Syndicalistes, pas criminels ! Contre la répression, la solidarité dans l’action

Conflit social chez Delhaize. Des huissiers et la police brisent les piquets. Des huissiers se rendent au domicile de syndicalistes pour signifier une contrainte. Un canon à eau est placé devant une réunion de conciliation. Des syndicalistes sont emmenés menottés. Un juge outrepasse sa compétence territoriale en interdisant des actions dans tout le pays. Un autre estime que le droit commercial est plus important que le droit de grève. La police arrête des voitures de syndicalistes « à titre préventif » et leur interdit de mener des actions. Et que fait le gouvernement ? A la veille de la manifestation du 22 mai en défense du personnel de Delhaize et des droits syndicaux, la coalition Vivaldi (y compris PS et ECOLO, donc) discute d’un projet de loi introduisant dans le code pénal une nouvelle peine d’interdiction de manifester sur la voie publique.

Par un syndicaliste

L’année 2022 fut chargée en mobilisations intersectorielles et syndicales avec une série d’actions et de manifestations (certaines spontanées, la base débordant l’appareil syndical) concernant une hausse des salaires et la défense du mécanisme d’indexation. Elle s’est clôturée avec la grève générale en front commun syndical du 9 novembre et les dizaines de milliers de manifestants du 16 décembre à Bruxelles, également en front commun.

Au lendemain de cette nouvelle démonstration de force, la FGTB avait conclu son communiqué de presse en ces termes : « Si aucun consensus ne peut être trouvé avec les représentants patronaux, la FGTB réunira à nouveau son comité fédéral mi-février, pour décider de nouvelles actions qui pourront aller jusqu’à 24 heures de grève. » En lieu et place d’une nouvelle grève générale ou de n’importe quel type d’action d’envergure, une série d’actions d’enterrement du mouvement ont été organisée le 14 février 2023. Alors que la revendication de la nationalisation du secteur de l’énergie avait refait surface durant tout ce mouvement, la communication des actions du 14 février se concentrait sur la « justice fiscale ». Les vieux briscards des mobilisations syndicales le savent bien, quand on en arrive là, ça sent le sapin.

A côté de cette mobilisation interprofessionnelle, divers secteurs ont connu leur dynamique propre : enseignement francophone, soin de santé, non-marchand, pompiers, cheminots, petite-enfance en Flandre, puis du côté francophone,… Il y a même eu la grève générale des services du 10 mars. Une multitude de démonstrations de force en ordre dispersé sans stratégie à moyen ou long terme. Tout le monde sent bien la colère monter, patronat et gouvernements compris.

La faiblesse appelle l’agression

On se rappelle du plan d’action crescendo de l’automne 2014 (une série de mobilisations annoncées ensemble culminant avec la monumentale grève générale nationale du 15 décembre). L’année 2014 fut une année record en termes de grèves (depuis 1993) : 760.297 jours de grève contre 206.974 en 2013. Le gouvernement avait vacillé. Les divisions (et la crainte) dans les sommets syndicaux face au mouvement de masse déclenché ont conduit la lutte dans l’impasse (par le biais de l’entourloupe du « tax shift »).

Une fois la pression de la rue retombée d’un cran, le débat sur le droit de grève a soudainement ressurgi. Les condamnations de syndicalistes pour « entrave méchante à la circulation » ont été utilisées à la suite d’une grève en octobre 2015 à Liège et d’une autre en juin 2016 à Anvers. Le camp d’en face a eu peur, et a cherché à saisir la moindre opportunité pour affaiblir les mouvements sociaux à venir. Et rebelote cette année.

Delhaize, un précédent pour tout le mouvement ouvrier

Delhaize est un ballon d’essai pour le patronat et le gouvernement. Des libertés syndicales taillées à la hache aux portes des magasins ou au dépôt de Zellik resteront dans le même état pour d’autres combats.

Dans le feu de l’année d’action 2022, en juin, à l’occasion de son Congrès fédéral, la FGTB avait annoncé qu’elle lancerait une grève de 24 heures si un militant syndical est à nouveau condamné pour avoir exercé son droit de faire grève. Thierry Bodson avait déclaré : « Cela fait trois ans que ça dure, on a tous des difficultés à mettre en place des actions radicales, c’est un manque de respect pour nos délégués et nos militants. Une chose est certaine : il y aura encore des condamnations. Il faut le faire savoir au monde patronal, au gouvernement, à la justice. On doit prendre ensemble la décision : on réagira plus fortement la prochaine fois. » Il n’y a pas encore eu de condamnation dans la lutte chez Delhaize, mais ne jouons pas sur les mots, ce qui s’y produit est encore pire.

Défendons nos droits avec tout le poids du mouvement des travailleurs, en attirant à sa suite toutes celles et ceux pour qui l’action collective est la seule voie (féministes, LGBTQIA+, activistes du climat, étudiants…). La solidarité est notre meilleure arme.

Début mai, la CSC et la FGTB ont porté plainte contre un huissier intervenu sur le piquet Delhaize de Gand. Peu après, une centaine de militants se sont mobilisés devant le Tribunal de Première Instance de Mons pour soutenir plusieurs travailleurs et permanents syndicaux. La bataille juridique doit être menée, mais en faire un substitut à la mobilisation de masse est une lourde erreur.

Certains estiment pouvoir contourner la répression en organisant des « actions surprises ». Dans la pratique, la police est assez vite au courant. Et face à une poignée de manifestants, la répression est facile à instaurer. La riposte la plus efficace repose sur une meilleure organisation du plus grand nombre. C’est ce qui a rendu impensable à la direction de la chaîne de vêtements Zara d’envoyer des huissiers lorsque l’ensemble du personnel du magasin de la Chaussée d’Ixelles à Bruxelles a fait grève le 6 mai dernier. Fin avril, dans le Limbourg, une rave clandestine a réuni 5.000 personnes sur le domaine militaire de Brustem. Aucune interpellation n’a eu lieu : trop de monde était présent.

Le 13 mai dernier, le « Comité de solidarité avec les grévistes de Delhaize » a organisé un rassemblement devant le Delhaize « Chazal » à Schaerbeek. Environs 250 personnes se sont réunies et ont même pu manifester à l’intérieur du magasin sans qu’aucune astreinte ne soit délivrée, et ce alors que les huissiers étaient présent dès le début de l’action. Cet exemple devrait être discuté partout, au travers d’assemblées générales sur les lieux de travail et dans les quartiers (autour des Dehaize par exemple), dans les universités… en parallèle au débat plus global sur le plan d’action et la stratégie à suivre.

Partager :
Imprimer :
Première page de Lutte Socialiste