À côté de l’escalade des raids militaires et de la répression étatique contre les Palestiniens, à laquelle répondent de courageuses manifestations, se développe parallèlement un mouvement de masse contre les projets judiciaires du gouvernement d’extrême droite israélien. Le capitalisme israélien a été étreint par une crise politique historique. Nous en avons discuté avec Nof, précédemment active au sein de la section d’Alternative Socialiste Internationale en Israël-Palestine (Le Mouvement de lutte socialiste) avant de s’installer en Europe.
Les vidéos d’un raid policier brutal sur la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem au début du mois d’avril sont devenues virales. Dans quel contexte cela survient-il ?
Des policiers ont brutalement frappé des fidèles pendant le ramadan. 200 personnes ont été blessées et 400 arrêtées. Cela a déclenché des manifestations dans toute la région, notamment en Turquie et en Jordanie, suivies de nouvelles attaques de la police. En réponse, des roquettes ont été tirées du Liban et de Gaza et l’armée israélienne a répondu par des bombardements intensifs. Il n’est pas encore question de guerre, mais la situation reste instable. Depuis le début de l’année, 95 Palestiniens ont été tués suite aux raids de l’armée israélienne en Cisjordanie.
Le gouvernement et l’armée multiplient les attaques militaires et la répression en guise de mesure préventive contre la mobilisation populaire des Palestiniens. Parallèlement, deux semaines après la formation du gouvernement le plus réactionnaire de l’histoire d’Israël, celui-ci a déclenché le plus grand mouvement de protestation de la société israélienne depuis 2011, avec 250 à 300.000 manifestants sur une population de 9 millions. Une semaine avant l’escalade militaire et les bombardements à Gaza et au Liban, le pays était en proie à une grève générale historique contre le gouvernement d’extrême droite de Netanyahou. Ce mouvement de protestation présente des caractéristiques contradictoires, l’arme de la division nationale ne l’a pas encore traversé. Le capitalisme israélien est dans l’impasse politique.
De quel type de mouvement s’agit-il ?
Le gouvernement veut soumettre le pouvoir judiciaire au gouvernement : les juges de la Cour suprême seraient nommés par le gouvernement lui-même et une « clause dérogatoire » permettrait au gouvernement d’annuler les lois de type constitutionnel et tout autre arrêt de la Cour suprême.
Les raisons de la colère concernent plus globalement les libertés individuelles et les droits démocratiques. Un ministre a déclaré travailler à l’interdiction de la Pride à Jérusalem. Les réactions vives l’ont contraint à démissionner. Une loi est prévue pour légaliser la discrimination sur base de la « foi religieuse ». Un médecin pourrait refuser de soigner un patient en raison de sa foi. Le gouvernement s’efforce aussi d’étendre l’autorité des tribunaux religieux, qui ont déjà toute autorité sur le mariage et empêchent le droit des femmes à divorcer. Le coût de la vie est un autre facteur.
Depuis 1996, Netanyahou n’a cessé d’être au pouvoir et a souvent été très contesté. Comment est-il revenu au pouvoir et quelle est la nature du gouvernement actuel ?
En novembre 2022 ont eu lieu les cinquièmes élections générales en moins de quatre ans. L’une des raisons est l’incapacité du parti au pouvoir, le Likoud, à constituer un gouvernement de coalition stable. Le gouvernement précédent était une coalition de 8 partis allant de l’extrême droite au « centre gauche » et comprenant également un parti arabe islamiste. Ils s’appelaient eux-mêmes le « bloc du changement », mais il s’agissait en fait d’un gouvernement de droite brutal, qui n’était pas « moins mauvais » que Netanyahou. Il a présidé au même type de raids sur la mosquée Al Aqsa que ceux que nous avons vus récemment, et à l’implantation d’encore plus de colonies israéliennes en Cisjordanie que les précédents gouvernements de Netanyahou. Sur le plan économique, il a réduit la réglementation des prix des produits de base et a augmenté l’âge de la retraite pour les femmes.
Leurs politiques désastreuses et l’escalade des tensions nationalistes ont ouvert la voie au retour de Netanyahou. S’appuyant sur l’exacerbation des tensions nationales et sur la tactique « diviser pour régner », sur la démagogie sécuritaire et sur la rhétorique populiste contre l’élite, il a également promis un gel d’un an des prix de la taxe d’habitation, du carburant, de l’eau et de l’électricité. Il a également promis la gratuité des services de garde d’enfants de 0 à 3 ans. Néanmoins, il n’a pas augmenté ses voix de manière spectaculaire, mais les partis d’extrême droite rivaux l’ont fait. Netanyahou avait poussé les partis d’extrême droite à se présenter sur une liste commune, leur promettant des postes ministériels clés au sein de son gouvernement s’ils le faisaient. Avant cela, les partis d’extrême droite n’avaient pas obtenu suffisamment de voix pour franchir le seuil depuis plus d’une décennie.
Netanyahou a remporté une courte majorité avec moins de 50 % des voix et a pu former une coalition avec l’extrême droite, ce qui a entraîné une intensification de la répression et des mesures autoritaires. Mais le mouvement social actuel et l’affaiblissement du gouvernement montrent que la crise politique ne fait que s’aggraver. Aucun des partis capitalistes n’a de solution aux crises du coût de la vie et du logement ainsi qu’à l’escalade du conflit national nourri par les colonies, l’occupation, le siège de Gaza et la pauvreté.
Peux-tu nous en dire plus sur le caractère du mouvement ?
Les manifestants forment un mélange très hétérogène. Dans des villes comme Haïfa, Jérusalem, Be’er Sheva, il y a eu les plus grandes manifestations de leur histoire. Il y a eu des grèves étudiantes et des rassemblements organisés par le personnel de la santé. Le plus important, c’est que les travailleurs ont réussi à pousser Histadrout, la plus grande fédération syndicale, à entamer une grève générale, bien que les grèves politiques soient illégales en Israël.
Il est toutefois significatif qu’une aile de la classe dirigeante se soit jointe à l’appel à la grève. D’anciens généraux, des politiciens pro-capitalistes de la prétendue « opposition » et des PDG d’entreprises ont pris part au mouvement et essayent de le dévier. C’est une illustration des divisions au sein de l’État israélien, mais leur principale préoccupation est la stabilité car les mesures du gouvernement compliquent leurs liens avec l’impérialisme américain.
Le gouvernement est affaibli, mais le mouvement a lui aussi fait preuve de faiblesse en ne rejetant pas ces personnalités. La direction du mouvement tente de faire taire toute contestation de l’occupation des territoires palestiniens, mais l’assaut de centaines de colons d’extrême droite sur le village de Huwara a provoqué une réaction parmi les citoyens israéliens. Alors que des policiers arrêtaient des manifestants, ceux-ci ont crié : Où étiez-vous à Huwara ?
Nos camarades en Israël-Palestine interviennent avec un programme qui unit les diverses communautés de la classe ouvrière en faveur de l’expansion de la lutte pour la démocratie et avec des slogans comme « Pas de compromis avec les attaques contre les droits des femmes et des LGBTQ+ !, Pas de compromis avec le piétinement de nos droits !, Pas de compromis avec la domination du capital et l’occupation ! »
Quel a été l’impact de la grève ?
Plus d’un million de personnes ont participé à la grève. Après une journée, Netanyahou a annoncé le report de son projet judiciaire à l’été. La grève a alors pris fin. Mais les projets de formation d’une nouvelle « garde nationale » sous le contrôle du ministre ultra-nationaliste Ben Gvir (une milice privée d’extrême droite) n’ont pas été annulés.
Il est clair que cette grève politique illégale sans précédent devrait être suivie de la préparation d’une autre, et de nombreux manifestants sont déterminés à poursuivre la lutte jusqu’à ce que la législation soit annulée. Malgré son caractère interclassiste, cette grève a eu un impact énorme sur la conscience des travailleurs et des jeunes, démontrant la force de la classe ouvrière organisée.