Où va la France? Il nous faut un front uni des luttes sociales contre l’extrême droite et toutes les oppressions

Construisons partout des comités locaux antifascistes et anti-macronie !

L’extrême droite a transformé l’essai. Après leur énorme succès aux élections européennes, le 1er tour des élections législatives anticipées a livré un résultat effroyable, avec le Rassemblement National (RN) de Le Pen et Bardella largement en tête des votes dans une majorité des 577 circonscriptions. L’extrême droite va très probablement devenir la plus grande force politique à l’Assemblée nationale le soir du 2ème tour, le 7 juillet – un approfondissement de la crise historique des instruments politiques des capitalistes. 

Avant même que le 2ème tour ait eu lieu, la confiance est boostée pour des groupes et individus qui se permettent un racisme et une LGBTQIA+-phobie beaucoup plus assumé. Les rassemblements spontanés, les appels à manifester et à la grève montrent la voie dans la lutte contre l’extrême droite, toutes les formes des oppressions et les politiques pro-capitalistes !

Par Stéphane Delcros

« Le RN ce n’est pas Amazon Prime, tu ne peux pas essayer puis arrêter après 1 mois »

C’est ce que soulignait une électrice de gauche en entendant une énième fois la petite musique venue de nombreux néo-électeur.trices pour l’extrême droite : « Le RN on n’a pas encore essayé« .

Un gouvernement RN serait désastreux pour la classe travailleuse, mais particulièrement pour les personnes déjà discriminées. Le RN n’est pas (encore) au pouvoir, mais la perspective d’un tel scénario crée déjà un climat de confiance pour les individus et groupes qui s’en prennent plus ouvertement aux personnes qui subissent les oppressions. L’extrême droite au pouvoir, c’est une accentuation exponentielle des attaques contre les conditions des femmes, des LGBTQIA+ et des personnes qui subissent le racisme systémique, en particulier les personnes noires, arabes et musulmanes. C’est ce qui est vécu dans les Etats où l’extrême droite est au pouvoir ou associée au pouvoir – par les politiques mises en oeuvre, mais aussi par le déchaînement de violences policières, et par le boost que ça implique pour les groupes et individus violents : la chasse aux personnes opprimées, ainsi qu’aux militant.es pour les droits sociaux, syndicaux et pour l’écologie.

L’éventuel avenir qui se dessine donne envie de vomir: droits syndicaux laminés; subsides publics rabotés pour les centres de plannings familiaux, les organisations socioculturelles et les organisations écologiques; atteintes à la liberté de la presse et privatisation de l’audiovisuel public; autoritarisme accru et avalanche de nominations pro-extrême droite dans l’administration et la magistrature… Tout cela aura de lourdes conséquences, possiblement pour très longtemps, même en cas de perte du pouvoir. 

Le 7 juillet, le RN ne va probablement pas obtenir une majorité absolue, mais ce n’est pas impossible, y compris de gouverner avec une majorité relative mais suffisamment forte, en comptant de temps à autres sur l’abstention d’autres député.es. 

Mais selon la plupart des projections, tout en devenant la plus grande force (et de loin) à l’Assemblée Nationale (AN), il manquerait un nombre important de député.es au RN et alliés pour avoir une majorité suffisante : 190 et 240 sièges (sur 577) ; tandis que l’alliance de gauche Nouveau Front Populaire (NFP) récolterait entre 160 et 200 sièges ; et les macronistes (« Ensemble ») entre 95 et 155.

Si les premiers sondages juste après le 1er tour donnaient souvent au RN une majorité absolue, l’annonce de désistements quasi systématiques ont atténué le potentiel d’élue.es pour l’extrême droite : Face au RN, la majorité des candidatures perdantes de gauche et des macronistes se sont désistées les unes pour les autres.

« Front démocratique », « front républicain » : s’entendre avec celleux qui ont construit la victoire de l’extrême droite, une faute majeure

Face au raz-de-marée RN du 1er tour, la gauche a tout de suite appelé ses candidat.es à se désister au cas où iels seraient en 3ème position et que le RN serait dans les 2 premières places. Certain.es macronistes leur ont emboîté le pas, même si une série a tout de même décidé de se maintenir, surtout lorsque la candidature de gauche est FI. Vu l’urgence de bloquer la route du RN, cette attitude est largement compréhensible. Mais faire alliance, ou du moins « s’entendre » avec celleux qui ont construit la victoire de l’extrême droite, c’est une faute majeure.

Se désister et appeler à voter pour l’ex-Première ministre Elisabeth Borne, la figure de la réforme des retraites imposée par 49.3 ? Pour Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur qui impose sa politique policière raciste dans les banlieues populaires et dans les vestiges coloniaux de « l’Outre-Mer » ? L’architecte de la Loi immigration considérée, à juste titre, par Marine Le Pen comme une “victoire idéologique du RN” ? C’est ouvrir la voie à celleux qui banalisent la violence, l’autoritarisme et le racisme de l’extrême droite. 

Pour les personnes dégoûtées par la politique de Macron, cela jette hélas encore plus de discrédit sur les formations de gauche. Penser qu’un barrage contre l’extrême droite peut se faire avec celleux qui ont pavé la route pour l’extrême droite, c’est considérablement sous-estimer la violence des politiques macronistes ces dernières années, particulièrement pour les couches dans la population qui subissent des oppressions systémiques. Même si beaucoup de personnes ayant voté à gauche vont aller voter pour les macronistes « pour faire barrage au RN« , de nombreuses autres ne vont certainement pas aller voter macroniste au 2ème tour. Beaucoup vont s’abstenir, et certaines vont probablement même voter RN, par dégoût de la politique menée ces 7 dernières années.

Une telle approche de la gauche ouvre encore davantage la voie au RN dans les prochaines années, puisqu’il peut se montrer comme seule « alternative », face à l’entente de tous les autres. Cela permet à l’extrême droite de souligner que la gauche trahit et n’est pas une réelle alternative. Bardella a d’ailleurs parlé de ces désistements comme étant « un front de Macron à Mélenchon« , pour essayer d’associer la FI aux politiques macronistes. 

D’ailleurs, beaucoup de personnes ayant voté macroniste au 1er tour vont se reporter sur une candidature de gauche, mais beaucoup ne vont pas le faire, et probablement même décider de voter RN. Le discours « FI=RN » alimenté par le camp macroniste, la lutte contre « les extrêmes » mais en s’attaquant beaucoup moins à l’extrême droite, la diabolisation de la FI, la dédiabolisation du RN, la politique menée qui empiète sur le projet du RN… 

Même si le premier ministre Gabriel Attal a appelé à se désister y compris en faveur de la FI, une candidate du MoDem (allié à Macron) qui est arrivée 3ème derrière le NFP (FI) et le RN a bien résumé l’état d’esprit des macronistes : « Il y a seulement des LFI qui incitent à la haine, fracturent la société et vont dans les manifestations avec le drapeau palestinien ».

Tous les médias dominants ont soigneusement mis une attention quotidienne sur l’entreprise de cassage de la FI, depuis des années mais particulièrement ces derniers mois. Et depuis 3 semaines, c’est un focus sur des candidatures FI jugées « problématiques » selon la droite et l’extrême droite (mais aussi parmi « la gauche »), surtout sous forme de chasse aux activistes antiracistes, anticoloniaux et pro-palestiniens.

Le cas du militant antifasciste lyonnais Raphaël Arnault, candidat investit par la FI dans le Vaucluse, est particulièrement édifiant : fiché S par les services de renseignement de l’Etat qui le considèrent dangereux pour son activisme, il a été attaqué par toute la droite et par les forces alliées à la FI, y compris le Parti Communiste Français (PCF) qui a même demandé le retrait de sa candidature. Raphaël Arnault est arrivé en 2ème position (25%) derrière la candidate RN (35%). Ces partis porteront une grande responsabilité en cas de défaite au second tour…

Le keffieh ? Un symbole très dangereux. / Une casquette nazie ? Ça passe.

La même attention n’était évidemment pas de mise concernant les candidatures des autres partis. Aucun reproche n’a été fait aux nombreuses candidatures pro-gouvernement israélien (y compris chez certains « à gauche »), certaines soutenant ouvertement le génocide à Gaza. Rien non plus contre les nombreuses candidatures plus ou moins ouvertement islamophobes et arabophobes. Quant aux candidatures « problématiques » du RN, elles ont été abordées durant seulement 2-3 jours, en fin de campagne : dans le passé (voire le présent) de certaines candidatures, on peut trouver apologie du nazisme, du racisme, et de l’antisémistisme, et même prise d’otage…

Pendant ce temps, sur les médias des services publics : « Dès les résultats annoncés, Jean-Luc Mélenchon s’est affiché avec l’eurodéputée Rima Hassan qui portait un keffieh. Vous comprenez que ça puisse choquer ? » Cette question posée par un journaliste de FranceInfo à la députée FI Clémentine Autain résume le climat de haine et de rejet des oppressions qui règne dans le pays, fortement imprimé par toutes les rédactions des médias dominants, y compris le service public. Une intimidation massive et une véritable chasse aux personnes opprimées et aux activistes de gauche. Hélas encouragée par de nombreux cadres des formations Parti Socialiste (PS, et son allié Place Publique), Écologistes et PCF, ainsi que des élu.es et candidat.es dissident.es FI.

Objectif de tous les autres : tenter de briser la gauche dite de rupture

En dissolvant l’AN, Macron misait sur une gauche éclatée et sur l’avantage de se présenter à nouveau comme le seul rempart face à l’extrême droite, dans le contexte où de toute façon de probables élections anticipées allaient avoir lieu fin d’année, sur base d’une probable motion de censure déposée par Les Républicains (LR). Mais un autre objectif était aussi présent parmi la classe dominante : profiter du succès de la liste PS-Place Publique de Raphaël Glucksmann aux élections européennes, arrivé devant la FI (qui par ailleurs augmentait fortement son résultat précédent, dans des élections qui mobilisent peu l’électorat « traditionnel » de la FI). 

Appeler à des élections anticipées, tout de suite, et pour dans seulement 20 jours (le minimum légal), c’était miser sur une gauche désunie, mais aussi sur un affaiblissement potentiel de la gauche plus contestataire (FI) et un rééquilibrage en faveur de la « gauche » traditionnelle, pro-libérale. Et de fait, ces élections législatives replacent maintenant le PS et ses alliés un peu plus à l’avant-plan, comme le disait justement Glucksmann 3 jours avant le 2ème tour : « C’est la fin de l’hégémonie de Mélenchon sur la gauche française« . 

Avec un camp macroniste extrêmement affaibli et Les Républicains en crise complète, les couches majoritaires de la classe dominante (celles qui n’ont pas – encore – suffisamment confiance dans le RN) accueillent à bras ouverts le retour d’une « gauche institutionnelle » qui se veut « responsable » pour continuer à défendre leurs intérêts – avec peut-être davantage de vernis social que ces dernières années. 

Vers un gouvernement « d’union nationale » avec tous les partis sauf le RN et la FI ?

Face au scénario probable d’un RN sans majorité absolue (et sans majorité relative confortable), et au fait que le NFP ne sera probablement pas capable non plus de former un gouvernement, de nombreuses voix s’élèvent maintenant pour former un gouvernement « de toutes les forces démocratiques » – c’est-à-dire de tous les partis sauf le RN et la FI (les Insoumis ayant d’ailleurs tout de suite refusé de s’associer avec des forces à droite du NFP).

« Gouvernement de sursaut national », « Assemblée plurielle », « Gouvernement provisoire » (jusqu’à une éventuelle nouvelle dissolution dans 1 an), « Coalition d’union nationale », … : de nombreux cadres macronistes (derrière Attal) et LR appellent à une large coalition, dans le but de  continuer à mener une politique pas trop éloignée de la précédente.

Et la gauche « responsable » précitée de leur emboîter le pas : « Oui, on doit se montrer prêts à gouverner » leur répondait Marine Tondelier (Les Ecologistes), appuyée bien sûr par nombre de cadres du PS et de PP. 

Le PS et Les Écologistes ont été éduqués à la cogestion du système et en sont profondément infectés. Il est hélas peu probable que ces derniers, dans une situation de crise, soient préparés à prendre les mesures qui s’imposent en choisissant sans la moindre équivoque le camp des travailleuses et travailleurs sur celui des patrons et du marché – les partisans du capitalisme sauront à qui parler. 

Avant même le 2ème tour, la « gauche institutionnelle » montre déjà toute l’étendue de sa non compréhension de pourquoi le RN obtient des scores historiquement élevés. De telles annonces de participation à un futur gouvernement avec la droite, ça aussi, ça pousse des couches d’électeur.trices potentielles de la gauche à quand même ne pas aller voter, « puisqu’il y aura une alliance avec les macronistes« … Et si une telle alliance gouvernementale se réalise, ça aussi ouvrirait encore davantage la voie à l’extrême droite dans les prochaines années. Il n’en fallait d’ailleurs pas beaucoup pour que Marine Le Pen s’en saisisse et parle d’une telle coalition comme étant « le parti unique ».

Les manifestations montrent la voie ! Construisons des comités antifascistes démocratiques

Le soir des élections les 9 et 30 juin, de nombreuses personnes sont descendues dans les rues pour protester contre la montée de l’extrême droite, et pour défendre des politiques en faveur de la classe travailleuse, la jeunesse et les personnes opprimées. 

Les 15 et 16 juin, 650.000 personnes se sont mobilisées dans plus de 180 villes à l’appel des syndicats, des associations et des partis de gauche. Le week-end suivant, des organisations féministes et syndicales ont à nouveau mobilisé. De nombreux blocages de facs, d’assemblées et de grèves ont aussi pris place, depuis le 9 juin.

La volonté de lutte est grande, tant pour battre le RN que pour un autre type de politiques. C’est cette atmosphère qui a mis la pression pour que les partis de gauche fassent alliance en vue des législatives anticipées. 

Mais le vote pour la gauche n’est pas une alternative à la lutte. Des syndicats comme la CGT et Solidaires ont déjà annoncé vouloir organiser la lutte au cas où le RN arrive au pouvoir – ce sera plus que nécessaire. Un gouvernement « d’union nationale », incluant des forces qui ont permis au RN d’être ce qu’il est, ne mènerait pas une politique en notre faveur. Il fera à nouveau le jeu futur de l’extrême droite. Une résistance active sera nécessaire aussi dans ce cas, et en réalité dans tout scénario gouvernemental – y compris un gouvernement de gauche, car la lutte serait nécessaire pour contrer les énormes pressions que la classe dominante exercera pour que la politique menée ne sorte pas trop des plates-bandes. 

Il faut construire un mouvement dans l’esprit de la lutte contre la réforme des retraites, qui combine la force considérable du mouvement ouvrier organisé, grâce à l’arme de la grève reconductible, avec la volonté courageuse et inspirante de lutter en faveur d’un changement fondamental à l’avantage des jeunes et des opprimé⸱es, ce qui peut stimuler la lutte des classes dans son ensemble.

Des comités démocratiques de résistance antifasciste pourraient être créés dans tous les quartiers populaires, les banlieues, les écoles, les universités et les lieux de travail : des comités locaux contre l’extrême droite et toutes les oppressions. De tels comités auraient pu soutenir le vote pour le NFP et se préparer à entrer en résistance contre l’extrême droite (au pouvoir ou non), à corriger les faiblesses du NFP (comme ça a été fait par #NousToutes et le mouvement féministe vis-à-vis de Quatennens et Bayou), et à imposer que les élu.es du NFP agissent effectivement comme des combattants de notre camp. Mais ils permettraient aussi de réagir face à chaque agression de la part de groupes ou d’individus réactionnaires.

Combattre les forces réactionnaires ; répondre réellement aux besoins de la classe travailleuse, la jeunesse et les personnes opprimées ; mais aussi en même temps défier les intérêts de la classe capitaliste. Le programme du NFP comportait des éléments importants, même si moins que ceux de la NUPES, et bien sûr de la FI. Ce type de programme peut servir de point de départ pour la lutte. Mais il est aussi nécessaire de porter des revendications de nationalisation de secteurs-clés de l’économie sous la gestion et le contrôle de la collectivité, à commencer par les secteurs financier et énergétique, pour être capable d’avoir un réel contrôle sur les prix et en même temps financer la planification écologique. Seul un changement de système, vers une société socialiste démocratique permettrait de mener une politique en notre faveur. 

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Première page de Lutte Socialiste

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