Si le pouvoir n’est pas au Parlement, où se trouve-t-il donc ?

Début 2022, alors qu’il venait d’être élu président du PTB, Raoul Hedebouw expliquait sur RTL : « Nous sommes dans une société de classes et c’est cela que l’on veut changer ». Puis, poursuivant sur sa lancée : « Je crois qu’il faut une révolution, clairement. » On imagine sans peine quelques amis de Georges-Louis Bouchez et Bart De Wever recracher leur café… Moins de deux ans après, le PTB est à 20% dans les sondages en Wallonie (en 2e position, à peine à un cheveu du PS selon le sondage IPSOS-Le Soir de fin septembre), à 15% à Bruxelles et à 10% en Flandre. Avant même que la moindre campagne électorale n’ait été lancée…

Par Nicolas Croes

Qui détient le pouvoir ?

Nous sommes toujours du côté de Raoul Hedebouw quand, dans la même émission, il tirait comme constat : « Le vrai pouvoir en Belgique, il n’est pas au parlement, cela fait 7 ans que je ne vois pas le pouvoir au parlement. Le pouvoir, il est chez les ministres, dans les cabinets. Et qui dirige, qui fait du lobby terrible? Ce sont les multinationales. »

Comment expliquer autrement qu’en 2020 encore, la Belgique a octroyé près de 13 milliards d’euros de subsides directs et indirects aux énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz fossile)?(1) Comment expliquer autrement que lorsque le tribunal de l’Union européenne a jugé que les exonérations fiscales accordées par la Belgique à des multinationales étaient illégales, la Belgique a contesté la décision ? Depuis 7 ans, l’Etat belge est engagé dans une bataille juridique pour éviter d’aller récupérer 700 millions d’euros d’impôts impayés chez AB InBev, le groupe britannique pétrolier BP, le chimiste allemand BASF, Proximus, Pfizer, Celio ou encore Bridgestone.(2) On pourrait encore parler des largesses complices des autorités vis-à-vis de la fraude et de l’évitement fiscaux.

Construire un contre-pouvoir

Raoul Hedebouw soulignait encore : « Je crois en le pouvoir de la rue et en une mobilisation parlementaire. Il y a une dynamique qui est en marche, mais il faudra du temps ». La question est essentielle: comment pleinement utiliser la force d’un parti comme le PTB – ses milliers de membres, ses nombreuses positions syndicales, ses talents et moyens de communication – pour accélérer la dynamique vers un véritable changement ?

La meilleure campagne, c’est la lutte sociale. Les sommets syndicaux font tout leur possible pour mettre les mobilisations syndicales en veilleuse jusqu’aux élections, un calcul dangereux pour protéger les « partis-amis » au pouvoir. Le plus efficace pour imposer nos revendications dans le débat public, c’est la mobilisation, la manifestation de masse, la grève, la contestation devant les sièges des partis traditionnels. Ceux-ci seraient dès lors contraints de se prononcer au sujet des préoccupations des travailleuses et travailleurs au lieu d’alimenter une surenchère raciste dont seul profite le Vlaams Belang. La lutte sociale, c’est aussi la meilleure manière d’empêcher l’extrême droite de capter la colère et les frustrations quotidiennes. Ce n’est pas rien, le Vlaams Belang menace d’arriver en première place en Flandre.

Une telle dynamique de lutte est également importante pour construire la confiance dans l’action collective et préparer les combats à venir, une fois les élections passées. En septembre, Raoul Hedebouw expliquait dans Le Soir : « Pour être honnête vis-à-vis de notre base aussi, ça va être très difficile, en négociations, d’arriver aux niveaux régional et fédéral à des points de rupture suffisants en termes de stratégie. » Sophie Merckx, Cheffe de groupe PTB à la Chambre, écarte elle une participation régionale : « Quand l’Europe va dire ‘vous devez appliquer l’austérité dans votre pays’, est-ce qu’on va le faire ou est-ce qu’on va ensemble avec le peuple se révolter contre ça ? » Mais 2024, « C’est aussi les élections communales et là, on a de grandes ambitions ».

Le PTB n’explique pour l’instant pas comment il compte affronter la tutelle financière de la Région qui pèse sur dix des dix-neuf communes bruxelloises. En Wallonie, des villes comme Charleroi et Liège dépendent toujours du Centre régional d’aide aux communes, le Crac, sorte de FMI wallon qui impose l’austérité et une stricte orthodoxie budgétaire en échange d’aides financières. La camisole de force budgétaire existe à tous les niveaux de pouvoir, la révolte doit être organisée à la même échelle pour la briser.

Le temps presse

La préoccupation centrale actuelle du PTB est en réalité de tout d’abord acquérir une expérience à l’échelon local avant de viser plus loin. Le mouvement social au sens large, des associations aux organisations syndicales, ne manque pourtant ni d’expériences ni de talents. Le PTB peut les engager à ses côtés en utilisant sa campagne dans le but affiché de parvenir non pas simplement à des gouvernements de « gestion sociale » du statu quo avec le PS et ECOLO, mais à de véritables gouvernements de rupture reposant sur la force et la pression du mouvement des travailleurs, dans le respect de sa diversité.

Nous aussi, nous croyons qu’il faut une révolution, c’est-à-dire la fin de la propriété privée des grands moyens de production. Mais nous estimons aussi qu’elle ne tombera pas du ciel et qu’il faut lui préparer le terrain. Le système capitaliste actuel est plongé dans une « ère du désordre » où tourbillonnent guerres, crise climatique, drames sociaux ainsi qu’une polarisation politique qui est une véritable course contre la montre face aux monstres d’extrême droite ou fondamentalistes religieux. Y faire face exige un sens de l’urgence et une stratégie claire et ouverte vers la transformation socialiste de la société.

  1. Calculs réalisés par l’administration fédérale des Finances et celle de l’Environnement, sur base des informations disponibles au 15 mars 2021. Le Soir, « La Belgique subsidie toujours massivement les énergies fossiles », 2 mai 2023.
  2. « La justice européenne confirme l’illégalité du régime fiscal belge réservé aux multinationales », LesEchos.fr, 23 septembre 2023.
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Première page de Lutte Socialiste