La classe travailleuse et la jeunesse ont besoin de leur propre instrument politique
A nouveau, l’élection présidentielle américaine de novembre 2024 prend place dans un système politique plongé dans une crise turbulente. Donald Trump affrontera Kamala Harris, deux candidats qui défendent des intérêts opposés à ceux de la classe travailleuse. Tous deux soutiennent par exemple le génocide en cours à Gaza. Les travailleur.euses et la jeunesse ont besoin de leur propre organisation politique, indépendante de la classe des milliardaires, pour combattre l’impérialisme, l’extrême droite et toute la violence du système capitaliste.
Par Evan Palmer
Comment expliquer la popularité de Trump ?
La popularité persistante de Trump après son premier mandat désastreux est étonnante. Il s’est complètement fourvoyé dans la crise du Covid-19, il a lancé une attaque après l’autre contre les personnes opprimées et s’est moqué de la crise climatique tout en accordant d’importantes réductions d’impôts aux milliardaires.
L’attrait d’un personnage comme Trump s’inscrit dans le cadre de la crise de l’establishment capitaliste, une crise qui n’est pas circonscrite aux États-Unis. Le discours populiste de droite parvient à capter une large audience, car les gens sont avides de se débarrasser de l’état actuel des choses. Et la droite offre des réponses faciles. C’est ce qui a servi de tremplin à Trump pour accéder au pouvoir. Ses promesses d’un changement et son statut “d’outsider” (bien qu’il soit lui-même milliardaire) ont séduit de nombreux.ses travailleur.euses et propriétaires de petites entreprises qui en ont assez de subir la politique dominante, qu’elle soit menée par la vieille garde des Républicains ou par les Démocrates.
Mais au cours des quatre années au pouvoir, Trump a suivi une politique de droite somme toute assez classique, ce qui lui a rendu plus difficile de cultiver son image de “rebelle”. Cela explique pourquoi il a instrumentalisé le racisme et s’en est pris aux personnes opprimées. Pour mobiliser sa base, Trump mise beaucoup sur ses promesses de déportations massives de personnes migrantes.
La crise politique de l’establishment capitaliste a été exacerbée par l’impasse dans laquelle s’est retrouvé le Parti démocrate. La présidence de Joe Biden fut un cauchemar pour la classe travailleuse. Les quatre dernières années ont été marquées par l’inflation, l’érosion de la protection sociale mise en place lors de la pandémie et par le financement public toujours plus important de la guerre en Ukraine et du génocide à Gaza.
Les démocrates se sont peut-être sauvés de justesse en choisissant la vice-présidente Kamala Harris comme candidate au lieu du calamiteux Biden. Mais c’était en désespoir de cause. Le déplorable état de santé physique et mental de Joe Biden était évident. Mais le plus gros problème, est celui de la politique menée par son administration. Celle-ci n’a respecté aucune de ses promesses : protection des droits liés à l’avortement, droits des personnes transgenres, crise climatique, pouvoir d’achat et meilleur salaire minimum plus élevé, etc. tous ces problèmes cruciaux sont restés sans réponse.
Ajoutons à ce triste bilan l’absence d’une alternative de gauche et l’on comprend que la porte est grande ouverte pour les populistes de droite qui peuvent cyniquement prétendre défendre la classe travailleuse tout en faisant des personnes migrantes le bouc émissaire de tous les problèmes du moment.
Le fait que le parti démocrate ait eu tant de mal à trouver un candidat viable et que le Parti républicain ait complètement glissé vers le populisme de droite est l’expression de la crise profonde du système politique. Cette crise découle de la crise accélérée du capitalisme dans une ère du désordre, faite de conflits inter-impérialistes et d’une insatisfaction sociale de masse qui conduit régulièrement à de grands mouvements de lutte. Les capitalistes sont à la recherche de nouvelles manières de gérer leur système, mais ils n’ont pas encore trouvé d’option qui garantisse une stabilité. La confiance dans l’establishment capitaliste classique étant extrêmement faible, certain.e.s se réjouissent même d’une forme plus autoritaire de capitalisme. Trump et ses amis milliardaires, comme Elon Musk, sont sans aucun doute très ouverts à cette idée.
Kamala Harris, un moindre mal ?
Le remplacement de Joe Biden par une candidate plus jeune et plus populaire a quelque peu relancé les chances de victoire des démocrates. La campagne de Kamala Harris et de son colistier Tim Walz joue sur les craintes légitimes d’un retour de Trump sous stéroïdes, car les Républicains sont aujourd’hui beaucoup plus ancrés dans le populisme de droite qu’à l’époque de sa présidence.
Kamala Harris est généralement considérée comme une meilleure alternative à la fois à Trump et à Biden, ce qu’illustrent les sondages ou encore le nombre de volontaires qui souhaitent mener campagne pour elle. Sa stratégie principale est de se distancer de Trump et de prétendre incarner une alternative favorable au droit à l’avortement, à l’environnement et à d’autres mesures populaires. Son passé dresse un tableau différent. Vice-présidente de Joe Biden, elle est tout aussi responsable que lui du soutien américain au génocide en cours à Gaza ou encore du nombre de déportations de personnes migrantes qui a surpassé celui de l’administration Trump. Précédemment, en tant que procureure, elle fut un rouage enthousiaste de la culture politique de répression. Plus récemment, alors que la droite n’a cessé de s’en prendre aux personnes trans et au droit à l’avortement, les démocrates ont à peine levé le petit doigt.
Nous comprenons parfaitement que l’on puisse espérer qu’une victoire de Harris ne soit pas si destructrice qu’une victoire de Trump. Mais nous devons regarder plus loin. Une présidente démocrate qui continue à protéger Wall Street au détriment des nécessités sociales ou écologiques continuera à alimenter la colère et la frustration qu’instrumentalise le populisme de droite. La gauche politique et syndicale ne doit pas collaborer à ça.
La classe travailleuse doit prendre les choses en main et s’organiser pour mener le combat en défense de ses droits et intérêts. Kamala Harris ne stoppera pas le danger de l’extrême droite. Sans une véritable alternative de gauche combative et reposant sur une indépendance de classe, l’espace continuera d’être laissé aux forces qui détournent la colère sociale légitime des masses pour alimenter le racisme et la haine.
Les échecs de la gauche et les tâches de la classe travailleuse
Où donc se trouve la gauche socialiste dans ce gâchis ? Il y a tout juste huit ans, en 2016, le sénateur démocrate Bernie Sanders avait mené une campagne pour devenir le candidat à la présidence qui a mobilisé des millions de personnes dans ce qu’il qualifiait de “révolution politique contre la classe des milliardaires”. En 2020, Sanders s’est à nouveau lancé dans les primaires démocrates. Les deux fois, il a été battu par les manœuvres de l’establishment du parti démocrate. Et par deux fois, il a capitulé. Toute l’aile “progressiste” du parti démocrate a suivi la même voie, de Sanders à Alexandria Ocasio-Cortez et les autres élu.es progressistes que l’on appelle “The Squad”.
Durant une brève période, de 2016 à 2020, ces figures de gauche avaient une opportunité à saisir. C’était l’époque où les “idées socialistes” gagnaient en popularité. Mais tout semblant de militantisme a disparu chez ces voix progressistes aujourd’hui réduites au rang de caisse de résonance de Biden et Harris. C’est un avertissement à l’ensemble de la classe travailleuse concernant les limites du réformisme et des tentatives d’être présent au sein du Parti démocrate. Pour concrétiser des revendications populaires telles que “Medicare for All” (des soins de santé accessibles) et un “Green New Deal” (un programme d’investissements publics écologiques avec des emplois décents), un mouvement de masse de la classe travailleuse qui s’oppose directement à l’État capitaliste est vital.
Le parti démocrate est un parti entièrement capitaliste, sans structures démocratiques ni racines dans la classe travailleuse. Beaucoup de gens considèrent à juste titre les démocrates et les républicains comme les deux faces d’une même médaille. La classe travailleuse américaine a besoin de son propre parti, un parti de lutte totalement indépendant des capitalistes et qui défende dans les mots et dans les actes les intérêts de classe des travailleur.euses et de leurs familles. Un tel parti ne tombera pas du ciel, il ne pourra être construit qu’en unissant les luttes de notre classe – les luttes ouvrières, féministes et LGBTQIA+, antiracistes et anti-impérialistes – autour d’une politique qui vise au renversement du capitalisme.
Dans cette élection, les seules options indépendantes des deux grands partis du capital sont Jill Stein (parti vert), le militant antiraciste Cornel West et Claudia de la Cruz (Parti du socialisme et de la libération, un parti stalinien). Il vaut mieux voter pour ces candidats que pour Harris, même si aucun d’entre eux ne représente un mouvement ou un parti suffisant pour remplir les tâches qui nous font face.
La chose la plus importante pour les travailleurs et les jeunes en ce moment est de s’organiser contre l’extrême droite dans un antifascisme de classe. Quel que soit le vainqueur en novembre prochain, les attaques antisociales seront au menu. Nous avons besoin de comités de lutte composés de travailleurs et de jeunes, dotés de structures démocratiques et d’un plan d’action en escalade (avec des manifestations, des débrayages, des réunions publiques et des grèves) contre les déportations de migrant.e.s, pour le droit à l’avortement, pour les droits des personnes transgenres et pour une meilleure protection sociale de tous les travailleur.euse.s et de leurs familles.
Une coordination nationale des comités de lutte serait le meilleur moyen de lutter de manière offensive pour nos droits et nos revendications. Cela jouerait également un rôle dans la défense des manifestations et des communautés contre les attaques de la droite. Les syndicats ont un rôle clé à jouer et sont eux-mêmes plus forts lorsqu’ils s’engagent dans des luttes politiques contre l’oppression et l’État capitaliste. Un tel mouvement pourrait lutter pour que l’enseignement et les soins de santé soient entièrement propriété publique et soumis à une gestion publique démocratique. Pour vaincre véritablement l’extrême droite, une révolution sera nécessaire afin de renverser le capitalisme et de faire place à une société socialiste démocratique où la classe travailleuse prendra ses décisions dans l’intérêt des masses et de la planète.