Ces dernières années ont été rudes pour les communes avec la crise Covid, la crise inflationniste ou encore les inondations meurtrières de juillet 2021. En Wallonie et à Bruxelles, celles-ci ont toutefois continué d’investir (3,2 milliards d’euros en six ans, soit deux fois plus que sous la précédente législature) dans les voiries ainsi que la modernisation et la rénovation énergétique des bâtiments essentiellement. Face à ce qui s’impose après des décennies de sous-investissement, il en faudra encore bien plus.
Par Nicolas Croes, article tiré de l’édition d’octobre de Lutte Socialiste
Résistance ou résignation ?
En Wallonie, sans le soutien financier de la Région, il serait en réalité question d’un déficit de 467 millions d’euros pour l’année 2024 uniquement. Quelle attitude adoptera le gouvernement wallon MR-Engagés ? Une de ses premières décisions a été d’enterrer l’extension du tram de Liège vers Herstal et Seraing, deux communes populaires qui en ont pourtant bien besoin. Mais ce n’est pas là que le MR et Les Engagés vont à la pêche aux voix. Nous avons besoin d’investissements historiques dans la mobilité douce ainsi que dans l’adaptation aux conséquences du dérèglement climatique et la protection de la population. Pour toute la population, pas seulement celle des communes riches.
Et puis il y a la fameuse « bombe des pensions », celles des fonctionnaires communaux statutaires. Les pouvoirs locaux sont les seules instances publiques à devoir assumer intégralement le financement des pensions de leur personnel. Mais puisqu’on a partout stoppé l’engagement de personnel statutaire, car les contractuels reviennent moins chers, le fonds des pensions des statutaires n’a pas été alimenté correctement. « Nous ne sommes qu’au début du problème et les perspectives s’annoncent inquiétantes », avertissait en juin dernier Arnaud Dessoy, expert en matière de finances locales chez Belfius, le principal créancier des communes.
Aujourd’hui, 11 communes bruxelloises sur 19 connaissent un plan de redressement financier du Fonds régional bruxellois de refinancement des trésoreries communales (FRBRTC), contre 8 il y a dix ans. En Wallonie, 114 communes wallonnes ont bénéficié d’un crédit extraordinaire du CRAC (Centre régional d’Aide aux Communes) depuis 2004, pour un montant cumulé de près de 2,5 milliards d’euros. Il y en a 47 qui ont pu rembourser leur dû. Il reste donc 67 communes sous tutelle financière du CRAC.
Georges-Louis Bouchez, Maxime Prévot et leurs amis prévoient d’y ajouter encore le poids de la limitation dans le temps des allocations de chômage, qui pousserait 90.000 personnes vers les CPAS à travers le pays selon la FGTB. À charge des communes, donc.
Il n’y a pas 10.000 solutions : soit aller chercher des fonds à un autre niveau de pouvoir et réviser le paiement de la dette des communes, soit augmenter fortement les impôts locaux et réduire sauvagement le service à la population.
Liège et la crise de la dette
La question n’est pas neuve et un retour sur la situation à Liège dans les années ’80 est riche d’enseignements.(1) Une grave crise de la dette a éclaté à Liège en 1982. Elle provient en premier lieu de la reconstruction de l’après-guerre : de 1945 à 1964, la dette a été multipliée par 8. Pour aider les communes à se reconstruire, le gouvernement aurait pu aller chercher les fonds nécessaires auprès du capital des entreprises, des holdings, des banques et des gros patrimoines. Il a préféré modifier la législation fiscale en leur faveur. Ça vous rappelle quelque chose ? Du coup, les communes sont devenues les proies des banques et des créanciers.
Au début de la décennie 1980, les taux d’intérêt ont atteint des niveaux historiques partout dans le monde. Cela a mis sous pression tous les problèmes existants, déjà sérieusement aggravés par la crise économique des années ‘70. En 1983, Liège payait 20 millions de Francs belges (500.000 euros, sans tenir compte de l’inflation) d’intérêts sur sa dette par jour ! Mais la crise y a éclaté un an plus tôt, en 1982, alors que la dette de la Ville s’élevait à 45 milliards de FB (1,12 milliard d’euros).
En mars, le gouvernement de droite bloque les ressources de la Ville en les conditionnant à un plan d’assainissement drastique. En avril, la Ville se déclare en cessation de paiement et ne verse les salaires que partiellement ou avec de nombreuses semaines de retard. En juin, un rapport réalisé à la demande de la CGSP souligne le poids monumental du remboursement de la dette : 36% du total des dépenses communales et dénonce les emprunts aux taux d’intérêt qui ont atteint jusqu’à 22,5% au profit du Crédit communal et de quelques banques privées.
Une lutte prolongée s’engage alors, avec diverses grèves d’avril ‘82 à juillet ‘83. Dans certains secteurs, la grève dure plusieurs semaines. Les pompiers entrent en grève de la faim et sont rejoints par d’autres. Des actions de blocage ciblent les principales entrées de la ville. L’hôtel de ville est encerclé d’immondices.
La colère débouche sur l’impasse
En octobre ‘82, ce sont les élections communales. À Liège, elles donnent une large victoire d’une part au cartel PS – Rassemblement Wallon – Rassemblement Populaire Wallon et d’autre part à Ecolo. La nouvelle majorité promettait dans son accord électoral de s’appuyer sur les fortes mobilisations de l’époque pour décréter un moratoire sur le remboursement de la dette et imposer aux banques une forte réduction de celle-ci. Et puis ? Et puis plus rien.
Les promesses creuses des sommets du PS – qui n’a jamais envisagé de mener la lutte de façon conséquente contrairement à sa base – ont désorienté et désorganisé le mouvement. En juillet 1983, la majorité décide d’un premier plan d’austérité. Qui sera suivi d’autres en ‘85 et ’89. Le temps de travail hebdomadaire augmente de 2h, les salaires sont réduits de 15 à 30% et l’emploi est raboté de 33% en ‘83 à 45% en ‘93. Plusieurs services sont fermés, y compris dans les hôpitaux, tandis que d’autres sont privatisés, comme le traitement des déchets. En 2008, la charge de la dette pesait encore 28% dans les dépenses de la ville.
Consolider la combattivité avec une stratégie et un programme
Ce n’était pas une fatalité. La colère et les luttes ne manquaient pas. Les difficultés de la Ville de Liège étaient le miroir de la situation dans de nombreuses villes et communes. D’autre part, les sidérurgistes sont rentrés en lutte contre les pertes d’emploi. En septembre 1983 a eu lieu la plus importante grève des services publics depuis la grève générale de 60-61. Les attaques pleuvaient contre la population de la part des gouvernements de droite (sauts d’index, augmentation d’impôt, etc.). Le 31 mai 1986, pas moins de 200.000 personnes ont manifesté à Bruxelles contre la casse sociale.
Les nombreux lutte des travailleur.euse.s de l’époque n’ont pas manqué de combativité, mais il leur aurait fallu une meilleure organisation à la base, en tissant des liens entre les divers groupes d’actions, syndicaux ou non. Une majorité communale de gauche conséquente aurait pu prendre la tête d’une résistance de masse en faveur d’une politique adossée sur les nécessités sociales et non sur les intérêts des actionnaires des banques. Le point de départ aurait été le refus du paiement de la dette publique et d’entrer en lutte contre le gouvernement social-chrétien / libéral pour arracher les moyens nécessaire. Le sommet du PS y était totalement opposé : le président du parti et bourgmestre de Flémalle André Cools a par exemple systématiquement présenté le personnel communal comme des privilégié.e.s.
“Better to break the law, than break the poor”
Une approche combattive de cette nature aurait signifier de premièrement voter un budget déficitaire pour dépasser la camisole de force budgétaire. A droite, on rétorquera que la loi ne le permet pas. À gauche, on ripostera en disant qu’il « vaut mieux briser la loi que briser les pauvres », en reprenant la fameuse maxime des 47 conseillers communaux de Liverpool dans les années ’80. Entre 1983 et 1987, Liverpool fut une vibrante illustration de ce qui est permis par une lutte de classe menée de façon conséquente.
La situation ressemblait énormément à ce qui est expliqué plus haut, avec des autorités locales étouffées par les autorités supérieures. Et dans ce cas-là, on parle de Thatcher, la Dame de fer. Mais à Liverpool, le programme, la stratégie et les tactiques qui ont prévalu dans le combat du conseil municipal travailliste (l’équivalent du PS) étaient essentiellement déterminées par le groupe Militant, l’aile marxiste du parti. Des promesses avaient été faites, qui allaient être imposées par la lutte : plus de logements sociaux ont été construits à Liverpool à cette époque que dans toutes les autres municipalités du pays réunies !
Pour faire face aux défis à venir, notre camp social devra étudier avec attention de pareilles sources d’inspiration, à l’instar de la riche histoire des grèves générales en Belgique ou encore de celle des occupations d’usine et des grèves spontanées, décidées et organisées par la base syndicale elle-même.
- Nous conseillons d’ailleurs la lecture de l’excellent dossier du collectif ACiDe liégeois (Audit citoyen de la dette) « Aux origines de la dette de la ville de Liège » disponible sur le site du Comité pour l’annulation des dettes illégitimes, cadtm.org.