre 184,4 millions en 2023). Le calcul d’un pareil programme, à partir des besoins à combler, serait un grand pas en avant pour donner des objectifs clairs à la lutte en Belgique. Cela concerne les services d’aide aux victimes et les refuges bien entendu, avec également de l’espace pour les enfants, mais aussi la garantie d’accès à des logements sociaux pour permettre aux personnes en situation de dépendance économique et/ou de danger de ne pas devoir être sur liste d’attente avant d’être en sécurité. Du côté francophone, un pas important en avant a été posé avec les cours d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS), mais ils sont dramatiquement insuffisants.
C’est tout le système qui est coupable : renversons-le
Le procès des viols de Mazan démontre une fois de plus à quel point toute cette société est imprégnée de la culture du viol et des violences reposant sur le genre. “La honte doit changer de camp” a déclaré Gisèle Pélicot en refusant le huis clos et en témoignant publiquement au procès de ses 51 violeurs. Ce courage inspirant marquera les combats de 25 novembre et ceux à venir. Plus de 50 ans avant elle, Simone de Beauvoir récusait par la phrase devenue slogan “On ne naît pas femme : on le devient” qu’aucun être humain n’avait à être soumis à un quelconque destin préétabli au nom d’une “nature féminine”. “On fabrique la féminité comme on fabrique d’ailleurs la masculinité, la virilité”, disait-elle. Ces constructions sociales et toute la violence qui en découle ne peuvent être radicalement affrontée qu’en changeant totalement de système, d’un système reposant sur les inégalités, les oppressions et l’exploitation vers un système dans lequel toute l’étendue des richesses et des connaissances sera utilisée pour assurer l’épanouissement de chacun.e. Cette société de la coopération et de l’empathie, c’est selon nous ce qui est au cœur du combat féministe socialiste et de la construction d’une société socialiste démocratique.
- “La Turquie bouleversée par un double féminicide”, Marie-Pierre Vérot, publié sur francetvinfo.fr le 12 octobre 2024.
- « 416 féminicides dans la seule ville d’Abidjan », la hausse inquiète la Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes, Ousmane Badiane, publié le 2 octobre 2024 sur bbc.com.