“Lorsque vous vous battez contre un ennemi bien plus grand et bien plus fort que vous, découvrir que vous avez un ami dont vous n’aviez jamais soupçonné l’existence, c’est le meilleur sentiment du monde. Voyez-vous ce que nous avons fait ici, en nous réunissant tous ensemble? Nous sommes entrés dans l’histoire!” Laphrase est de Dai Donovan dans le film Pride, qui relate l’histoire bien réelle d’un groupe queer qui s’est jeté corps et âme dans le soutien à la grande grève des mineurs britanniques de 1984-85. Une histoire exemplaire qui, 40 ans après, continue de montrer la direction à prendre dans les luttes sociales: celle de la solidarité.
Ce film, par ailleurs magnifique, comporte cependant l’une ou l’autre faiblesse, dont la présentation relativement hostile de l’accueil réservé aux activistes des LGSM par les mineurs gallois. Mike Jackson, l’un des membres fondateurs des LGSM, souligne que de nombreux mineurs gallois s’étaient portés volontaires pour aller combattre le fascisme en Espagne durant la guerre civile :“Ces communautés avaient une vision globale du monde. Et je pense qu’un groupe de Queers venant de Londres, dans ce contexte, ne leur a pas semblé étranger.” Il développe : “Durant les années 1930, les patrons miniers ont essayé de baisser les salaires des Gallois en important de la main-d’œuvre espagnole. C’était une erreur: ce qu’ils ont importé, ça a été tous ces anarcho-syndicalistes espagnols qui ont commencé à organiser les mineurs locaux pour obtenir de meilleurs salaires!”(1) Le sud du pays de Galles fut la région la plus solide du pays pendant la grève: près de 93 % des mineurs sont restés en grève toute l’année.
L’offensive néolibérale
En 1984, le gouvernement de Margaret Thatcher décida de lancer une offensive d’ampleur contre le secteur du charbon, devenu propriété d’État après la Deuxième Guerre mondiale. L’objectif était double: fermer des mines déficitaires pour faire des économies et briser la résistance du plus puissant syndicat britannique, celui des mineurs, qui avait fait chuter le gouvernement conservateur en 1974. Le calcul était qu’une fois cette épine dorsale de la résistance ouvrière brisée, le rouleau compresseur néolibéral pourrait passer sur l’ensemble des conquêtes sociales de la classe ouvrière. 40 ans plus tard, Mike Jackson remarque, ironique : “Il est amusant de constater que tout ce mouvement contre la régulation et pour la réduction de l’État ne concerne jamais les syndicats, qui sont au contraire soumis à de nombreuses réglementations restrictives.”
Dans un autre entretien, il explique “Nous avons fait le choix de mener une mission très ciblée [soutenir les mineurs], et c’était absolument la bonne chose à faire. Mais bien sûr, ce qui sous-tend tout cela, c’est la lutte pour la solidarité de classe, pour le socialisme. C’est tout un monde pour lequel nous nous battions dans ce scénario, tout comme les mineurs eux-mêmes.”(2)
Expliquant quel cheminement personnel a conduit à cet engagement, Mike revient à son coming-out: “je suis sorti de l’adolescence totalement déprimé pour me transformer en une sorte de feu d’artifice mêlé de joie et de colère – un mélange exaltant. Ce coming-out a été une forme de libération individuelle qui m’a beaucoup appris sur l’émancipation d’autres groupes. Les luttes des Noirs ou des femmes me sont devenues plus claires parce que j’ai pu voir ce qu’il y a de commun à propos de l’oppression dans notre culture. J’ai été plutôt choqué, ensuite, de m’affirmer comme homosexuel et de constater qu’il y avait une misogynie et un racisme latents dans le milieu gay. Ça n’avait tout simplement pas de sens. Et, bien sûr, la classe dirigeante adore ce genre de tension et se plaît à semer un peu de division. Le mouvement anti-trans en est aujourd’hui l’exemple parfait. On tente de diviser notre communauté.”
Une lutte plus que jamais d’actualité
Les Lesbians and Gays Support the Miners ont compté jusqu’à onze groupes au travers du Royaume-Uni. À lui seul, le groupe londonien récolta l’équivalent de plus de 100.000 euros actuels en soutien de la grève. À ses côtés existait aussi un groupe distinct de lesbiennes qui s’en était détaché, Lesbians Against Pit Closures.
Les mineurs n’ont hélas pas reçu le même type de solidarité de la part des directions syndicales nationales. Celles-ci ont refusé d’organiser l’extension de la lutte à d’autres secteurs vers une grève générale nationale. Elles étaient tétanisées par une possible perte de contrôle de la lutte et par l’auto-organisation potentielle des grévistes. Cruel calcul qui a conduit à une série de défaites majeures pour l’ensemble de la classe travailleuse.
Cette solidarité devenue aujourd’hui légendaire, notamment grâce au film Pride, n’est toutefois pas restée à sens unique. Quand la fin de la grève fut déclarée, lors d’une réunion, un des mineurs s’est levé et a dit: “C’est fini pour nous, mais ce que nous devrions faire maintenant, c’est nous tourner vers ceux qui nous ont soutenus, en particulier les lesbiennes et les gays qui sont avec nous aujourd’hui, et leur apporter le soutien dont nous savons qu’ils ont besoin.” Ce sont les mineurs du sud du Pays de Galles qui ont fait pression sur le NUM (National Union of Mineworkers, syndicat national des travailleurs des mines) pour qu’il utilise son vote en bloc et pour que d’autres syndicats utilisent également leur vote en bloc, ce qui a permis d’inscrire les droits des lesbiennes et des gays dans le manifeste du parti travailliste.
- Le cofondateur de Lesbians and Gays Support the Miners raconte, traduction d’un entretien de Tribune pour le site Ballast.fr, 21 juillet 2022
- ‘There Was a Whole World We Were Fighting For’: LGSM Turns 40, Francesca Newton, tribunemag.co.uk, 29 avril 2024