Nos camarades mexicains nous ont informés de la mort d’Esteban Volkov, le petit-fils de Trotsky. Esteban était le fils de Platon Volkov, mort en Sibérie en 1937, et de Zinaida Volkova, suicidée à Berlin en janvier 1933, elle-même fille de Léon Trotsky et d’Alexandra Lvovna Sokolovskaïa, première épouse de Léon Trotsky, tuée en Sibérie en 1937.
Son enfance avait été marquée par l’exil. Alfred et Marguerite Rosmer l’avaient conduit à Mexico, où il a pu fréquenter son grand-père et Natalia Sedova, seconde épouse de Trotsky, jusqu’à ce soir fatidique d’août 1940, quand Trotsky a été assassiné par un agent de Staline. Il avait lui-même été blessé au cours d’une précédente tentative d’assassiner Trotsky. Toute sa vie, Esteban a fièrement assumé le rôle de « petit-fils de Trotsky » et a tout fait pour entretenir la mémoire de son grand-père et de ses idées. Il a vécu sa vie au Mexique, jusqu’assez tard dans ce qui avait été la maison de Trotsky à Coyoacán, qu’il a ensuite gérée comme musée. Chimiste de réputation internationale, il a contribué de manière importante à la mise au point de la pilule contraceptive et de ses procédés de production.
En 1988, alors que le régime stalinien s’effondrait au moment de la « perestroïka » et la « glasnost » de Mikhaïl Gorbatchev, Esteban avait pris la parole lors d’un meeting de la tendance Militant (organisé par l’ancienne section britannique d’ASI) à Londres. Son intervention aurait pu se limiter à des souvenirs personnels concernant son grand-père, mais Esteban a fait ce que Trotsky lui-même aurait fait en lançant à l’assistance un défi politique au régime stalinien moribond.
Esteban avait été heureux de découvrir que, trois ans seulement après son discours, les membres du Comité pour une Internationale Ouvrière (aujourd’hui Alternative Socialiste Internationale) avaient contribué à publier l’ouvrage majeur de Trotsky, « La révolution trahie », pour la première fois en Union soviétique à un tirage de 100.000 exemplaires.
Pour marquer avec respect la disparition d’Esteban, nous republions ici le discours qu’il a tenu lors de ce meeting de 1988.

Réhabiliter Léon Trotsky
« Je voudrais saluer chaleureusement et fraternellement tous ceux qui participent à cette importante rencontre. Nous observons avec intérêt les changements mis en oeuvre par Gorbatchev en Union soviétique, qui ouvrent de nouvelles voies et semblent marquer la fin d’un des chapitres les plus sinistres de l’histoire de ce siècle : l’ère stalinienne.
En même temps, je voudrais exhorter tous les pays fondés sur la nationalisation des moyens de production à revenir sur la voie d’un véritable socialisme basé sur la liberté et la démocratie ouvrière et à rétablir pleinement la vérité historique.
Après la grande victoire en Russie, en octobre 1917, de la première révolution socialiste prolétarienne du monde, menée avec succès par le parti bolchevique avec Lénine et Trotsky à sa tête, le processus de progrès historique a été momentanément arrêté, la révolution étant confinée dans les limites de ses frontières nationales. Dans un contexte de pénurie et d’arriération énormes, cette situation a donné naissance à la contre-révolution dirigée par Joseph Staline.
Celle-ci a engendré l’une des tyrannies les plus barbares des annales de l’histoire qui est devenue un obstacle colossal à l’avènement d’un véritable socialisme sur notre planète. Pour retrouver la voie du socialisme authentique, il est indispensable de dénoncer sans réserve les mensonges, les falsifications, les trahisons, la tyrannie et les crimes du régime stalinien.
Le silence est synonyme de complicité. Ces méthodes et procédures, plus appropriées à l’inquisition et au tsarisme qu’aux idéaux du marxisme, doivent être éliminées. Parmi les innombrables trahisons et crimes du régime stalinien contre le socialisme et l’humanité, il faut citer les suivants :
L’abolition de toute liberté d’expression, de la démocratie et du pouvoir politique de la classe ouvrière au sein de l’Union soviétique.
L’imposition d’un système de mensonges et de calomnies à tous les niveaux, et la falsification de l’histoire comme « méthode générale ».
L’abandon de l’internationalisme et la trahison de la classe ouvrière, en concluant des accords et des alliances avec ses ennemis les plus vicieux – Tchang Kaï-chek, Hitler, Batista et d’autres.
L’envoi de dix à quinze millions de citoyens soviétiques comme esclaves dans des camps de travail forcé dans les régions les plus inhospitalières de l’Union soviétique. Ce travail forcé, utilisé pour les grands travaux d’infrastructure du pays, constituait un pilier important de l’économie russe de l’époque.
L’extermination de tous les camarades bolcheviks de Lénine, ainsi que la destruction de larges pans du parti communiste de l’époque, jugés coupables des accusations les plus absurdes, et l’assassinat des dirigeants les plus célèbres après la farce grotesque des fameux procès de Moscou.
Le bras meurtrier de Staline s’est étendu jusqu’au Mexique pour faire taire la voix de ce marxiste révolutionnaire, proche collaborateur de Lénine et organisateur de l’Armée rouge : Léon Trotsky.
Dans sa paranoïa, Staline a même décapité l’Armée rouge en exécutant ses généraux et officiers les plus brillants et les plus expérimentés peu avant l’invasion d’Hitler. Le pays s’est ainsi retrouvé pratiquement sans défense face aux nazis, dont les armées sont parvenues sans grande difficulté à pénétrer au cœur même de la Russie, en arrivant littéralement aux portes de Moscou, infligeant des pertes colossales et des destructions sans limites. En fait, dans cette première phase de la guerre, les nazis n’ont été arrêtés que par des problèmes de logistique, dans l’immensité de la Russie soviétique, et par l’arrivée du « général hiver ». En mettant ainsi en danger la survie de l’URSS, Staline aurait dû être condamné pour crime de haute trahison. Le rôle de Léon Trotsky a été très différent lorsqu’il a créé l’Armée rouge et qu’il a mené avec succès la lutte contre les armées ennemies qui attaquaient les jeunes États soviétiques sur tous les fronts.
Un autre crime de Staline et du système qu’il incarnait a été d’étouffer l’inépuisable potentiel de créativité humaine suscité par l’enthousiasme d’une véritable société socialiste, qui a été empêchée de voir le jour.
De nombreux crimes du stalinisme ressemblent davantage à des romans d’horreur qu’à l’histoire du XXe siècle. Ces événements ont laissé derrière eux des millions de victimes innocentes qui réclament d’urgence justice devant le tribunal de l’histoire. Les noms de chacune des victimes doivent être révélés. Il ne faut plus tarder à les laver de toutes les calomnies et fausses accusations ; leurs familles doivent être indemnisées, matériellement ou moralement, pour les préjudices et les souffrances qui leur ont été si injustement infligés.
L’esprit humain est l’instrument le plus merveilleux que l’humanité possède, mais il ne peut s’épanouir dans un cachot sombre et humide. La motivation, l’information et la communication lui sont indispensables. C’est une chose que Staline n’a jamais comprise – ou peut-être qu’il ne l’a que trop bien comprise ! Pour revenir au socialisme réel, il est vital de pouvoir penser, parler et discuter librement et d’exercer le droit de décider et de voter démocratiquement à tous les niveaux de la vie soviétique.
La tâche de rétablir la vérité historique sur les protagonistes de ces luttes incombe à l’homme qui fut deux fois président du Soviet de Petrograd, collaborateur intime de Lénine, organisateur de l’Armée rouge, le révolutionnaire russe et théoricien du marxisme, Léon Trotsky.
Cet indomptable défenseur de la classe ouvrière, l’un des principaux artisans de la victoire de la révolution russe et de la fondation de l’Union soviétique, a été le premier à dénoncer les déviations et les trahisons de Joseph Staline à l’encontre des idées du marxisme et de la révolution d’octobre. Il a mené contre eux une lutte implacable et est devenu pour cela le révolutionnaire le plus persécuté de la planète.
Pour que la « glasnost » soit crédible et réussisse, il ne peut y avoir de zones interdites. Léon Trotsky doit maintenant être libéré de l’avalanche de fausses accusations, de mensonges, de calomnies et de falsifications déversés sur lui et ses idées en Russie et dans d’autres États ouvriers déformés depuis plus d’un demi-siècle. La justice exige qu’il occupe désormais la place qu’il mérite dans l’histoire de l’Union soviétique. Ses œuvres, ses écrits et ses thèses politiques doivent être publiés, discutés librement et évalués objectivement, tout comme les écrits d’autres personnes qui ont joué un rôle dans la révolution russe et dans la pensée humaine universelle.
Les idées du marxisme n’ont en aucun cas perdu leur pertinence. La société capitaliste a généré des connaissances et un développement scientifique inimaginables, mais elle n’a pas trouvé, et ne trouvera jamais, la formule pour éradiquer la faim, la misère et l’injustice de notre planète. Au contraire, elle a placé l’humanité au bord d’une conflagration atomique infernale.
L’alternative serait un système socio-économique où l’homme maîtriserait son propre destin et ne serait pas un simple objet que l’on utilise et dont on se débarrasse. Socialisme réel ou barbarie, tel est le choix qui s’offre à nous.