“Ni rire, ni pleurer, ni haïr, mais comprendre”, disait Spinoza. Le lundi 10 juin avait des airs de rude gueule de bois. Si l’extrême droite n’était pas première formation en Flandre, elle finissait d’un cheveu en deuxième position derrière la N-VA et se retrouvait tout de même première à l’Europe. Du côté francophone, la percée de la droite fut une désagréable surprise. L’heure est au bilan, mais dans la perspective directe de la préparation d’une lutte de classe acharnée.
Interrompre la lutte sociale pendant la campagne électorale, une erreur dramatique
Au lendemain des élections, Syndicats Magazine (FGTB) s’était entretenu avec Jean Faniel, docteur en sciences politiques et directeur général du CRISP (le Centre de recherche et d’information socio-politiques). Au milieu d’une série de remarques pertinentes, Jean Faniel soulignait que “le travail et surtout la “valeur travail” ont été accaparés par le MR et Les Engagés. (…) Certes, la droite a attaqué les travailleurs inactifs, mais visiblement, ça a payé.”(1)Cette analyse conduit à une dangereuse pente glissante, qui veut que l’on s’adapte à la rhétorique de droite au nom d’une prétendue “droitisation” de la population.
C’est vrai, la limitation dans le temps des allocations de chômage a figuré parmi les thèmes centraux de la campagne, dans tout le pays. Mais soyons clairs : quand la lutte collective ne semble pas offrir d’issue ni de perspectives de taper vers en haut, le cul-de-sac débouche sur la recherche de solutions individuelles et le déversement de la colère vers en bas. Vers celles et ceux qui sont déjà les plus démuni⸱es au lieu de la classe dominante. Les sommets syndicaux ne doivent pas chercher à éluder leurs responsabiltiés : en refusant d’organiser la lutte sociale durant la campagne électorale afin de ménager les “parti-amis”, un boulevard a été ouvert à la droite.
Se préparer au combat sans attendre
Aujourd’hui, le président de la FGTB Thierry Bodson explique que “l’on ne va pas mobiliser sur des craintes, on ne va pas mobiliser maintenant parce qu’il faut respecter le résultat des élections. On va mobiliser au moment où les gens prendront conscience de ce qu’il y a dans les programmes, et s’il y a des reculs sociaux importants, alors nous mobiliserons.”(2) Nous savons déjà qu’il va y avoir des reculs importants. Les Engagés, le MR et la N-VA sont favorables aux travaux d’intérêt général imposés après 2 ans de chômage. Leurs programmes fourmillent d’attaques antisociales aussi dure que l’introduction d’un système de pension à points, accompagnées d’une offensive sur les libertés syndicales. En Wallonie, Bouchez et Prévot ont tenu à rencontrer en premier lieu les représentants des organisations patronales flamandes Unizo et Voka. On se rappelle que Bart De Wever avait déclaré en 2010 que“le Voka est mon patron”, ce qui donne tout de suite une indication inquiétante de la teneur des discussions. Le tableau aurait été déjà bien sombre, même sans y ajouter les injonctions austéritaires de la Commission européenne.
Nous rejoignons cependant Thierry Bodson sur l’estimation qu’une mobilisation lancée à la hâte n’est pas la meilleure option. Mais nous pensons qu’il faut la préparer de toute urgence, sans attendre que le choc des attaques fasse évoluer la conscience. La grande grève générale de l’hiver 60-61 avait été précédée d’une “opération vérité” avec meetings publics et assemblées syndicales pour percer à jour les mensonges de la droite et des grands patrons, tout en préparant la classe travailleuse à la lutte. Un boxeur n’attend pas le premier uppercut pour se mettre en mouvement, pas plus qu’il n’entre sur le ring sans s’être étiré au préalable. Il n’en va pas autrement ici.
Pour quel type de combat ? Une manifestation de masse ou une journée de grève nationale pour “faire pression” ne suffira pas. Dans le magasine Knack (11 juin), Theo Francken (N-VA), le grand ami de George Louis Bouchez, a tenu à mettre les points sur les “i” : “Bien entendu, nous nous attendons à ce que la FGTB et les autres syndicats préparent déjà une série de grèves – pourquoi pas une grève de 10 jours tout de suite ? Qu’ils le fassent.” Ce qu’il nous faut, c’est un plan d’action en escalade, réfléchi et discuté largement à la base, avec des dates connues suffisamment à l’avance, où chaque mobilisation (tournée de manifestations ou de grèves par province, manifestation nationale de masse,…) prépare déjà la suivante.
“Ne perdez pas de temps dans le deuil. Organisez-vous!”
C’est ce que disait le pionnier du syndicalisme américain Joe Hill. Une des grandes différences par rapport à 2014 et la coalition de droite dure du gouvernement Michel, c’est que le PTB est aujourd’hui devenu un parti de plus de 25.000 membres, le quatrième plus grand parti au niveau fédéral, avec une progression remarquable à Bruxelles, moins marquée en Flandre et un tassement en Wallonie. Nous nous réjouissons bien entendu de ces résultats, tut en soulignant que le résultat en Wallonie est un avertissement à analyser sérieusement.
La campagne, du PTB comme celle des autres partis, s’est beaucoup jouée sur les réseaux sociaux, notamment en raison de l’impressionnante masse de primo-votants (entre 600 et 800.000 jeunes de 16 à 23 ans). Le grand inconvénient d’un tel type de campagne est qu’il entretient la passivité. La force des campagnes passées de Bernie Sanders aux Etats-Unis, de Jeremy Corbyn au Royaume-Uni ou encore de Mélenchon en France, c’était particulièrement cette dynamique de meetings de masse qui cherchaient à transformer le soutien passif en activisme et pas seulement en recrutement.
Le PTB a obtenu des résultats plus appréciables dans les villes, où résident des couches populaires, mais aussi où des luttes sociales existent. Comme à Anvers, le bastion du Vlaams Belang, où le PTB est parvenu à dépasser Tom Van Grieken et ses sbires pour atteindre la deuxième place avec 22%. La dynamique de lutte autour de Gaza et la place qu’y occupe le PTB n’y est pas étrangère.
Pour optimiser au maximum le résultat des élections de juin dans celles d’octobre, se plonger sans équivoque dans le débat sur la stratégie à adopter contre la droite sera crucial. Mais il faut plus. Il faut l’essentiel. Il faut un programme de transformation de toute la société. Si nous ne rejoignons pas Thierry Bodson sur l’ensemble de son analyse précitée, il a raison sur un point fondamental : “La gauche n’avait pas de projet de société, juste une compilation de mesures.” A force de vouloir se montrer respectable, le PTB a pu passer pour un parti à la gauche du PS sans en être fondamentalement différent.
Le programme de la gauche radicale doit partir des nécessités sociales, pas de ce qui serait permis par les institutions du capital. Nous ne devons pas faire de concession à leur discours : tout pointe vers l’urgent besoin d’un autre système de production. Ça, c’est le véritable “choix de la rupture”. Le chemin est encore long, mais la meilleure manière de convaincre du sérieux de la gauche radicale, c’est d’être clair quant à la destination, celle du socialisme démocratique, celle d’une véritable démocratie qui est aussi une démocratie économique, où les producteur⸱trices de richesses décident ensemble de leur utilisation. A ce titre, les actions de la campagne d’activistes et de syndicalistes de Bruxelles “Commune colère”(3), qui défendait la “socialisation des biens communs” tels que l’énergie, est une excellente source d’inspiration.
Nous avons besoin d’une campagne de combat vers les élections d’octobre – de la part de la gauche politique et syndicale – qui développe notamment comment des “communes rebelles” dirigées par coalitions de gauche pourraient constituer des avant-postes de la résistance sociale face à l’austérité décidée aux autres niveaux de pouvoir.
1) Jean Faniel: “Une gauche qui n’a pas fait rêver”, syndicatsmagazine.be, 18 juin.
2) Thierry Bodson (FGTB) : « Certains citoyens vont vite comprendre qu’on leur a vendu du rêve, et qu’ils ont été trompés sur la marchandise », interview de Thomas Gadisseux sur La Première, rtbf.be, 17 juin.
3) commune-colere.be