Le 23 octobre uniquement, au moins 558 personnes libanaises ont été tuées par des attaques israéliennes, dont 50 enfants. Plus de 1.800 personnes étaient également blessées. Il s’agissait de la journée la plus meurtrière que le Liban ait connue depuis la fin de la guerre civile en 1990. Depuis son attaque terroriste de masse à l’aide d’engins explosifs dissimulés dans des milliers de bipeurs à travers le Liban les 17 et 18 septembre, Israël ne fait qu’augmenter le niveau de violence. Des dizaines d’immeubles de Beyrouth, la capitale, ont été complètement rasés, sans la moindre sommation, avec un déluge de morts. En date du 24 octobre, les rapports font état d’au moins 2.600 personnes mortes et de millions de déplacées.
Par Ammar (Bruxelles), article tiré de l’édition de novembre de Lutte Socialiste
Depuis plus d’un an maintenant l’Etat Israël assassine impunément des centaines de milliers de personnes. A Gaza, le nombre de personnes directement tuées est d’au moins 45.000 personnes et il faudrait encore y ajouer environ 200.000 personnes décédées “indirectement” des suites de la destruction de toutes les infrastructures de soin et de logement tandis que l’aide humanitaire est bloquée. Il s’agit de près de 10% de la population gazaouie, et l’estimation est encore prudente.
Ce génocide puise ses origines avant même la création de l’État d’Israël en 1948, dans la politique de “diviser pour régner” de l’impérialisme britannique à l’époque de la Palestine sous mandat britannique, à la suite de l’effondrement de l’empire ottoman. Pour tenter de garder leur contrôle de ce découpage arbitraire, les peuples, notamment juifs et arabes, ont été montés les uns contre les autres, à l’image de l’Inde où les Hindouistes ont été opposés aux Musulmans.
C’est sur cette même logique que l’État libanais indépendant a été créé et reconnu en 1943, sur une base confessionnelle et sectaires très strictes. C’est ainsi que depuis lors, à la suite du mandat français, le Liban a fonctionné sur base d’un système politique semi féodal reposant sur l’institutionnalisation des divisions confessionnelles essentiellement entre chiites, maronites et sunnites, au parlement comme dans tous les aspects de la vie politique du pays. Ce système avait pour but de figer la domination de l’élite chrétienne maronite sur le pays.
A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les élites, principalement maronites et sunnites, se sont fortement enrichies en développant principalement un système bancaire qui est parvenu à attirer des placements venant de toute la région dans ce nouveau paradis fiscal. On parlait à l’époque de la “Suisse du Moyen Orient”.
Ce système économique et politique n’a fait qu’accentuer les inégalités au cours des décennies, et a créé un État libanais complètement gangréné par la corruption et dépourvu de tout moyen financier entraînant une absence quasi complète de services publics dans le pays. Cette situation de crise sociale et politique amplifiée par une question nationale complexe, avec notamment environ 140.000 réfugié.e.s de Palestine arrivé.e.s au Liban dans le sillage de la guerre israélo-arabe de 1948, a conduit à une guerre civile entre 1975 et 1990 et, déjà, une intervention militaire israélienne meurtrière sur le sol libanais en 1982, suivie d’une occupation jusqu’en 2000.
Corruption, crise financière et sous-développement de l’infrastructure
La fin de la guerre civile n’a pas pour autant supprimé la misère. En 2019-2021, le pays a connu une série de mobilisations de masse – par-delà les frontières confessionnelles – à la suite d’une profonde crise financière, avec l’élément déclencheur d’un paquet de mesures d’austérité sans précédent et sous l’inspiration du Hirak algérien (mouvement de masse opposé à un cinquième mandat du président Bouteflika).
En août 2020, deux explosions ont frappé le port de Beyrouth, une des plus graves explosions non nucléaires de l’histoire, qui a causé 235 mort.e.s, 6.500 blessé.e.s et 300.000 personnes sans abri. Plusieurs manifestations ont à nouveau exigé la démission du gouvernement et dénoncé la corruption généralisée de la caste politique. Durant la pandémie, quand un confinement national a été décrété alors que la faim, l’inflation et le chômage augmentaient, la police a tiré à balles réelles sur la foule de manifestant.e.s.
Les inégalités dans le pays sont telles que les 1 % les plus riches, soit 42.000 personnes, possèdent 58 % de la richesse de l’ensemble de la population. La corruption des élites politiques des différentes communautés du pays n’a laissé aucun moyen dans les caisses de l’État pour la création de services publics viables. Dans la période à venir, un grand nombre de décès indirects de cette guerre seront dus à l’inaction de partis libanais corrompus depuis des décennies pour développer les infrastructures et les services à la population.
La situation était déjà désastreuse au Liban avant cette attaque unilatérale qui vise principalement les régions où la majorité de la population est musulmane chiite, base confessionnelle du Hezbollah : au sud du Liban (où sont principalement aussi les camps historiques de réfugié.es palestinien.ne.s), dans la banlieue sud de Beyrouth, et dans la plaine de la Bekaa (dans l’Est du pays). Il est important de souligner que la population chiite est historiquement celle dont les couches larges sont parmi les plus pauvres du pays, par opposition aux populations chrétiennes du centre et du nord du pays. Même si cela n’empêche pas Israël de bombarder des zones à majorité chrétienne ou sunnite, telles que Tripoli ; où le Hezbollah ne dispose d’aucune implantation.
Les ambitions coloniales des couches les plus réactionnaires de la politique israélienne débordent largement de Gaza, c’est l’ensemble de la sous-région qui est concernée, ce qui permet aussi de comprendre les frappes israéliennes en Syrie et l’invasion terrestre au Liban.
Oui à la résistance, non à l’islamisme
Sur qui peut-on se reposer ? Israël ne pourrait continuer ses exactions sans le soutien actif de la “communauté internationale”, c’est-à-dire des puissances impérialistes occidentales. Le double standard entre les sanctions appliquées à la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine et le soutien militaire et financier à Israël saute aux yeux. Israël est la tête de pont par excellence de l’impérialisme occidental dans la région, elle continuera à bénéficier de ce soutien, peu importent les résolutions de l’ONU ou les condamnations de la Cour pénale internationale.
Dans la région, la république islamique d’Iran est aujourd’hui la plus grande menace militaire vis-à-vis d’Israël. Elle soutient financièrement et logistiquement le Hezbollah, et aussi le Hamas, et est la seule force militaire dans la région capable de représenter une menace pour le régime sioniste.
Les peuples palestiniens et libanais ont évidemment le droit aujourd’hui de résister contre l’envahisseur, y compris de façon armée. Nous refusons de renvoyer simplement dos à dos Israël et le Hezbollah ou le Hamas. Mais nous estimons toutefois essentiel de rappeler que remplacer un régime réactionnaire par un autre n’est pas la solution pour la libération et l’émancipation de toustes les habitant.e.s de la région. Si nous nous opposons résolument à l’offensive génocidaire israélienne et à sa politique coloniale, nous saluons aussi le courage et la détermination des femmes iraniennes et du soulèvement de masse “Femme, Vie, Liberté” déclenché par la colère suite de l’horrible assassinat de Mahsa Jîna Amini en 2022 par le régime misogyne iranien.
Au Liban, le Hezbollah a lui aussi montré son vrai visage ces dernières années. Malgré sa capacité relative à unifier des couches issues de différentes confessions lors du conflit israélo-libanais de 2006, le Hezbollah a par la suite lui-même profité du système de corruption libanais, à l’image des autres forces politiques du pays, sur des bases confessionnelles sectaires et tout particulièrement depuis qu’il est devenu la force politique la plus influente au Liban.
Le Hezbollah a même fait usage de son autorité et de la force pour freiner la révolution d’octobre durant l’automne 2019, en qualifiant la jeunesse révoltée de “traitre à la solde de l’Occident” et en attaquant physiquement les rassemblements contestataires. A l’époque, les revendications du mouvement, initialement économiques et opposées à la corruption de l’ensemble de l’élite politique, se sont transformées en revendications sociales pour réclamer un changement de société. Ainsi durant des mois, la Thawra (Révolution en arabe) a dépassé les frontières confessionnelles et a posé les germes d’une alternative à l’État libanais défaillant. Des assemblées générales ; des comités de quartier ; des groupes de solidarité financière, médicale et juridique ont vu le jour pour assister les occupations de places et des grèves générales. Malheureusement, la pression de partis tels que le Hezbollah, l’absence de coordination claire et de perspectives ainsi que la pandémie de covid ont eu raison du mouvement. Mais les causes sociales et économiques qui lui ont donné naissance n’ont pas disparu.
Au même moment, en 2019-2020, des mobilisations anti-gouvernementales déferlaient sur l’Irak, là aussi par-delà les frontières confessionnelles, de même que sur l’Iran. C’est dans ce type de mobilisations populaires de masse et dans l’exploitation de leur potentiel révolutionnaire qu’une issue peut être trouvée. Nous soutenons la résistance, y compris de manière armée, mais pas sur des bases confessionnelles et antisémites, tels que le fait le Hezbollah, mais sur des bases anticoloniales et révolutionnaires. Cela pourrait trouver un écho dans toute la région, jusque parmi les masses pauvres israéliennes. La résistance contre l’impérialisme, ou qu’il soit, est plus puissante si elle repose sur l’unité dans la lutte de toutes les couches exploitées et opprimées, au-delà des différences confessionnelles et nationales, et surtout organisée de manière démocratique. Cette résistance doit prendre différentes formes, y compris de manière armée, mais elle doit surtout reposer sur l’action des masses qui lutte non seulement contre les colonisateurs mais aussi contre le capitalisme et les gouvernements dont le pouvoir repose sur ce système.