Le spectre des restructurations et des fermetures d’entreprises est à nouveau revenu hanter les perspectives économiques du pays. Nous n’avons rien à inventer en termes de méthodes de lutte pour y faire face : construire un rapport de forces à l’avantage des travailleur.euse.s grâce à la solidarité active, les manifestations, la grève, l’occupation d’entreprise. En bref, la lutte de classe. C’est le seul langage que les patrons comprennent. Revenons-nous pour cela sur deux conflits emblématiques des années ’90, Clabecq et Renault, et deux stratégies syndicales.
Le travail syndical est un travail politique
Les Forges de Clabecq ont été déclarées en faillite en décembre 1996. Les délégations syndicales ont alors occupé l’entreprise et repris la sécurité du site en main. Le combat qui s’annonçait allait exiger l’implication maximale des 1.800 travailleurs, mais, avant même la faillite, la délégation FGTB discutait déjà chaque semaine de l’évolution mondiale du marché de l’acier, de la position des Forges, etc. Cette approche avait permis de politiquement préparer les militants pour ce qui allait survenir et, surtout, comment y faire face. Grâce à ces quelques dizaines de militants, toute l’usine était politiquement prête à se battre.
Dans une série d’entretiens réalisée en 2019 pour Lutte Socialiste, l’une des figures centrale de ce combat, Silvio Marra, avait expliqué tout le travail préalable pour la construction d’une telle délégation syndicale de combat, qui ne limitait pas son action au “syndicalisme de beefsteak” comme il l’appelait (c’est-à-dire à ne considérer exclusivement que le volet économique), mais essayait de continuer à faire de la politique – lutte contre le racisme, solidarité avec les autres luttes, etc. – pour élever le niveau de conscience des ouvriers de Clabecq. ‘‘Nous avons participé à beaucoup d’actions, y compris en dehors de l’usine. Je pense notamment à la grande manifestation des sidérurgistes en 1982, aux grèves contre le gouvernement Martens-Gol, au soutien à la grève des mineurs anglais. Chaque événement était l’occasion de discuter pour élever le niveau de conscience politique des ouvriers : le rôle de l’Europe et des holdings lors des restructurations, Thatcher-Reagan et le danger de guerre, le rôle des médias, de la gendarmerie et des tribunaux dans les luttes sociales, etc.”
Un syndicalisme de combat démocratique
À partir de la faillite, le personnel s’est réuni environ toutes les deux semaines dans l’un des halls vides de l’usine, en assemblée générale, pour dresser l’état de lieu de la lutte et lancer des propositions d’actions. Pour faire face à l’usure et au danger de l’isolement de collègues chez eux, les militants de la délégation syndicale veillaient à appeler chacun bien à l’avance et, si nécessaire, à leur rendre visite à la maison.
Les sympathisants d’autres entreprises et les militants de gauche étaient accueillis à bras ouverts, la distribution des tracts et de journaux des divers courants de gauche était considérée comme une précieuse contribution au débat. La délégation recevait fréquemment des militants dans des réunions régulières spécifiques, pour discuter de la façon dont leur capacité organisationnelle et de mobilisation pouvait être mise à profit dans le combat.
Très vite, une mobilisation intense a commencé pour une manifestation de solidarité. Des bus de grévistes se sont rendus aux quatre coins du pays pour populariser l’appel. Et c’est une foule de 70.000 manifestants qui s’est concentrée à Clabecq le 2 février 1997 dans une impressionnante Marche multicolore. À la fin du mois de mars, les travailleurs ont été attirés dans un piège de la gendarmerie sur une autoroute. Les ouvriers ne se sont pas laissés faire, à juste titre. L’occasion a été scandaleusement saisie par les dirigeants syndicaux pour démettre la délégation de ses fonctions. À partir de là, les dirigeants de la délégation ont été poursuivis en justice. Mais après cinq ans, les 13 accusés ont été acquittés sur toute la ligne. Entre-temps, ils avaient réussi à imposer une reprise, un petit miracle. Le redémarrage de l’usine est entièrement dû à la lutte acharnée des travailleurs ainsi qu’au soutien actif de milliers de travailleurs dans tout le pays.
Silvio explique : ‘‘On ne retient souvent de la lutte des travailleurs des Forges que quelques images spectaculaires : la manifestation avec bulldozers à l’entrée de l’autoroute où quelques véhicules de gendarmerie ont été endommagés, ou la marche multicolore de février 1997 où nous avons rassemblé plus de 70.000 manifestants à Clabecq. Mais l’essentiel selon moi a été le combat obstiné pour rassembler un large noyau d’ouvriers politiquement éduqués et combatifs.”
Renault, le contre-exemple
À la même époque, le 27 février 1997, le groupe automobile Renault a annoncé la fermeture du site de Vilvorde. Mais là, au lieu de développer la lutte autour de l’usine, la colère des ouvriers les plus combatifs a été canalisée vers des actions spectaculaires en France au lieu de mobiliser en Belgique, pour une grève nationale de tout le secteur automobile.
Finalement, les secrétaires syndicaux, Karel Gacoms pour la FGTB et Jacquemyn pour la CSC ont fait voter par référendum – et sans donner la parole aux travailleurs en assemblée – la reprise du travail « pour continuer la lutte autrement ». Un tiers des travailleurs ont voté contre la reprise. Karel Gacoms avait alors expliqué : « Nous ne voulons pas d’une longue grève qui épuise les gens. Nous pensons qu’il est nécessaire de reprendre le travail, tout en maintenant l’occupation ». Résultat ? L’usine a complètement fermé, et 400 travailleurs (13% de l’effectif de départ), ont été repris dans des activités annexes. Il avait également défendu qu’il favorisait « de mobiliser tous les moyens pour maintenir Renault ouvert, pas la grève classique, mais des actions orientées vers les médias. Cela devrait obliger les politiciens à reprendre nos mots d’ordre ».
Les décideurs politiques en question ont élaboré la “loi Renault”, censée renforcer l’information et la consultation des travailleurs en cas de licenciement collectif, dont l’efficacité a souvent été remise en cause. Elle a fréquemment été utilisée comme une façon d’occuper les ouvriers en leur imposant de participer à des “consultations” et “séances d’information” qui déviaient l’attention de la construction du rapport de force.