Michel Barnier, l’homme du consensus entre la droite et l’extrême droite

La crise politique profonde pour la classe dominante française est maintenant incarnée par Michel Barnier, nommé Premier Ministre par Macron le 5 septembre. Barnier va maintenant former un gouvernement, qui sera très minoritaire à l’Assemblée Nationale, étant basé sur le groupe de son parti Les Républicains (47) et sur les 3 groupes macronistes (166), et éventuellement aussi le soutien de la vingtaine de député.es de centre-droit LIOT : 210 à 235 député.es sur 577, Barnier n’aura pas une majorité absolue (289). Une coalition qui pourrait tomber en quelques jours, si l’opposition vote la censure, mais ce ne sera pas le cas, car le Rassemblement National (RN) va soutenir ce  gouvernement de l’extérieur. La coalition de gauche NFP va directement censurer, mais le RN pas – en tout cas pas tout de suite.

Par Stéphane Delcros

Le profil de Barnier pour un RN rassuré

Le RN a dit ne pas vouloir directement censurer le futur gouvernement, et attendre notamment le discours de politique générale du nouveau Premier Ministre. 3 lignes rouges ont été annoncées pour ne pas censurer un gouvernement : le Premier Ministre ne doit pas être une personne « ayant eu des propos désobligeant envers le RN » ; le gouvernement devra introduire la proportionnelle aux élections ; le programme de gouvernement devra avoir 3 priorités : plus de pouvoir d’achat ; moins d’immigration ; plus de sécurité.

Michel Barnier est présenté comme « un homme de consensus », et c’est vrai : Barnier est l’homme du consensus entre la droite et l’extrême droite. Il a par le passé donné beaucoup de garanties pour être acceptable par le RN. 

Lorsqu’il était candidat à la primaire des Républicains en vue de l’élection présidentielle de 2022, Barnier portrait un programme très à droite, ultra-libéral et raciste. « Je veux mettre un coup d’arrêt à l’immigration: fin des régularisations, limitation du regroupement familial, suppression de l’aide médicale de l’État (AME), zéro immigration sociale. Un bouclier constitutionnel nous protégera contre des jurisprudences toujours trop favorables aux étrangers. » (21/11/2021)

Ancien commissaire européen, Barnier est loué par les médias dominants pour son « engagement pour l’intégration européenne ». Il est en effet un ardent défenseur des injonctions venant de l’UE – mais seulement quand ça va dans son sens, c’est-à-dire particulièrement pour respecter les règles budgétaires, pour limiter les dépenses de l’Etat, et harmoniser notamment les règles antisociales ; Barnier est ainsi pour augmenter l’âge du départ à la retraite vers 65 ans, et veut faire la chasse à « l’assistanat ». Mais il s’oppose aux injections de l’UE lorsqu’elles concernent des mesures écologiques et l’immigration. Il est pour que la France rompe avec les règles européennes : « en matière d’immigration, si on ne change rien, il y aura d’autres Brexit ».

Barnier s’est illustré par le passé pour son caractère LGBTQIA+phobe et sexiste : en 1981, comme beaucoup de figures de droite, il s’était opposé à la dépénalisation de l’homosexualité pour les mineurs de plus de 15 ans ; en 1982, il votait contre la loi Roudy qui instaurait le remboursement de l’IVG par la sécurité sociale.

Continuer à montrer du doigt et attaquer les populations déjà opprimées ; continuer la politique de diviser-pour-régner et ainsi tenter d’éviter une colère unifiée pour appliquer un programme pour les riches : c’est une promesse du futur gouvernement Barnier. 

Les promesses du gouvernement Barnier

Le jour de sa nomination, Barnier a mis en avant ses priorités : l’éducation, la sécurité, l’accès aux services publics, la maîtrise de l’immigration, le niveau de vie des français, et la maîtrise de la dette. On sait déjà dans quel sens ira sa priorité concernant « l’éducation », « les services publics » et « le niveau de vie » : pas dans l’intérêt de l’immense majorité de la population, qui a besoin d’investissements massifs dans ces domaines. Et au contraire, « la maîtrise de l’immigration » et « la sécurité » seront martelés, pour encadrer son fil rouge : « la maîtrise de la dette ». La politique du gouvernement Barnier sera faite de davantage d’austérité, pour répondre « oui » aux demandes de l’UE. Sont attendues des économies budgétaires jusqu’à 110 milliards d’ici 2027, après que la France ait été placée en « procédure pour déficit excessif » par la Commission européenne en juin. Le temps presse pour la classe dominante, qui veut faire passer un budget d’austérité à l’Assemblée Nationale le 1er octobre.

« Une page qui j’espère sera utile aux français » a dit Barnier le 5 septembre – mais il ne parle d’utilité que pour la poignée d’ultra-riches qui vont à nouveau profiter des politiques gouvernementales.

Au contraire des « cohabitations » précédentes, celle-ci en est à peine une. D’abord parce qu’il est complètement compatible avec Macron, et aussi parce que son gouvernement aura la même base à l’Assemblée Nationale que le gouvernement Attal, ajouté des 47 député.es Les Républicains – pour donner encore plus corps au coup de rein à droite et à la main tendue à l’extrême droite par Macron.

Croissance pour l’extrême droite ? Mais aussi croissance de la volonté de lutte contre l’extrême droite !

Avec cette nomination, à nouveau Macron joue le marche-pieds pour l’extrême droite. Mais il va avoir à faire à un gouvernement extrêmement fragile, confronté en permanence à la menace de tomber. A tout moment, le RN pourrait décider de rejoindre le NFP dans la censure du gouvernement. Et en tout cas, de nouvelles élections en juin-juillet 2025 sont plus que probables, avec cette fois la possibilité plus importante encore que l’extrême droite arrive au pouvoir.

La volonté de lutte contre l’austérité et contre l’extrême droite est grande ; le mois de juin en a été témoin : un énorme élan à la base de la société qui a poussé à formation d’une coalitions à gauche, puis à empêcher l’arrivée du RN au pouvoir, qui lui était pourtant promise. Dans cette mobilisation, l’activisme des couches les plus opprimées et la jeunesse étaient remarquablement au premier plan de la lutte.

La non-nomination d’un.e Premier.e Ministre et d’un gouvernement jusqu’ici ont mis l’attention sur les « discussions » politiques institutionnelles, et ont mis la nécessaire contestation sociale à l’arrière-plan ; il faut maintenant coordonner une lutte d’ampleur contre ce qui se prépare.

Les mobilisations des prochaines semaines seront très importantes, comme les nombreuses manifestations prévues le 7 septembre pour défendre un gouvernement basé sur un programme de gauche, et la journée de grèves et manifestations appelée par les syndicats CGT et Solidaires principalement pour le retrait de la réforme des retraites.

Après le soulagement: Utiliser le répit pour construire un front des luttes sociales contre l’extrême droite, la casse sociale et toute compromission à gauche

Article de Nicolas Croes écrit pour l’édition de septembre de Lutte Socialiste

Les médias dominants nous avaient présenté la victoire du Rassemblement national à la suite de la dissolution surprise de l’Assemblée nationale comme une fatalité et guère plus qu’une simple alternance. C’est à peine si l’augmentation inquiétante des incidents et violences d’extrême droite avaient été relayées et commentées. Dans le prolongement de l’élan de la rue qui avait déjà imposé l’unité des forces généralement considérées comme étant de gauche, le Nouveau Front populaire (NFP) (1) a déjoué les sondages et a fini en tête de la course avec 193 députés, sans toutefois disposer d’une majorité absolue (qui nécessite 289 sièges).

Le RN a été repoussé loin d’une majorité absolue. Mais avec pas moins de dix millions de voix, l’extrême droite n’a jamais été aussi proche du pouvoir depuis la Seconde Guerre mondiale. Le danger reste bien réel, ce n’est qu’un répit qui a été gagné.

Manœuvres au sommet

Après le désaveu des urnes aux européennes et ensuite aux législatives anticipées qu’il avait lui-même convoquées, Macron tente de retomber sur ses pattes. Après avoir joué avec le feu et la stratégie “C’est moi ou le chaos”, il a invoqué une “trêve politique” pendant les Jeux Olympiques et repoussé la nomination du Premier ministre afin de gagner du temps pour trouver des accords à droite et chercher à atomiser le NFP pour s’attirer son aile droite dans une coalition “contre les extrêmes”, en prenant bien soin d’écarter la France Insoumise.

Il compte beaucoup sur le PS, qui a regagné quelques plumes à l’Assemblée nationale, et qui est avant tout aujourd’hui un parti de gouvernement et de gestion du système capitaliste qui a, depuis 1981, fourni deux Présidents et neuf Premiers ministres. L’ardeur tempérée du PS pour marcher dans une telle combine ne tient pas à de sérieuses convictions de gauche, mais surtout au douloureux et toujours brûlant souvenir d’être passé à deux doigts de l’annihilation totale après la désastreuse présidence de François Hollande en 2012-2017. Le cœur de sa démarche, et il n’en va pas autrement pour la plupart des forces du NFP, c’est le souci de dégager des compromis en prenant bien soin de ne pas heurter trop frontalement le patronat français. Cette recette conduit droit dans le mur tout en laissant à l’extrême droite le loisir de détourner les frustrations sociales vers la haine de l’autre.

Après des discussions houleuses, le Nouveau Front Populaire a présenté Lucie Castets comme candidate Première ministre. Celle-ci s’est déclarée ouverte aux “compromis avec les autres groupes, à l’exception du Rassemblement national” en laissant entendre qu’avec un peu de bons sens, tout irait bien.

Ainsi, dans une “Lettre aux Françaises et Français” fin août, elle expliquait :“Nous sommes convaincus que nous pourrons améliorer concrètement et rapidement la vie des Françaises et des Français, et que l’absence de majorité absolue ne nous en empêchera pas. Qui refusera l’augmentation du pouvoir d’achat que nous proposons avec la revalorisation des salaires et de la rémunération des fonctionnaires? Qui acceptera de voir perdurer la situation catastrophique de l’hôpital public avec les services d’urgence fermés en plein été ? Qui se résoudra à une nouvelle rentrée où tant de professeurs manqueront face à nos enfants dans les écoles, les collèges et les lycées ? Sur toutes ces questions clefs, les parlementaires rendront compte de leurs votes et les citoyennes et citoyens en seront témoins.”

Si c’était réellement si simple, tout cela existerait déjà. Au lieu de ça, et depuis 2020 à peine, les 4 milliardaires français les plus riches ont vu leur fortune augmenter de 87% ! Dans le même temps, la richesse cumulée de 90% des Français a baissé. Sur la même période, les 42 milliardaires français ont gagné 230 milliards d’euros, soit l’équivalent d’un chèque de 3.400 euros par personne en France. Onze des plus grandes entreprises françaises ont réalisé 101 milliards de dollars de bénéfices entre juin 2022 et juin 2023, soit une augmentation de 57% par rapport à la période 2018-2021.

Organiser la colère à la base

Le point fondamental, c’est que nous sommes dans une société divisée en classes sociales aux intérêts opposés et que la lutte des classes existe toujours bel et bien. Les choses sont même perçues comme telles à la base de la société. Un sondage Ifop commandé par le journal L’Humanité en 2023 dévoilait que 83% des Français.e.s estiment ainsi que “la lutte des classes est toujours une réalité aujourd’hui”. 80 % des sondé.e.s estimaient par ailleurs que “des secteurs comme la santé, l’éducation ou le logement ne devraient pas être soumis à la concurrence et à la compétition économique”, 72 % que “les salariés, les travailleurs devraient pouvoir décider des choix de leur entreprise” et 64 % qu’il est possible “de construire une société basée sur la coopération et le partage des richesses et des pouvoirs”.

Cela épouse les proportions de l’opposition à la réforme profondément antisociale des retraites imposée par Macron au moment du sondage : les ¾ de la population y étaient opposés. La bataille des retraites a eu lieu, et a toujours, un puissant impact sur les esprits. C’est cette force potentielle qui doit être organisée et mobilisée.

Macron et la droite vont tout faire pour dissocier les partis de la “gauche de gouvernement” du mouvement social qui trouve une expression dans la France Insoumise. Celle-ci et Mélenchon ne devront pas se contenter de viser la présidentielle de 2027 en dénonçant d’avoir été mis de côté. L’expérience de Syriza en Grèce, de Podemos dans l’État espagnol et de multiples autres gouvernements de gauche en Amérique latine et ailleurs, récents ou non, pointe dans la même direction. Il est crucial de construire un mouvement de masse pour résister à la pression des marchés et des institutions du capital autour d’un programme qui intègre dès le départ une riposte sérieuse au sabotage économique de la classe capitaliste et à la fuite de capitaux. À la suite du second tour des législatives, le quotidien économique L’Écho avait ainsi révélé que “de nombreux Français fortunés se renseignent sur une possible expatriation en Belgique” pour échapper à la politique fiscale beaucoup plus dure envers les super-riches au cas où la gauche arriverait au pouvoir.

Un autre écueil à éviter, du côté de la gauche révolutionnaire, est de limiter son approche à la critique acerbe de l’impasse du réformisme pour se contenter de recruter et de gonfler ses rangs. La couche d’activistes radicaux, très importante en France sur base de la riche histoire sociale du pays et de l’expérience concrète des luttes de masse de la période passée, doit être orientée vers la masse des personnes encore marquée par la confusion dans son opposition à l’ordre actuel des choses. La meilleure manière de percer à jour les illusions, c’est d’être impliqué dans le processus d’expérience qui les met à nu.

L’auto-organisation de la révolte

Lénine soulignait toute l’importance pour les révolutionnaires de combiner une extrême patience à un profond sens de l’urgence. À l’époque de la bataille des retraites de 2023, l’écrasante majorité des grévistes et manifestant.e.s s’accrochait de toutes ses forces à l’unité des sommets syndicaux au sein de l’intersyndicale, c’est d’ailleurs cette pression qui permet de comprendre pourquoi elle a tenu. Parallèlement, ces sommets syndicaux étaient unis dans leur refus d’organiser une véritable grève générale reconductible et de dépasser les journées nationales de grève et de manifestation détachées les unes des autres.

Nous avions, à l’époque, proposé de construire des comités de grève anti-Macron partout, dans les entreprises bien entendu ; mais aussi dans les quartiers, où il est d’ailleurs parfois plus facile dans un premier temps de s’organiser sans subir la férocité de la répression patronale pour des travailleur.euses précaires ; dans les écoles ; dans les facultés ; … et d’inviter, par exemple, un.e gréviste de l’énergie à venir partager son expérience dans un jeune comité réunissant des personnes qui n’avaient encore participé qu’à des manifestations. L’idée était de proposer une manière d’assister la construction de la lutte hors des bastions syndicaux traditionnels, mais aussi de poser des pas en avant dans la structuration de la base. Il aurait été possible de cette façon de soutenir la naissance d’une direction alternative à celle des directions syndicales traditionnelles horrifiées par l’escalade du combat.

Imaginons où nous en serions aujourd’hui si de tels comités avaient été lancés ! Ils auraient pu continuer leur activité même après la bataille des retraites et jouer un rôle dans le combat contre les oppressions racistes, la répression policière, jusqu’aux récentes élections anticipées où, tout en soutenant l’appel à un vote de gauche, ils auraient pu donner le ton sur la composition des listes et le programme. Si Adrien Quatennens (France Insoumise), condamné pour violences conjugales, a renoncé à sa candidature après avoir été investi candidat, c’était suite à la pression du mouvement féministe. Cela donne une idée de ce qui serait possible à la base d’exercer comme pression constante sur les élu.es si elle était structurée et démocratiquement organisée.

Il est urgent que ce type d’initiative prenne corps. Des comités démocratiques anti-austérité et antifascistes non seulement pour travailler à l’unité des luttes sans en laisser de côté, qu’il s’agisse du combat contre la transphobie ou de la solidarité avec les masses palestiniennes et kanakes, mais aussi pour réagir contre chaque agression raciste, sexiste, queerphobe par une mobilisation large, ainsi que contre les licenciements de délégué.e.s combatif.ves, etc. Des comités démocratiques seraient également les endroits idéaux pour discuter de la manière de repousser les préjugés racistes et tout particulièrement islamophobes déversés quotidiennement par les médias dominants, mais aussi du type de programme dont nous avons besoin pour ne laisser personne de côté. De tels comités d’action pourraient jouer un rôle de vigilance envers les partis et élu.es de gauche, pour leur imposer de défendre un programme de gauche réellement en rupture avec les politiques pro-capitalistes. Nous ne devons pas laisser les revendications de nationalisation de secteurs clés de l’économie sous gestion et contrôle de la collectivité à demain, mais les populariser dès aujourd’hui afin de concrétiser ce qu’une alternative anticapitaliste et socialiste peut constituer.

  1. Coalition qui rassemble principalement Les Écologistes, La France insoumise, le Parti communiste français et le Parti socialiste, ainsi que Place publique, Génération·s, la Gauche républicaine et socialiste, le Nouveau Parti anticapitaliste et la Gauche écosocialiste.
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