Capitalisme, crise climatique et stratégie socialiste

Se débarrasser des criminels climatiques pour un monde où il fait bon vivre

Les douze derniers mois ont été les plus chauds jamais enregistrés sur la planète, avec une hausse moyenne de 1,58 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Comment gérer la crise climatique ? Les classes dirigeantes sont divisées sur le sujet. Une couche plus “clairvoyante” préconise des mesures limitées qui favorisent l’électrification et l’expansion des énergies renouvelables, le plus souvent dans le cadre d’investissements publics dans des secteurs stratégiques, à l’image de Joe Biden aux États-Unis et du “Green Deal” européen de décembre 2019.

Par Philipp Chmel

Ces plans étaient aussi partiellement une réponse aux mobilisations de masse de la jeunesse de l’année 2019, l’année des “grèves pour le climat”. Même ces mesures extrêmement limitées et insuffisantes sont sous pression, par la droite et l’extrême droite, mais aussi par les dirigeants d’entreprises. En février dernier, 70 PDG de 20 secteurs à forte consommation d’énergie ont dévoilé la “Déclaration d’Anvers”, un accord industriel européen visant à contrer les mesures “vertes” décidées par l’Union européenne. Par ailleurs, les autorités publiques continuent d’offrir de généreuses subventions au secteur des combustibles fossiles : le FMI a estimé ces aides publiques à 7.000 milliards de dollars en 2022 à travers le monde, soit 7,1 % du PIB mondial de cette année-là. Qu’en est-il en Belgique ? Le même rapport parle de 13 milliards d’euros, soit plus de 4 fois le montant des subventions à destination de la SNCB et d’Infrabel la même année.

La rupture métabolique

L’escalade de la crise climatique – et écologique de façon plus globale – est inséparable du maintien du capitalisme. Elle est le produit des contradictions fondamentales d’un système reposant sur la propriété privée des moyens de production et dont l’impératif absolument fondamental est l’accumulation du profit privé. Combien de fois la “compétitivité des entreprises” n’est-elle pas invoquée pour faire barrage aux mesures environnementales, même les plus timides ? L’insolente prospérité d’une infime élite passera toujours avant les besoins des gens et de la planète.

Comme le soulignait déjà Karl Marx à son époque, le capitalisme sape ainsi “les sources originelles de toute richesse : le sol et le travailleur”, phénomènequ’il décrit dans sa théorie de la rupture métabolique. Les ruptures dans les échanges matériels (ressources, déchets et émissions de gaz à effet de serre) entre la nature et la société – le métabolisme social – ne sont pas apparues dans le cadre des relations de production capitalistes, mais ont été considérablement intensifiées et accélérées par celles-ci. Elles ne peuvent être surmontées en restant dans ce système de production. Au cours des dernières décennies, la rupture métabolique est devenue telle que son impact destructeur fait désormais partie du quotidien.

Avec une économie rationnellement planifiée à l’échelle internationale, dont les secteurs clés (finance, industrie, transport en commun et de marchandises, etc.) seraient démocratiquement détenus par la collectivité pour fonctionner dans un cadre commun, avec l’implication décisionnelle des travailleureuse.s, des usagers et des riverains, il serait possible de satisfaire les besoins de la population tout en veillant de façon consciente à la préservation de la nature. C’est la seule manière de garder un contrôle sur la production mondiale qui permette d’en finir avec le monstrueux gaspillage découlant de l’économie de concurrence. On pourrait aussi opérer une transition verte rapide de l’énergie, de l’industrie, de l’urbanisme, etc. tout en débloquant les sommes colossales qu’exige l’adaptation au bouleversement climatique tout en freinant sa dynamique. Tout cela non seulement en garantissant les droits des travailleur.euse.s et même en les élargissant d’une manière que l’humanité ne l’a encore jamais connu.

Ils organisent notre misère, organisons notre colère

Les inégalités extrêmes sont également au cœur des manifestations agricoles déclenchées par les discussions sur la réduction des subventions au diesel. Aujourd’hui, 80% de budget de la politique agricole européenne sont orientés vers moins de 20% des agriculteur.trices: les plus riches et plus rapaces. La politique agricole commune (PAC) est régulièrement présentée comme une politique de protection, c’est en fait un facteur clé du déclin des petites exploitations. Entre 2005 et 2020, le nombre d’exploitations agricoles dans l’Union européenne a baissé de près de 40 %. L’agro-industrie tente aujourd’hui de détourner à son avantage la colère paysanne légitime, mais les deux couches ont des intérêts diamétralement opposés. D’ailleurs, une récente étude (BVA Xsight, avec le soutien de Parlons Climat) démontre que 62% des agriculteur.trices de France estiment que la transition écologique est une nécessité. Seuls 15% y sont opposés.

Ces inquiétudes sont largement partagées. Un sondage Ipsos réalisé en octobre 2023 démontre que “sept personnes sur dix prévoient que le changement climatique aura des conséquences graves dans leur région au cours des dix prochaines années” et que 71% des personnes interrogées ne font pas confiance aux entreprises, car ces dernières “utilisent des affirmations environnementales sans s’engager à un changement réel”. Une autre étude, parue dans la revue Nature (9 février 2024), qui a interrogé 130.000 personnes dans 125 pays, a révélé que “89 % des personnes interrogées demandent une intensification de l’action politique”.

“En avant les salaires, en arrière le CO2 !”

Après l’explosion des manifestations et grèves pour le climat de 2019, différents groupes ont exploré une variété de méthodes et de stratégies, dont l’action directe de masse contre les infrastructures fossiles (Ende Gelände, Code Rouge, Les Soulèvements de la Terre, etc.) et la convergence des luttes en rejoignant les mobilisations contre les oppressions en tant que groupe d’activistes du climat, notamment dans le cas de Gaza et de la Palestine. Greta Thunberg a ainsi déclaré “Il n’y aura pas de justice climatique sur une terre occupée”. Les idées ouvertement anticapitalistes et anti-impérialistes ont clairement fait leur chemin, de même que la liaison des revendications pour en faveur de la justice climatique et de la justice sociale. Le potentiel gigantesque derrière le slogan “Fin du monde et fin du mois, mêmes coupables, même combat” est illustrée par les résultats d’une récente enquête de la Banque européenne d’investissement (novembre 2023, 30.000 personnes interrogées dans 35 pays européens), qui mettent en évidence que les principales préoccupations de la population sont la crise du coût de la vie (68%) et la crise climatique (45%).

Le mouvement le plus impressionnant contre l’industrie destructrice de l’environnement a été observé au Panama, où le plus grand mouvement social depuis des décennies a rassemblé les populations autochtones, les jeunes et les syndicats contre une société minière canadienne en octobre 2023. Après des semaines de barrages routiers, de grèves et de manifestations dans dix villes au moins, la Cour suprême du pays a déclaré inconstitutionnel le contrat minier contesté. Même si nous n’en sommes encore qu’aux toutes premières étapes, le lien renforcé entre activistes du climat et syndicats est extrêmement significatif.

En Allemagne, Fridays for Future et le syndicat Verdi ont uni leurs forces pour la campagne #wirfahrenzusammen (“Nous roulons ensemble”) pour exiger le doublement des capacités de transports en commun du pays d’ici à 2030, ainsi que des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail pour le personnel du secteur. En mars 2023, travailleur.euse.s des transports publics et activistes du climat ont fait grève ensemble dans plus de 40 villes. En mars de cette année, une semaine d’action et de grèves a été organisée, culminant par des manifestations dans tous les États régionaux allemands. Une campagne similaire a récemment été lancée en Autriche aux côtés du syndicat Vida.

Aux États-Unis, des groupes de défense de l’environnement ont rejoint les grévistes de l’automobile sur leurs piquets à l’automne 2023 tandis que le mouvement Sunrise reprenait la défense d’emplois verts sous protection syndicale. En Suisse, le groupe Climate Strike Switzerland (Grève du climat – Suisse) a clairement défendu que “la propriété privée rend impossible la justice climatique”. Il exige l’expropriation du groupe énergétique allemand RWE et la propriété publique démocratique du secteur de l’énergie, appelle les gens à se syndiquer et a rejoint la manifestation syndicale pour l’augmentation des salaires de septembre 2023 avec pour slogan : “En avant les salaires, en arrière le CO2 !”

En Italie, les anciens ouvriers de GKN (pièces d’automobile) ont occupé leur usine depuis juillet 2021, et ont ensuite relancé leur production pour produire des panneaux photovoltaïques. Ils exigeaient tout d’abord la nationalisation sous contrôle démocratique de l’usine, mais n’ont pas été rejoint par les syndicats officiels. Ils ont par contre trouvé un soutien solide chez les groupes féministes et d’action pour le climat. La délégation de GKN fait aujourd’hui partie intégrante des mobilisations pour le climat et contre les oppressions. D’autres délégations de métallos du secteur automobile leur ont emboîté le pas, comme les travailleurs de Marelli à Bologne, ou ceux de Fiat à Turin.

Ces exemples sont très positifs et peuvent servir d’inspiration. Avec l’électrification du secteur automobile, nous verrons de plus en plus de suppressions d’emplois (la construction de voitures électriques nécessite généralement moins de travailleurs) et d’attaques contre les travailleur.euse.s de l’industrie. Des développements similaires peuvent également être observés dans l’industrie sidérurgique européenne. La réponse à ces attaques doit être l’unité dans la lutte des travailleur.euse.s et des mouvements sociaux contre les pertes d’emplois, pour la reconversion durable de la production sous contrôle du personnel ainsi que la nationalisation sous contrôle et gestion démocratiques des travailleur.euse.s.

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