Personnel et syndicats rejoignent la lutte : “Nous occupons pour exiger une action contre le génocide”

Bart Vandersteene s’est entretenu pour Lutte Socialiste avec Emilie Vanmeerhaeghe, membre du personnel de l’université de Gand (UGent) et participante active à l’occupation en tant que militante du syndicat des services publics ACOD (CGSP)-UGent.

Bonjour Emilie, on a pu te rencontrer dès les premiers jours de l’occupation.

“C’est vrai. L’UGent a été la première université belge où l’occupation a commencé, le 6 mai. J’ai rapidement pris l’initiative d’appeler les collègues pour déplacer notre lieu de travail vers l’occupation, dans le bâtiment UFO (Universiteitsforum). Dès le mercredi 8 mai, une dizaine de collègues travaillaient de là. Entre-temps, plusieurs dizaines de membres du personnel s’étaient déjà engagé.e.s dans l’occupation.

“Au départ, de nombreux membres du personnel ont, chacun à leur manière, exprimé leur soutien. Un collègue a écrit une lettre ouverte en réponse à une décision du Conseil d’administration du 3 mai qui ignorait le conseil du Comité des droits humains de l’UGent de ne pas entamer de nouvelles collaborations bilatérales avec des universités israéliennes. En très peu de temps, 1.500 membres du personnel et étudiant.es ont signé cette lettre. Une preuve plus que suffisante que la thématique et la colère sont bien présentes à l’université.”

Depuis lors, des étudiant.e.s et des membres du personnel de l’université se sont mobilisés dans tout le pays, inspirés par les occupations aux États-Unis. Comment les occupant.e.s voient leur rôle dans la lutte contre les génocides?

“Partout, dans toutes les universités, la question est présente. Les gens voient l’implication des gouvernements occidentaux, des entreprises et des universités dans ce qui se passe en Palestine et en Israël. Ils et elles veulent que leur université cesse de collaborer avec les universités israéliennes, car celles-ci jouent un rôle direct dans la politique d’occupation et fournissent des services à l’armée israélienne.

“Nous avons reçu la semaine dernière la visite de Maya Wind, une chercheuse de renommée internationale qui a été interviewée dans tous les journaux. Ses recherches nous aident à comprendre la réalité là-bas. À Gaza, toutes les universités ont été détruites par Israël. Plus de 90.000 étudiant.e.s palestinien.ne.s sont privé.e.s d’enseignement (et de tout le reste). Les universités ont été utilisées pendant des décennies pour la colonisation, l’oppression et la guerre. Ce sont aussi des institutions de falsification de l’Histoire, qui ont forgé l’idéologie justifiant la colonisation et l’oppression. Elles constituent des instruments de répression contre les voix critiques et les protestations.

“Remettre explicitement en question les liens qui existent avec ces institutions conduit également à questionner le rôle des universités et de l’enseignement supérieur en général. En Occident aussi, les universités sont des institutions qui, historiquement et jusqu’à aujourd’hui, ont servi le colonialisme, l’impérialisme et le capitalisme. Plus l’enseignement supérieur devient une marchandise, plus il est difficile de mettre la recherche et la science au service de la collectivité. De la revendication de boycott académique découle donc logiquement celle d’un autre type d’enseignement supérieur, au service des peuples et des opprimé.e.s, et non un instrument au service de l’oppression.

L’implication du personnel dans l’occupation à Gand est plus qu’un acte symbolique de solidarité.

“Oui, et la raison est qu’il y a une grande colère parmi le personnel. Son origine remonte à un certain temps… Dans beaucoup d’autres dossiers, on a constaté un échec total de l’administration de l’université et un manque total de transparence.

“Depuis plusieurs années, nous sommes confrontés à des coupes budgétaires inacceptables imposées au personnel. Et concernant les comportements abusifs et le leadership toxique, l’université obtient de très mauvais résultats. Ce dossier est un exemple de plus dans une pile de problèmes préexistants.

“Dans de nombreuses facultés, le personnel s’est organisé et veut contribuer aux actions pour augmenter la pression. Les étudiant.e.s menaient campagne depuis le mois de novembre et l’administration de l’UGent les ignorait complètement. Écrire une lettre ouverte était une chose, mais participer activement à une occupation était la suite logique. Une fois l’occupation devenue celle des étudiant.e.s et du personnel, le recteur a senti la pression augmenter ; il s’est senti obligé de réagir. Cela montre le rôle que les travailleur.euse.s peuvent jouer, y compris dans d’autres secteurs ou mouvements de lutte.

Quel rôle a joué l’ACOD/CGSP en tant que syndicat ?

“Depuis plusieurs années, la délégation syndicale ACOD a très consciemment construit une culture d’activisme et de combativité, dans une stratégie plus large de construction d’une relation de force à l’avantage du personnel. Dès le début de l’occupation, les militant.e.s de l’ACOD se sont impliqué.e.s. Le 10 mai, nous avons rédigé notre premier appel à rejoindre l’occupation, à lire sur notre site acodugent.be. 

“Nous considérons que c’est une tâche essentielle pour un syndicat de participer à toutes les formes de résistance contre l’injustice, l’oppression et la discrimination. C’est ce que nous avons fait il y a quelques années en luttant avec succès pour un salaire minimum de 14 euros de l’heure pour le personnel de nettoyage. La communauté universitaire compte 50.000 étudiant.e.s et 15.000 membres du personnel. Elle est donc le reflet de ce qui se passe dans l’ensemble de la société. Avec des initiatives comme la grève féministe du 8 mars, le soutien aux actions contre le racisme et notre lutte quotidienne pour le bien-être au travail, nous voulons donner corps à ce que nous estimons qu’un syndicat devrait être et devrait faire.”

Ces étudiant.e.s sont vraiment impressionant.e.s, leur engagement touche bien au-delàs de la communauté étudiante.

“Le personnel aussi est très impressionné par l’organisation des étudiant.e.s qui offrent notamment, au sein de l’occupation, des espaces de soutien pour le bien-être psychologique des participant.e.s. L’action est très disciplinée. Il n’y a pas de place pour l’alcool ou d’autres drogues sur l’occupation. Cela va à l’encontre des clichés dominants sur les actions étudiantes. Il y a un très grand respect mutuel et une approche très inclusive dans l’action. Quel contraste avec les politiques universitaires ! Et vous savez, des liens se tissent et se renforcent dans cette lutte et mèneront à des coopérations à l’avenir.”

Transfert d’armes vers Israël

Plus de 70 tonnes d’explosifs et de munitions transitent via Liège Airport !

Quelle hypocrisie de la part des autorités wallonnes! À l’occasion de la reconnaissance officielle de l’État palestinien par l’Espagne, l’Irlande et la Norvège, Paul Magnette (PS) s’est montré offensif contre le MR : “Nous dénonçons le double discours du MR et de sa ministre Hadja Lahbib, qui se prononce publiquement pour la reconnaissance de l’État de Palestine, tout en empêchant cette reconnaissance au sein du gouvernement fédéral.  (…) C’est une condition sine qua non pour imposer des sanctions à Israël.”Au même moment, les autorités wallonnes et le ministre-président Di Rupo (PS) ferment les yeux sur le transit de tonnes d’armes utilisées au massacre à Gaza. 

Nous avons déjà participé à plusieurs actions devant l’entreprise Challenge à l’aéroport de Liège avec le Collectif Liège Palestine Solidarité tandis qu’une manifestation, le 12 mai, soulignait la responsabilité des autorités wallonnes dans l’alimentation de la machine de guerre israélienne. Aujourd’hui, Amnesty International (AI), la Coordination Nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie (CNAPD), la Ligue des droits humains (LDH) et Vredesactie confirment, preuves à l’appui, que des dizaines de tonnes d’armes légères, de détonateurs et de pièces d’avions de chasse F-35 et F-16 ont transité par l’aéroport de Liège vers Israël depuis les États-Unis. Les données récoltées concernent une dizaine de vols entre le 7 novembre 2023 et le 4 mars 2024 “Rien n’indiquant du reste que le transit d’armes à destination d’Israël par cet aéroport s’est tari après cette date.” Tout cela a été transporté par la compagnie aérienne israélienne Challenge Airlines.

“Nous sommes choqué·es par ce qui semble être au mieux de la négligence et au pire de l’hypocrisie. Alors que depuis des mois les responsables politiques de notre pays s’indignent à juste titre de la catastrophe en cours à Gaza et appellent à un cessez-le-feu, des documents auxquels nous avons pu avoir accès nous apprennent que des dizaines de tonnes de matériel militaire à destination d’Israël ont transité – et transitent peut-être encore – par l’aéroport de Liège”, s’indignent les organisations.

Les autorités régionales wallonnes sont compétentes pour la réglementation du transit d’armes sur le territoire de la Région. Et, début février, elles s’étaient réengagées à ne pas exporter ou laisser transiter des armes à destination d’Israël. C’était déjà le cas depuis une quinzaine d’années, mais plusieurs médias (dont Le Soir) avaient dévoilé que des cargaisons militaires à destination d’Israël avaient transité par la Belgique. Mais il existe un angle mort dans la législation, comme l’explique en toute conscience un employé de Challenge dans un des documents dévoilés : “Je ne peux transporter (la marchandise) QUE sur des vols qui continue avec le même avion. Si nous ne nous y plions pas, nous nous exposons à des sanctions (sic).” La CNAPD, la LDH, Vredesactie et Amnesty International ont donc décidé de lancer prochainement une procédure judiciaire, en citant la Région wallonne en responsabilité devant le Tribunal de première instance de Namur.

En Belgique, une majorité écrasante de la population (près de 75%) s’oppose à l’envoi d’armes vers Israël. Ce potentiel doit être mis en action, en premier lieu sur les lieux de travail: c’est de là que l’on peut contrôler et bloquer le transit. Les syndicats ont donc un rôle de premier plan à jouer pour stimuler et organiser le refus de participer au génocide. Une campagne syndicale doit être lancée de toute urgence pour permettre de concrétiser sur le terrain les appels au cessez-le-feu permanent.

Partager :
Imprimer :
Première page de Lutte Socialiste