Nos caddies restent inabordables, et ce n’est pas près d’être fini…
Alors que les produits alimentaires représentent la deuxième dépense du budget des ménages, la hausse du prix des courses est vertigineuse : +18,3% en un an. La hausse était déjà de 7,4% l’an dernier. 63 % des ménages raccourcissent leur liste de courses (Grand Baromètre, 11 juin 2023) et se tournent vers les produits blancs et les légumes surgelés. Les portions diminuent dans les assiettes. Parfois on saute même un repas. Ce rationnement est plus important chez les électeurs du PTB et du PS. Chez les banques alimentaires, les files s’allongent.
Par Boris Malarme
Ce constat affligeant, on le connaît trop bien ! Mais la justification – défendue par la fédération patronale du secteur, la Fevia – selon laquelle l’envolée des prix ne serait qu’une répercussion de la hausse des coûts de l’industrie agroalimentaire est mise à mal et a changé le débat public et politique. Le choix des grandes entreprises d’augmenter leurs marges bénéficiaires est de plus en plus largement identifié comme jouant un rôle significatif dans l’inflation, y compris parmi les économistes et politiciens procapitalistes. On appelle cela la greedflation, la hausse des prix sur base de la cupidité. En réalité, c’est tout simplement comme ça que marche le système capitaliste.
Greedflation : pour une opération-vérité !
Selon la BCE (Banque Centrale européenne), deux tiers de l’inflation dans la zone euro s’expliquerait par un gonflement des profits des entreprises, contre un tiers entre 2019 et 2022. L’inflation des prix à la production en zone euro est retombée à son plus faible niveau depuis juillet 2021, mais l’inflation sous-jacente continue de croître. Ainsi, de nombreux secteurs, comme l’agriculture, l’énergie, la construction, la production manufacturière et les services ont vu leurs profits grimper bien plus rapidement que les coûts salariaux. La BCE souhaite avertir contre un contexte favorable à l’émergence de luttes pour de meilleurs salaires et face au discrédit croissant du capitalisme sur fond d’appauvrissement collectif.
La Belgique n’est pas épargnée par le phénomène. Selon Olivier Malay, économiste à l’UCL, la greedflation en Belgique en 2021 et 2022 aurait atteint 35 milliards d’euros; des années où les marges bénéficiaires ont atteint des sommets. Même le journal patronal L’Écho se réfère à l’étude d’un économiste de la CSC pour démontrer qu’en Belgique, ce sont bien les profits et non pas les salaires – et leur indexation automatique – qui ont alimenté le plus fortement l’inflation en 2022. Il était de toute façon peu convaincant d’attribuer la faute aux salaires pour l’industrie agroalimentaire, alors que leur part dans les coûts de production en Belgique ne représente que 10 %.
Durant la séquence de lutte pour le pouvoir d’achat de juin-décembre 2022, le PSL a défendu la nécessité d’une « opération-vérité » pour répondre aux mensonges patronaux (tels que la prétendue spirale prix-salaire) de l’ampleur de celle qui a précédé la grève générale de l’hiver 60-61. Que cela soit concernant l’impact de l’indexation automatique des salaires pour repousser la récession ou la spirale prix-profit, même les études de la classe dominante nous donnent raison. Les syndicats pourraient en faire usage et mener une campagne de masse sur les lieux de travail et dans les quartiers. Cela préparerait la classe travailleuse et l’opinion publique à s’impliquer dans un plan d’action ambitieux. Mais les dirigeants syndicaux espèrent simplement que la social-démocratie intègre la révision de la « loi-prison » de 1996 sur les salaires dans un futur accord de gouvernement après les élections.
Réguler ou nationaliser l’agroalimentaire ?
Selon l’ONU, les cours des biens agricoles mondiaux ont baissé de plus de 20% depuis le pic de mars 2022. Tout comme dans d’autres secteurs, les profiteurs de crise ont été de la partie dès le début. Ainsi selon une étude de Greenpeace, 20 géants mondiaux de l’agrobusiness ont rapporté 53,5 milliards de dollars à leurs actionnaires en 2020 et 2021. La baisse du prix du blé, de l’énergie et du fret maritime depuis lors n’a pas entamé la hausse des prix. La part des profits dans l’inflation croît. Par exemple, en 2022, les recettes d’Unilever et ses 400 marques ont augmenté de 14,5 % pour une baisse de volume des ventes de 2,1 %. Ce trust réalise 8 milliards de profit net, soit une hausse de 25 %! Même chose chez Coca-Cola et ses 500 marques qui, malgré ses profits colossaux en 2022, viennent encore d’augmenter leurs prix de 11% au 1er trimestre 2023.
En France, le débat sur la greedflation ou profitflation sur le prix des courses a pris de l’ampleur suite à une étude d’un think tank proche de la France Insoumise. Celui-ci a révélé qu’après mars 2022, la majorité de la hausse des prix est due à la part des profits. Suite à cette étude, des figures de la France Insoumise ont demandé un contrôle des prix, mais aussi parfois la restauration de l’indexation automatique des salaires. En réponse, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a pu compter sur 75 entreprises agroalimentaires pour annoncer une anticipation de baisse de prix sur certains produits dès le 1er juillet.
Le débat s’est exporté ici. À un an des élections, le ministre de l’Économie Pierre-Yves Dermagne (PS) souhaite remporter un trophée à la Bruno Lemaire. Il menace même de publier la liste des grandes entreprises qui refuseraient une baisse de prix à la mi-juillet (au lieu de début 2024), au vu de leur marge bénéficiaire record. Un rapport concernant la hausse des prix et les profits du secteur comparé aux pays voisins est attendu. Le PS propose une loi pour forcer le secteur à négocier les prix qu’il pratique selon le résultat de ce comparatif. En cas d’absence d’accord, le gouvernement pourrait alors intervenir pour fixer le prix sur certains produits de base. Au sein de la Vivaldi, la droite freine des quatre fers. Elle suit la position du gouvernement hollandais de ne pas intervenir, ou tout au plus, de négocier avec la Fevia.
L’idée de réguler le marché et les prix est également défendue par le PTB. La FGTB propose une taxe sur les surprofits à l’instar de celle sur l’énergie, car « Cela incitera peut-être les entreprises à réfléchir avant de gonfler leurs marges et leurs prix ». Pour conclure que « Tout se résume en tout cas à une question de régulation. Les choses ne se résoudront pas d’elles-mêmes ». La droite contre-attaque en disant qu’un contrôle des prix sur base du marché se répercute inévitablement ailleurs. La compétition capitaliste poussera à trouver un moyen de contourner ces règles, d’une façon ou d’une autre. La réalité, c’est qu’on ne contrôle pas ce qu’on ne possède pas. Lors de l’explosion du prix de l’énergie, un débat sur la nationalisation et le contrôle par la collectivité du secteur a été soulevé ; il en va de même ici. La question doit être posée comme une de nos tâches dans la lutte contre la vie chère.