Tout part d’une situation assez courante aujourd’hui : elles sont en sous-effectif, en surmenage, avec une direction qui ne connaît pas le terrain, qui minimise leur réalité, et qui s’attaque aux déléguées syndicales pour les désolidariser. Soutenons les travailleuses(1) de l’AVJ Liège dans leur lutte !
Par Jonas (Liège)
Depuis le 20 février, les aides-soignantes de l’AVJ Liège sont en grève. Il s’agit d’une asbl subsidiée par l’AViQ (Agence pour une Vie de Qualité), qui offre un service d’aide à domicile pour des personnes à mobilité réduite vivant en autonomie dans leur propre logement.
Depuis début 2022, les relations entre les employées et le directeur se détériorent : plus de contact direct avec les travailleuses (assistantes à la vie journalière), aucune réunion pendant plus d’un an, des notes de service menaçantes et une politique antisyndicale. En juin 2023, sous prétexte de « renouer la concertation sociale », le CA a fait appel à un consultant extérieur, un ancien syndicaliste qui aujourd’hui se sert de son expérience pour aider le patronat à « transformer les conflits en coopération ».
« L’important pour un directeur, c’est d’être à l’écoute de son personnel et de connaître le terrain. Lui, il vient nous contredire sur quelque chose qu’on connaît bien et que lui ne connaît pas : le terrain», expliqueAurore Gonzalez, déléguée Setca
Ce soi-disant sauveur du dialogue social a lui-même pris soin de radicaliser le conflit en s’en prenant aux déléguées syndicales et à toute personne marquant une opposition. Concrètement, depuis juin dernier, 36 mises à pied avec pertes de salaire ont eu lieu, et bien plus encore d’avertissements. Certaines travailleuses parlent de menaces, de violences verbales et même de brutalités physiques lorsqu’elles tentent de défendre leurs droits. On le surprend à utiliser des termes tels que « maladie de complaisance » pour parler d’une suite d’arrêts maladie au sein du service !
Il faut dire que les conditions de travail sont difficiles. D’un côté il y a la pénibilité liée au métier lui-même (les dos qui s’abîment à force de porter les personnes), mais aussi à cause d’un sous-effectif réel et des postes non-remplacés ; des travailleuses à mi-temps qui se retrouvent avec des horaires de plein-temps ; une assistante, elle-même diabétique, à qui on impose un remplacement au pied levé sans qu’elle ait aucune solution pour faire garder ses deux enfants. Les exemples se multiplient et les corps se fragilisent au travail jusqu’à être à bout : en 10 ans, deux personnes sont décédées de crises cardiaques sur leur propre lieu de travail.
Les représentantes syndicales affirment avoir tout fait pour renouer le dialogue avec la direction et tout fait pour être entendues. Mais, comme dans bien d’autres organismes publics aujourd’hui, on applique des méthodes managériales de start-up pour un service de première nécessité.
A force d’être niées dans leurs réalités et leurs revendications, les travailleuses de l’AVJ ont finalement opté pour la grève, suivie par presque l’intégralité du service.
Depuis le premier jour, la direction (représentée par le consultant) entre en offensive contre les syndicats et les travailleuses. De manière tout à fait illégale, elle a tout d’abord profité de la grève pour tenter de revenir sur le règlement et rétablir les gardes de 24h, que les travailleuses avaient réussi à supprimer lors d’une lutte en 2015.
Comme c’est une activité vitale pour les bénéficiaires, les grévistes sont réquisitionnées pour un service minimum. A partir de la seconde semaine de grève c’est le gouverneur qui donne l’ordre de réquisition, transmis par la police directement chez les grévistes. Depuis, c’est une lutte acharnée : par une requête unilatérale de l’employeur, le tribunal de Liège a brisé la décision de réquisition du ministre de l’emploi, réquisitionnant deux personnes au lieu d’une par pause. C’est une attaque directe au droit de grève.
Il y a aussi une lutte pour convaincre les bénéficiaires de s’allier à leur cause : il est évidemment dans leur intérêt que leurs assistantes journalières soient traitées dignement. Cependant, le président de l’asbl étant lui-même bénéficiaire, il y a un conflit d’intérêt qui joue en faveur de la direction pour influencer les autres bénéficiaires.
Les grévistes réclament à l’AViQ et à la ministre la suspension du directeur, du consultant ainsi que du président. A la place elles demandent un administrateur provisoire avec qui renouer le dialogue. Cela est absolument nécessaire pour retrouver un cadre apaisé.
Cependant il y a un enjeu systémique qui se joue ici. Ce type de situations se reproduit régulièrement : le surmenage, les congés maladies qui s’enchaînent, le harcèlement au travail, les difficultés avec la garde d’enfants, les corps qui fatiguent et s’esquintent, et tant d’autres problématiques liées aux métiers du soin. Comment s’assurer que les conditions de travail s’améliorent réellement et profondément à l’AVJ ?
Pour résoudre les problèmes de fond, il nous semble nécessaire d’augmenter le financement de l’AVJ (et du secteur social en règle générale) afin de recruter du personnel. Cela soulagerait la surcharge de travail tout en assurant un service de qualité aux bénéficiaires. Pour être plus clair : une baisse du temps de travail compensée par de l’embauche, avec maintien des salaires.
Ensuite, il faudrait mettre en place un contrôle démocratique par le personnel et les usagers. Cela aurait pour bénéfices à la fois de prévenir les abus de pouvoir, mais aussi de mettre à la table les travailleuses et les bénéficiaires pour gérer ensemble les problèmes. Ce serait aussi le moment de réclamer une médecine du travail adéquate, qui ne soit pas là pour contrôler les fraudes, mais plutôt pour surveiller l’usure des corps due à la pénibilité au travail. Le but est de prévenir de réelles souffrances physiques, et même d’éviter des drames tels que l’AVJ Liège a déjà connu ces dernières années. Enfin, pourquoi ne pas réfléchir à la mise en place d’un système de garderie, pour éviter de laisser les enfants seul.es en cas de remplacements de dernière minute ?
Cette grève est salutaire : il faut que les travailleur.euses s’organisent, soutenu.es par leurs syndicats, pour faire face au sous-effectif, aux harcèlements au travail, aux abus de pouvoir, et aux attaques directes qui sont faites contre leurs droits. Alors que les métiers du soin sont largement féminisés et que nous venons de manifester pour les droits des femmes le 8 mars dernier, ne laissons pas retomber cette énergie combative. Soutenons la lutte des travailleuses de l’AVJ !
Rendez-vous mercredi 13 mars à 11h pour une manifestation devant le tribunal de Liège, à la hauteur de l’aile sud du Palais de Justice !
- Comme la grande majorité sont des femmes, nous choisissons ici d’en parler au féminin.