Victor Serge (1890-1947), compagnon de route de la Révolution 

Victor Kibaltchitch naît à Ixelles le 30 décembre 1890. Son père, étudiant en médecine, pauvre et sympathisant du mouvement populiste russe a dû fuir la Russie tsariste. Victor connaît une enfance difficile en raison de la désunion de ses parents et des conditions de pauvreté familiale. Son jeune frère, Raoul, meurt à 9 ans de tuberculose et de faim. Victor n’ira jamais à l’école mais recevra une solide éducation littéraire de sa mère et une formation générale solide (histoire, géographie, sciences) de son père.

Par Guy Van Sinoy

À 15 ans, apprenti photographe, il commence à militer à la Jeune garde socialiste d’Ixelles. Ce groupe d’Ixelles proteste contre l’annexion du Congo par la Belgique(1) et quitte le POB pour fonder le Groupe Révolutionnaire de Bruxelles et rejoindre une colonie anarchiste à Stockel.

Anarchiste à Paris

En 1909,  Serge part pour Paris où il est appelé à diriger le journal L’Anarchie, où il signe ses articles du pseudonyme Le Rétif. Il participe aux manifestations de protestation contre l’exécution de Francisco Ferrer(2). Pendant quelques mois il cohabite avec son ami Raymond Callemin qui fait déjà partie de la «bande à Bonnot»(3). Il les voit devenir des tueurs mais refuse de les dénoncer. Lors de l’arrestation des membres du groupe Bonnot, en 1912, Victor Serge est inculpé de complicité. La Cour d’Assises de Paris le condamne à 5 ans de détention à la prison de Melun où il remplit les fonctions d’imprimeur et de correcteur. Il en profite pour améliorer sa connaissance des langues étrangères(4).

Barcelone, Nin et la CNT

À sa sortie de prison, il est expulsé vers la Catalogne où il milite à la CNT anarcho-syndicaliste et se lie d’amitié avec son principal animateur : Andres Nin. Il écrit dans Tierra y Libertad deux articles qu’il signe du nom de Victor Serge : l’un pour défendre le socialiste autrichien Fritz Adler qui vient d’abattre Karl Stürgkh (ministre président autrichien), l’autre pour saluer la révolution russe qui vient d’éclater. 

La grève générale espagnole de l’été 1917  est cependant un échec et Nin doit revenir en France où il est interné pour ne pas avoir respecté une interdiction de séjour. Après de longues tractations, il est finalement échangé avec des officiers blancs détenus en Russie. 

Au service de la Révolution

À peine arrivé à Petrograd, Victor Serge se met au service du Komintern où ses connaissances linguistiques pourront servir la révolution. Il entre dans l’équipe de Zinoviev, président de l’Internationale communiste. Au cours des années suivantes, il est responsable de l’édition française d’Inprekorr.  En plus de ses qualités de journaliste, il devient un auteur talentueux C’est à cette époque qu’il se rapproche d’Andres Nin qui vient, à travers l’Internationale syndicale rouge (ISR), d’adhérer au Komintern.

Il assiste à l’échec de la révolution allemande en automne 1923. Dès la même année, il suit avec attention le conflit au sein du parti bolchevik qui se développe entre Trotsky et Staline. Victor Serge rejoint l’opposition de gauche animée par Trotsky. Il dénonce la dégénérescence stalinienne de l’État soviétique et du Komintern ainsi que ses  conséquences désastreuses pour la révolution chinoise de 1927. 

Déporté puis libéré

En 1928 il est exclu du Parti communiste d’Union soviétique pour « activité fractionnelle » et placé sous surveillance. En 1933 il est condamné à 3 ans de déportation à Orenbourg, dans l’Oural. Une campagne internationale pour sa libération se développe en France dans les milieux littéraires, où il est devenu un auteur connu. 

Depuis Prinkipo, où il est en exil, Trotsky participe à la campagne pour la libération de Victor Serge. Il est libéré en avril 1936. Expulsé d’URSS il revient en Belgique où il s’établit à Uccle. Il collabore au quotidien liégeois La Wallonie où il écrit plus de 200 articles sur l’URSS, l’Allemagne et l’Espagne.

Le POUM et la révolution espagnole

Attaché à l’Espagne qu’il connaît depuis 1917, Serge soutient son ami Andres Nin qui dirige le Parti Ouvrier d’Unification marxiste (POUM), un parti implanté en Catalogne issu de la fusion en 1935 entre la Gauche communiste d’Espagne et le Bloc ouvrier et paysan. Trotsky est en complet désaccord avec le POUM  qui participe au gouvernement de Front populaire en Catalogne (Nin est ministre de la Justice !) À partir de cet instant, les ponts sur le plan politique sont rompus en Nin et Trotsky.

Marseille, Mexico

L’invasion de la Belgique et de la France par les troupes nazies oblige Victor Serge à fuir vers Marseille (en zone non occupée). De Marseille il parvient à prendre un bateau vers le Mexique où il arrive en 1941, après l’assassinat de Trotsky. Victor Serge continue son activité littéraire et meurt d’un accident cardiaque en 1947.

Quels que soient les désaccords tactiques – parfois profonds – avec Victor Serge, il demeure un auteur indispensable à lire par toutes celles et ceux qui luttent pour la révolution…

  1. Au congrès du Parti Ouvrier Belge de 1909, lors de la discussion sur le transfert de l’État du Congo à la Belgique, 5 délégués JGS d’Ixelles quittent le congrès en scandant : « Le Congo aux Congolais ! »
  2. Francisco Ferrer, pédagogue catalan fondateur d’une école moderne rationaliste.  En 1909, une manifestation de masse de protestation contre l’envoi de troupes espagnoles au Maroc, tourne à l’émeute à Barcelone (76 morts). Dénoncé par le clergé catholique comme l’instigateur de la manifestation, Ferrer est condamné à mort et fusillé à l’issue d’un procès bâclé .
  3.   « Bande à Bonnot » : groupe d’anarchistes spécialisé dans l’attaque à main armée des transporteurs de fonds.
  4. En plus du français et du russe, Victor Serge apprend l’allemand, l’espagnol, le polonais, l’italien, le portugais et l’anglais.

Œuvres de Victor Serge

  • Les Anarchistes et l’Expérience de la Révolution russe (1921)
  • La Ville en Danger (1924)
  • Lénine 1917 (1925)
  • Les Coulisses d’uns Sûreté générale : l’Okhrana (1925)
  • Le Tournant obscur (1926)
  • La Lutte de Classes dans la Révolution chinoise (1927)
  • L’An I de la révolution russe (1930)
  • Les hommes dans la prison (1930)
  • Naissance de notre force (1931)
  • Littérature et Révolution (1932)
  • Ville conquise (1932)
  • Notes d’Allemagne (1933)
  • Destin d’une Révolution, URSS 1917-1937 (1937)
  • S’il est Minuit dans le Siècle (1938)
  • Portrait de Staline (1940)
  • Retour à l’Ouest (1940)
  • Mémoires d’un Révolutionnaire (1941)
  • L’Extermination des Juifs de Varsovie (1944)
  • Les Derniers Temps (1946)
  • Les Années sans Pardon (1946)
  • Carnets (1947)
  • L’Affaire Toulaev (1948)
  • Vie et mort de Léon Trotsky (1951)

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Première page de Lutte Socialiste