La direction n’a épargné aucune manœuvre et aucune provocation, jusqu’à cette assemblée du personnel convoquée non pas à l’usine, mais à Forest National, avec des forces de l’ordre qui ont traité les salarié.es comme des criminels et sans accepter le personnel des sous-traitants. Pourquoi tout ça ? Par crainte de la riposte. La direction connaît la combativité ouvrière en Belgique, des mobilisations de masse jusqu’aux occupations d’entreprises. De cette manière, on stimulerait la déjà large sympathie de la population pour balayer la casse sociale sous toutes ses formes, chez Audi comme ailleurs.
Nationaliser Audi, seule issue possible pour sauver chaque emploi
Pour maintenir l’activité à Forest, les cadeaux fiscaux et les aides d’État n’ont pas manqué : 157,7 millions d’euros ces 6 dernières années seulement, selon la FGTB. Rapporté aux 3.000 salarié.e.s du site, cela représente plus de 52.000 euros par personne !
Visiblement, dorloter Audi, ça ne sert à rien. Mais les partis présents aux Parlements n’ont strictement rien d’autre à proposer, à l’exception notable du PTB. Il revendique un moratoire européen sur la fermeture des usines automobiles. C’est positif. Mais avec la composition actuelle du Parlement européen, ou même celle de la Chambre, cela implique une lutte de très longue haleine. Et pour l’immédiat ? Brisons ce fatalisme et construisons une vraie relation de force.
La manifestation de ce 16 septembre devrait servir à lancer le combat pour la sauvegarde de l’outil, des emplois et du savoir-faire. Invitons les travailleur.euse.s d’Audi dans des assemblées syndicales et, partout dans le pays, à des assemblées du personnel sur nos lieux de travail pour préparer et élargir ce combat qui nous concerne toutes et tous. La manifestation du secteur social flamand (7 novembre), la colère dans l’enseignement francophone, les grèves comme celles de l’aéroport de Charleroi ou d’Ontex à Eeklo ainsi que le catalogue des horreurs de l’Arizona en préparation montrent à la fois la nécessité tout autant que le potentiel de l’unité dans la lutte au travers d’un plan d’action en escalade comme en 2014.
Quelle revendication défendre concernant Audi ? La CGSP ALR à Bruxelles a voté une motion de solidarité (« AUDI Forest : soyons solidaires dans la lutte ! » – www.cgspalrbru.be). Elle y rappelle « qu’en 2008, notre gouvernement a été capable de nationaliser les banques pour sauver le système financier et les plus riches. Nous devons nous battre aujourd’hui pour nationaliser Audi, seule issue possible pour sauver les emplois et le futur de la région. » Mais contrairement aux banques, pas de manière provisoire pour sauver les profits, mais pour sauver l’emploi, sous le contrôle et par l’action des travailleur.euse.s.
Combler les besoins de tous et toutes et non satisfaire la voracité des actionnaires par le contrôle des travailleur.euse.s et de la collectivité
Les crises de surproduction régulières du secteur automobile illustrent le chaos d’une production offerte à la rapacité des actionnaires. On sait depuis longtemps que le modèle automobile est en transition du fait de la crise environnementale. Les patrons du secteur se sont entêtés dans une voie sans issue. Quitte même à installer des logiciels truqueurs dans les voitures comme l’a fait VW, le groupe dont dépend Audi, dans plus de 11 millions d’autos diesel dans le monde (le scandale du Dieselgate).
Avec une usine comme celle de Forest, on peut tout faire, et ce ne sont pas les nécessités à combler qui manquent dans cette société qui craque de toutes parts. On pense immédiatement à des bus – surtout que, depuis la fermeture de Van Hool, il y a une pénurie de pièces de rechange – ainsi qu’à tout ce qui peut résoudre la crise de la mobilité. Mais on peut aller beaucoup plus loin. Le nouveau député du PTB Robin Tonniau, qui a travaillé 11 ans dans le secteur automobile, souligne à juste titre : « C’est une usine de pointe dans laquelle on peut tout produire. J’ai travaillé dans cette entreprise, je sais de quoi je parle. »
Nous avons d’ailleurs récemment fait l’expérience, même limitée, d’une reconversion socialement utile de certaines activités de multiples entreprises : durant la crise du Covid. Chez Safran Aeroboosters (ex-Techspace aéro), à la Sonaca ou encore à la FN Herstal, on a produit des respirateurs artificiels et des pièces de rechange. Ailleurs, du gel hydroalcoolique. Si le privé est incapable de voir comment utiliser les immenses capacités technologiques et le savoir-faire d’une telle usine, la collectivité saura bien quoi en faire !
En Italie, en 2021, la multinationale GKN a licencié par mail les plus de 400 travailleur.euse.s de son usine de Campi Bisenzio (Florence). Mais à la suite d’une assemblée générale, le personnel a décidé d’occuper l’usine. Elle l’est toujours aujourd’hui et les métallos ont relancé la production pour produire des batteries électriques et des panneaux solaires. Pourquoi ne pas inviter des syndicalistes de GKN en Belgique ? Il n’y a aucun doute qu’ils répondent positivement, par solidarité, mais aussi pour renforcer leur propre combat grâce à l’extension d’une telle initiative.
Le collectif d’usine de GKN est d’ailleurs très actif dans la construction d’une solidarité active hors de l’usine. Une délégation ouvrière est régulièrement présente dans d’autres luttes (grèves, mouvements écologiste, féministe, LGBTQIA+, etc.) autour de leur banderole aujourd’hui célèbre : Insorgiamo [Nous nous insurgeons]. L’unité dans la lutte, c’est la meilleure manière de repousser les préjugés racistes, islamophobes, sexistes et autres que la droite et l’extrême droite cherchent à distiller consciemment dans la société.
Hier Van Hool, aujourd’hui Audi, et demain ?
Au cours des 35 premières semaines de 2024 (jusqu’au 1er septembre), il y a eu 6.971 faillites en Belgique, 8,6% de plus qu’en 2023 et 19,3% de plus qu’en 2022. Cela représente 21.391 pertes d’emploi, soit 16,1% de plus qu’en 2023 et 55,3% de plus qu’en 2022. C’est notamment une conséquence de l’arrêt des mesures de soutien public aux entreprises liées à la crise du Covid-19 (notamment le gel des procédures de faillite) et à celle de l’énergie. La menace de ‘‘tsunamis sociaux’’ n’est pas temporaire.
C’est l’ensemble du fonctionnement de la société qui pose problème. Pour y faire face, il nous faut un syndicalisme de combat, reposant sur des assemblées générales démocratiques et sur l’implication de tout le monde dans le combat et les décisions qui s’imposent. Un syndicalisme de combat qui défend nos intérêts immédiats, mais aussi un projet de société où nous ne sommes pas balancé.e.s comme des kleenex à la poubelle à la première occasion. Un syndicalisme de combat qui développe de toute urgence un large front de lutte pour une politique industrielle au service de la population et de l’environnement.
La gauche syndicale et politique a un rôle crucial à jouer à cet égard, dans toute sa diversité. Nous sommes résolus à contribuer à cet effort.
Exproprions le site par la lutte et plaçons-le aux mains des travailleurs.euses pour sauver l’emploi, le savoir-faire et les capacités de production. Réorientons la production dans le cadre d’un plan d’investissements dans la mobilité douce et le développement de l’offre de transports publics. Le personnel d’Audi et des sous-traitants peut prendre la tête d’une riposte de l’ensemble de notre classe contre les pertes d’emploi et contre le catalogue des horreurs que nous prépare le futur gouvernement fédéral !
Le capitalisme est un système malade, il faut le renverser. Afin de permettre un contrôle et une gestion démocratiques de la production et de la distribution, nous devons assurer que les leviers économiques, les secteurs clés de l’économie, deviennent propriétés publiques, sous contrôle et gestion des travailleur.euse.s et de la collectivité. Les travailleur.euse.s qui produisent les richesses pourraient ainsi démocratiquement décider de la manière dont leurs connaissances pourraient être utilisées.
Grâce à cela, il serait possible d’élaborer une planification rationnelle de l’économie, reposant sur l’examen minutieux des ressources disponibles et de toutes les possibilités techniques actuelles, afin d’adapter l’économie aux besoins et exigences de la population dans le respect de la planète. Une telle approche permettrait d’éviter le gaspillage, les productions inutiles et l’obsolescence programmée tout en permettant une transition verte harmonieuse. Cela poserait les bases d’une autre société, une société socialiste démocratique.