La crise mondiale du capitalisme en matière de soins et de reproduction sociale et les luttes des professionnel·les de la santé

Le 12 mai est la Journée internationale de l’infirmier·ère·x. Quelles sont les raisons de la crise de la reproduction sociale ? Quelles en sont les conséquences ? Et comment les travailleuses et les travailleurs de tous les genres luttent-iels contre cette crise ?

Contribution d’Anne Engelhardt, militante de ROSA International Socialist FeministsAllemagne — préparée par Anne pour une réunion du Bureau des femmes de l’Alternative Socialiste Internationale en avril 2023.

ROSA, les syndicats et les professionnel.les du secteur des soins se concentrent sur cette date pour mettre en lumière et combattre la grave crise de la reproduction sociale qui est à l’origine de la crise actuelle des soins dans le monde entier.

Quelles sont les raisons de la crise de la reproduction sociale ? Quelles en sont les conséquences ? Et comment les travailleuses et les travailleurs de tous les genres luttent-iels contre cette crise ?

La crise de la reproduction sociale est visible à bien des égards, mais pas de la même manière que la crise climatique, l’inflation, etc. En effet, les membres de la classe ouvrière mondiale qui exercent des tâches reproductives (non rémunérées) n’ont souvent pas le temps d’écrire leur histoire et leurs expériences.

La théorie féministe de la reproduction sociale est une analyse féministe marxiste qui s’appuie sur la méthode des relations internes de Marx.

Cela signifie qu’il faut comprendre le capitalisme comme le tout social dans lequel nous vivons et les différents processus sociaux tels que le racisme, les luttes, le patriarcat comme des parties co-constituantes. Ni le capitalisme, ni ses autres aspects n’existent l’un sans l’autre ou ne sont explicables sans l’autre.

L’opposé d’une telle théorie serait une forme d’atomisme, que l’on retrouve chez de nombreux commentateurs pro-capitalistes et qui prévaut également dans les méthodes sociales-démocrates et staliniennes.

Dans ce cas, le capitalisme est une partie et non un tout social, et d’autres aspects tels que le racisme, la classe, le genre existent comme d’autres atomes en relations lâches les uns avec les autres. À mon avis, l’intersectionnalité court également le risque d’une méthode atomiste.

Elle superpose les atomes des processus d’oppression mais ne perçoit pas comment ils co-constituent le capitalisme et comment le capitalisme les co-constitue. En ce sens, il leur manque une réflexion sur les processus, les contextes et les différents espaces, ainsi qu’une réflexion sur l’interrelation et la mutualité avec l’histoire et la totalité capitaliste, qui doit être combattue dans son ensemble.

La théorie féministe de la reproduction sociale part délibérément de Marx et de son analyse de la lutte des classes.

Il explique les conditions préalables de ces luttes dues aux processus économiques et ne perd jamais de vue la vie difficile des travailleur.euse.s et leur courageuse résistance.

Des féministes comme Maria MiesLise VogelSilvia Federici ou Tithi Bhattacharya ont fait progresser ce marxisme centré sur la lutte des classes ou l’ont élargi en y intégrant davantage de nuances et d’aspects, tels que la nature, les devoirs, la procréation, les trajets quotidiens, la sexualité, la violence, le sexisme, etc.

Marx lui-même a écrit dans le premier volume du Capital, au chapitre 8, sur la brutalité de l’exploitation de la force de travail avec des équipes de 20 heures dans les boulangeries, la baisse de la qualité du pain et les scandales alimentaires [les inspecteurs ont trouvé du sable et des pierres dans les pains], à cause de ces conditions. Les horribles visages et corps déformés des travailleuses et travailleurs des usines d’allumettes dont la salle de pause déjeuner se trouve au milieu d’un phosphore toxique, etc.

A ce titre, nous venons de commémorer les grèves des travailleur.ses des usines d’allumettes du 19ème siècle dans lesquelles les femmes et les filles ont joué un rôle de premier plan, lors du congrès de ROSA en mars de cette année.

Marx n’a pas oublié les femmes et les enfants dans son analyse du capitalisme, mais il n’a pas poussé sa théorie de la classe ouvrière au sein du capitalisme au maximum. Son travail passe largement à côté du travail en dehors des usines, ou en dehors de la création de capital variable.

La théorie féministe de la reproduction sociale n’est pas en désaccord avec Marx, mais déclare : « Il aurait pu être plus clair et plus précis s’il avait approfondi sa compréhension de la manière dont la force de travail est créée elle-même.

Qu’entendons-nous lorsque nous parlons de reproduction sociale ?

Il s’agit de la reproduction de la force de travail de trois manières :

1. En donnant naissance à des travailleur.ses potentiels

2. Éduquer, nettoyer, enseigner, soigner, nourrir, prendre soin de la force de travail, se reposer, dormir, guérir en tant que processus que les travailleurs qui doivent retourner à l’usine à chaque quart de travail doivent également faire pour eux-mêmes.

3. La reproduction de la société capitaliste.

Différents courants

La théorie féministe de la reproduction sociale a, à mon avis, la faiblesse de s’intéresser surtout (et presque que) aux travailleuses et aux ménages, aux soins, à l’éducation, etc.

Il existe également des courants qui tentent d’intégrer le travail domestique directement dans la théorie de la valeur, ce qui est problématique pour différentes raisons et conduit à des idées telles que les « grèves des ménages » ou les modèles de « revenu de base conditionnel », qui laissent de côté la lutte pour la société dans son ensemble et individualisent cette lutte.

Cependant, la reproduction sociale, telle qu’elle est théorisée par certains courants féministes marxistes, est un processus nécessaire qui imprègne naturellement l’ensemble de la classe ouvrière.

La rupture métabolique* et les conséquences du capitalisme sur notre corps et notre être

*La rupture métabolique est la conception clé de Karl Marx des tendances à la crise écologique sous le capitalisme, ou selon les propres mots de Marx, c’est la « rupture irréparable dans le processus interdépendant du métabolisme social ».

Nous commençons par Marx et sa façon d’envisager la destruction de la nature et le capitalisme. Marx a développé l’idée d’un métabolisme entre le capital et la nature. La société en général, et le capitalisme en particulier, dépendent des « dons gratuits » de la nature tels que l’air, le vent, l’eau, le soleil, le sol et les matières premières.

Marx a observé que les centres capitalistes, les villes industrialisées exploitaient la terre, comme le capitalisme exploite la nature. En raison des changements intervenus dans la manière dont la classe ouvrière devait vivre et se nourrir dans les villes et en raison de la dureté du travail, elle avait besoin d’un nouveau mode d’alimentation (plus d’hydrates de carbone et d’aliments protéinés), mais elle était elle-même coupée du travail de subsistance.

Les paysans et les terres devaient produire plus de blé, de foin, de viande et d’autres produits. Le sol est devenu de moins en moins fertile en raison de la surexploitation. Marx a décrit cette crise écologique continue du capitalisme comme une rupture métabolique : Le métabolisme entre la terre et la ville se rompt et crée des crises qui ont par exemple conduit à une guerre pour l’engrais pour oiseaux du Pérou, à une nouvelle vague de colonialisme africain au milieu du 19e siècle, à la famine, etc.

Elle a également conduit à la destruction des forêts, afin d’accéder à davantage de terres et d’exploiter leurs sols fertiles.

Lorsque nous revenons à la classe ouvrière et au féminisme de reproduction sociale, nous devons placer le corps ouvrier au centre de notre analyse. Marx dit que le capital variable que les travailleurs produisent – et qu’ils produisent par l’intermédiaire de leur corps – est la seule source de profit. Nous sommes un corps et nous avons un corps.

Nous ne pouvons rien faire en dehors de lui. Physiquement, notre corps est aussi une nature. À un certain âge, nous sommes capables de travailler plus que ce dont nous avons besoin pour nous-mêmes ou pour nos proches. Mais notre corps change beaucoup.

En tant que bébés, enfants et personnes âgées, nous avons des limites physiques à ce que nous pouvons faire et nous pouvons même prendre ou avoir besoin de plus de travail d’autres travailleurs que ce que nous pouvons donner. Notre corps est également un processus qui évolue au fil des ans.

Cela semble tout à fait évident, mais la bourgeoisie, son idéologie et sa façon atomiste de considérer les travailleurs comme une source de main-d’œuvre et non comme un être humain en évolution, nous font oublier les différentes caractéristiques naturelles de notre vie.

Marx a écrit des textes remarquables à ce sujet et voici ma citation préférée : « Le capital ne s’interroge pas sur la durée de vie de la force de travail : Ce qui l’intéresse, c’est uniquement le maximum de force de travail qui peut être rendu liquide au cours d’une journée de travail. Il atteint cet objectif en raccourcissant la durée de la force de travail, tout comme un agriculteur avide obtient un rendement accru du sol en le privant de sa fertilité« . (Marx 1867 / 1957, 275-76)

Les capitalistes privent les travailleur.se.s de leur énergie et littéralement, dans certains processus de travail, de leur fertilité même. Il existe des myriades d’exemples de la manière dont les matériaux toxiques que les nettoyeurs doivent utiliser, le travail avec l’argent, le cuir, l’huile, etc. peuvent conduire à l’infertilité, en plus des horaires de nuit, du manque de sommeil, de la nourriture, etc.

Lorsque nous considérons le travailleur et son corps dans l’ensemble social du capitalisme, il est fait et refait par le métabolisme entre la production et la reproduction. Sans produire de capital variable, les travailleurs ne reçoivent pas les salaires dont ils ont besoin pour se reproduire. Et ce métabolisme de la reproduction sociale est également en crise – c’est ce que nous pouvons appeler la crise de la reproduction sociale.

Il est en crise parce que les conditions de travail sous le néolibéralisme ont été « flexibilisées », les salaires ont diminué, les conditions de santé et de sécurité au travail ont été démantelées au fil des ans. Les temps de pause ont été réduits. La production allégée s’est imposée dans tous les domaines du travail.

Ainsi, le métabolisme de la reproduction sociale est constamment au bord d’une faille métabolique, tout comme la nature et le climat eux-mêmes.

La marchandisation des soins et de la vie sous le néolibéralisme

Dans les hôpitaux, nous constatons que dans de nombreux pays, chaque patient.e et son diagnostic ont un prix spécifique. C’est ce qu’on appelle le DRG (Diagnosis Related Group). Il peut s’agir du lit, des frais de nettoyage et de chauffage de la chambre, de la nourriture, de l’eau des toilettes, etc. Le type de calcul permettant de tirer des bénéfices du travail de soins est basé sur un modèle de somme globale.

Il s’agit en fait du même modèle que celui utilisé dans la production à flux tendu pour les voitures, l’électronique, etc. Toutefois, les usines et les hôpitaux diffèrent, par leur nature même, des industries de production. Lorsque, pour diverses raisons, le patient a besoin de plus de temps pour guérir que ce que prévoit le calcul de la gestion de la production à flux tendu, l’hôpital est déficitaire.

Toutefois, la privatisation des hôpitaux n’est rentable que si cette logique de production fonctionne dans toutes les parties des processus de soins. Dans certains hôpitaux allemands, les infirmières se sont battues pour obtenir plus de gants, de masques, etc. car ces « calculs » étaient bien trop bas pour garantir un processus de travail sain.

La plupart des patients sont des travailleur.ses. L’augmentation du nombre de patients s’explique non seulement par la pandémie de Covid-19 et l’augmentation de l’âge, mais aussi par l’augmentation des accidents du travail, des maladies mentales et des épuisements professionnels au cours des dernières années.

En France, le cancer du sein a été reconnu comme une maladie professionnelle possible. Le risque de cancer du sein est 30 % plus élevé chez les travailleuses de nuit. La plupart des travailleurs de nuit travaillent dans les hôpitaux, le nettoyage, l’hôtellerie et le commerce de détail – la plupart d’entre eux sont des femmes et des personnes queer.

Cela signifie que : D’une part, le risque de se retrouver à l’hôpital à cause d’un système de travail capitaliste dérégulé et surexploitant a augmenté. D’autre part, les hôpitaux sont préparés depuis des années à devenir un nouveau domaine de profit. Cela n’est possible qu’en les transformant en une industrie similaire à l’industrie automobile, etc.

Cependant, comme nous traitons de la matérialité de notre monde, des limites physiques de la nature, l’industrialisation des soins ne peut que mal tourner et créer une crise grave et des mouvements de résistance. Nous observons déjà un système de soins de classe dans lequel les pauvres ont moins accès aux soins et meurent en moyenne plus tôt de maladies curables que les riches.

En outre, les maladies qui accompagnent la surexploitation sur le marché du travail ne sont pas très rentables. Elles nécessitent plus de médecins, plus de soins, plus de médicaments et plus de temps pour guérir. Les maladies des travailleur.ses ne sont donc pas assez rentables.

Crise des soins capitalistes dans les pays en développement, les villes, le climat et bien d’autres choses encore

Dans de nombreux pays, les enfants souffrent de symptômes post-covidiques. Ce sont surtout les enfants des familles de la classe supérieure qui sont traités. Cependant, dans les familles plus pauvres où les parents ont été beaucoup plus souvent exposés à la pandémie, car ils travaillaient dans des « infrastructures critiques », le nombre réel de cas de post-covid pourrait être encore plus élevé. Cependant, le traitement n’est pas facilement accessible. Nous savons que la raison d’être de la Covid-19 est la surexploitation de la nature et le franchissement de plusieurs frontières physiques, la destruction des habitats naturels des animaux, le changement climatique et ainsi de suite, qui ont conduit à une zoonose et à une crise de la santé et des soins au cours des dernières années.

À tout cela s’ajoute la façon néolibérale dont les villes et les modes de vie ont changé. Ces dernières années, le logement est devenu l’un des biens de consommation courante, ce qui empêche de nombreux travailleur.euse.s de vivre à proximité des centres-villes ou de leur lieu de travail. De nombreux travailleur.euse.s doivent faire la navette et n’ont donc ni le temps de travailler, ni celui de récupérer. Les centres commerciaux où les travailleur.euse.s les plus pauvres pourraient trouver des offres moins chères sont souvent très éloignés des zones où ils.elles vivent et il faut plus de temps pour y accéder.

Dans certaines régions, les crises climatiques obligent même les travailleur.euse.s, pour la plupart des femmes, à parcourir des kilomètres pour aller chercher de l’eau, de la nourriture ou du carburant, ce qui augmente considérablement le temps qu’elles consacrent au travail reproductif.

La crise des soins touche également tout ce qui concerne les soins aux personnes âgées. Lorsque les travailleur.euse.s ont été suffisamment exploité.e.s – dans certains pays, les travailleur.euse.s se sont battu.e.s pour obtenir des droits à la retraite – c’est-à-dire des paiements dont les travailleur.euse.s ont besoin pour à peine survivre.

Dans de nombreux pays, les soins aux personnes âgées dépendent des revenus des travailleur.euse.s et de leurs familles. La crise de Covid-19 a mis en lumière les conditions dramatiques et horribles dans lesquelles les travailleur.euse.s pauvres, et même les travailleur.euse.s qualifié.e.s, doivent endurer jusqu’à la fin de leur vie. Les mauvais soins aux personnes âgées touchent souvent davantage les femmes, car leurs pensions sont beaucoup plus faibles. Avec de faibles pensions, elles ne peuvent pas s’offrir de meilleurs soins lorsqu’elles sont âgées.

En France, les travailleuses sont en première ligne du mouvement de grève actuel. En raison de leurs bas salaires et de leurs emplois à temps partiel, elles devront, dans le cadre de la nouvelle réforme des retraites, travailler plus longtemps que les travailleurs masculins pour une pension encore plus faible. En Allemagne, l’écart entre les pensions des hommes et des femmes est de 46 %. En France, il est déjà de 33 %.

Dans un tel système, les femmes, et en particulier les travailleuses migrantes, sont encore plus exploitées en travaillant pour entretenir la famille et pour le salaire. En outre, les travailleuses assument la charge mentale de la planification, de la gestion, de la programmation des besoins et des projets de tous les autres, perdant souvent les leurs dans le processus. Il n’est donc pas surprenant que plus de 70 % des personnes diagnostiquées comme souffrant d’épuisement professionnel soient des femmes.

Exploiter les travailleuses tout au long de la chaîne mondiale de soins

Sous le néolibéralisme, par rapport à la période d’après-guerre, les soins privés des travailleuses sont souvent devenus un obstacle à la surexploitation dans de nombreux pays, en particulier dans les pays du Nord. Ici, dans les centres impérialistes des chaînes de valeur mondiales, on a besoin de plus de techniciens et de cols blancs pour gérer et digérer les marchandises et les flux de capitaux provenant de l’extraction de la valeur dans d’autres parties du monde.

C’est un mythe de croire que les travailleuses sont arrivées dans le monde du travail dans les années 1970. Comme dans de nombreuses régions du monde, les femmes n’ont jamais disparu de la population active. Elles ont surtout travaillé dans l’agriculture, la vente, la couture, etc. et ont été exploitées dans les ateliers, les hôpitaux, le nettoyage, etc.

Toutefois, dans les centres impérialistes, on observe une tendance à « libérer » les travailleuses des tâches domestiques et des soins non rémunérés et à les remplacer par des travailleuses migrantes provenant principalement des régions les plus pauvres du monde. Les travailleuses qui emploient d’autres travailleuses plus pauvres pour nettoyer leur maison, s’occuper de leurs personnes âgées et de leurs enfants, travaillent souvent elles-mêmes dans le secteur des soins.

Dans le même temps, les travailleurs migrants qui effectuent ce type de travail mal rémunéré, laissent leur travail de soins, lorsqu’ils quittent le pays, à des travailleurs migrants encore plus pauvres ou à des parents non rémunérés, tels que des frères et sœurs plus jeunes ou des enfants plus âgés. Souvent, ces travailleurs migrants sont des femmes et des personnes queer originaires des anciens États coloniaux, qui sont en quelque sorte réexploitées dans des conditions capitalistes.

Cette interconnexion entre les différents travaux de soins est connue sous le nom de « chaîne mondiale de soins » – et elle exprime clairement que le travail social reproductif ne peut être éliminé ou mis de côté. Il s’agit au contraire d’un élément intrinsèque du fonctionnement du capitalisme.

Les tentatives visant à réduire le travail de soins pour une partie de la société conduiront immédiatement à ce que d’autres travailleur.euse.s doivent effectuer davantage de travaux de soins dans de moins bonnes conditions. C’est un équilibre qui ne peut être résolu. Pas par l’automatisation, pas par la machine, parce qu’il s’agit d’une matérialité, d’un besoin fondamental d’être soigné, de parler à d’autres personnes, d’être aimé, d’être soigné, de parler, d’écouter, de manger ensemble et de sortir de l’isolement.

La méthode atomiste que j’ai décrite au début n’est pas seulement une méthode analytique. C’est une abstraction réelle, une réalité violente que le capitalisme nous impose. Les processus d’accumulation du capital ont besoin d’une société pour maintenir un système qui exploite le travail excédentaire d’êtres humains naturellement sociaux qui prennent la quantité d’énergie supplémentaire dont ils auraient normalement besoin pour prendre soin les uns des autres et d’eux-mêmes.

Dans le capitalisme, le lien entre les soins et le travail est rompu. Ce que nous produisons est privatisé dans des mains privées. C’est de l’énergie et du temps qui nous sont retirés, à nous et à nos communautés. Nous diviser en individus et nous détacher les uns des autres signifie nous aliéner du travail, mais aussi nous aliéner de notre propre reproduction sociale.

Dans le capitalisme, nous ne travaillons pas en fonction de notre libre choix, mais parce que nous sommes obligés de le faire. Le patriarcat est un outil supplémentaire pour maintenir la division du travail et nous forcer à faire du travail de soins non rémunéré pour des travailleurs essentiellement masculins qui font trop de travail productif et n’ont plus guère d’énergie pour se reproduire ou reproduire les autres.

L’atomisme est une réalité violente qui tente de transformer les travailleur.euse.s en robots – ce qui est toutefois impossible par nature.

La crise de la reproduction sociale frappe tous.tes les travailleur.ses

La reproduction sociale n’a pas lieu uniquement au sein du foyer et n’est pas uniquement assurée par les femmes. La récente grève des chemins de fer au Royaume-Uni était beaucoup plus liée au travail de reproduction sociale qu’elle n’en a été discutée. Les organisations de personnes handicapées et les personnes handicapées se sont exprimées en faveur de cette grève, parce qu’il s’agissait aussi de maintenir le personnel dans les trains, dans les gares et dans les guichets.

Pour les personnes ayant des besoins particuliers, il est impératif qu’il y ait des travailleur.euse.s dans les trains et sur les quais pour les aider, qu’elles soient aveugles, temporairement blessées, incapables de marcher ou autre. Sans aide pour accéder au bon train dans la bonne direction, sans assistance pour ouvrir et fermer les portes des toilettes dans le train ou pour être accompagné la nuit sur le quai ou dans le train, la mobilité devient immédiatement inaccessible pour de nombreuses personnes.

Mais les compagnies ferroviaires ne sont pas disposées à payer pour ce travail supplémentaire. En réduisant le personnel sur les quais, dans les trains et dans les bureaux, elles détruisent – ce que nous pouvons appeler – le tissu social de la société et la mobilité pour tous.

Aux États-Unis, les travailleur.euse.s du secteur ferroviaire ont tenté de lancer une grève que le gouvernement « pro-travail » de Biden a honteusement interdite. La raison du conflit n’est pas l’argent, mais le droit de prendre des congés de maladie. Il est incroyable que les cheminots, tels que les conducteurs de train, les ingénieurs, etc. perdent des points de salaire et de pension lorsqu’ils décident d’aller chez le médecin. Des cas de conducteurs décédés d’une crise cardiaque pendant leur service ont été rapportés.

Les discussions sur la réduction de la semaine de travail, le « quiet quitting », le « lying flat » ne sont pas l’expression d’un quelconque type de paresse (si ce terme n’est pas une invention de la classe capitaliste pour domestiquer les travailleur.euse.s), mais l’expression de la manière dont le néolibéralisme a avant tout intensifié les tâches et la productivité sur le dos du corps et de l’esprit des travailleur.euse.s. La crise de la reproduction sociale est un symptôme de la crise de l’emploi et du chômage.

La crise de la reproduction sociale est un symptôme d’un système capitaliste en crise, avide de profits illimités, qui détruit toutes les frontières et les structures physiques naturelles.

Comment les travailleur.euse.s se défendent-ils.elles ?

La crise économique de 2007/2008 a accentué les contradictions dans la reproduction sociale mondiale. Les hôpitaux et autres infrastructures ont été privatisés, fermés ou soumis à des coupes sombres pour « économiser » l’argent nécessaire au sauvetage des banques et du système financier. La marchandisation de la santé a entraîné une diminution spectaculaire du personnel soignant dans ces secteurs, qui ne sont rentables que lorsqu’ils ne fonctionnent qu’avec quelques employés.

Quelques exemples en Allemagne : les travailleuses et les travailleurs migrants ont longtemps été considérés comme « inorganisables » par les syndicats conservateurs. Mais la crise a radicalement changé cette image. À Berlin, en 2009, l’IG BAU, le syndicat des travailleurs de la construction, a organisé la « révolte des invisibles », une grève des femmes de ménage, qui étaient souvent invisibles, car elles nettoyaient la nuit ou tôt le matin et s’habillaient comme des fantômes, et ont organisé des manifestations pour rendre leur cause visible.

La même année, la première grève des jardins d’enfants a eu lieu avec un fort taux de militantisme, qui devait revenir six ans plus tard, en 2015, avec une grève nationale de quatre semaines des jardins d’enfants et des travailleur.euse.s sociaux.ales. En 2011, la première grève des hôpitaux de la Charité de Berlin a été déclenchée pour quatre jours, ce qui a permis d’apprendre beaucoup de choses sur la différence entre une grève dans une usine automobile et dans un hôpital, en termes de type de pression implacable et hypocrite qui peut être exercée par l’establishment capitaliste.

En cas de grève, les médias et les hommes politiques se mettent soudain à se préoccuper de la vie des patients de manière hypocrite. Mais ils n’ont aucune importance dans la crise des soins quotidiens. Souvent, ils ne demandaient même pas d’augmentation de salaire, mais davantage de personnel et le droit de fermer des lits lorsqu’il n’y avait pas assez de personnel pour une équipe.

De même, les travailleur.euse.s des jardins d’enfants demandaient le droit de fermer les groupes les jours où ils.elles seraient seul.e.s avec plus de 15 enfants – car il y a eu des situations où les enseignant.e.s des jardins d’enfants sont resté.e.s seul.e.s avec une trentaine d’enfants de moins de six ans, ce qui a conduit à un épuisement professionnel massif.

En Belgique et en Autriche, ROSA et les militants de l’ISA ont pu lancer des campagnes telles que « Santé en Lutte » et « Sozial aber nicht blöd » – en Belgique, en collaboration avec le syndicat – en Autriche, plutôt en tant que réseau de collègues. Dans de nombreux hôpitaux aux États-Unis, et maintenant aussi en Allemagne, les syndicats les plus à gauche se concentrent sur l’organisation en profondeur.

Les groupes de travail lancent d’abord des campagnes de signatures auprès de tous leurs collègues et identifient les travailleur.euse.s les mieux organisé.e.s, les plus connu.e.s et les plus dignes de confiance, qui sont ensuite élu.e.s comme délégué.e.s syndicaux.ales au sein de leur équipe, à laquelle ils.elles font également rapport sur les négociations.

En ce qui concerne la lutte contre le racisme et la xénophobie enracinés dans ce que l’on appelle la « chaîne mondiale des soins », Ruth Coppinger, de ROSA en Irlande, travaille avec des groupes d’infirmières migrantes qui sont organisées à la fois dans le syndicat des infirmières au sens large, mais aussi au sein de leur propre association d’infirmières migrantes – elles se battent pour l’égalité et la reconnaissance de leur formation exemplaire, le manque de reconnaissance de cette même formation voit des infirmières migrantes pleinement qualifiées travailler pour un salaire inférieur à celui de leurs collègues déjà sous-payés, et pour l’assistance et les droits en termes de visas pour elles-mêmes et les membres de leur famille, entre autres questions.

L’Afrique du Sud a connu une grève de dix jours dans les hôpitaux en mars 2023, et une grève des médecins au Zimbabwe. En Chine, des grèves ont eu lieu dans les hôpitaux en raison du manque de personnel et de matériel de protection pour les étudiants en médecine. L’année 2022 a également été marquée par le retour de la « vague blanche » de grèves du personnel hospitalier et soignant en Espagne qui, en décembre 2022, a conduit à l’occupation du ministère de la santé à Madrid. En Russie, une grève de ralentissement a eu lieu dans plusieurs villes, les médecins luttant contre les coupes budgétaires et les bas salaires.

Un médecin a écrit sur Twitter : « Une grève est la plus grande déclaration d’amour à notre système de santé et le seul moyen de l’améliorer ».

Alternative Socialiste met l’accent sur les soins et non sur le profit

ROSA soutient les luttes menées dans le monde entier par les travailleur.se.s.x de la santé, pour améliorer leurs conditions de travail, pour former et employer plus de personnel, pour des augmentations de salaire immédiates supérieures à l’inflation, etc.

Nous demandons l’arrêt immédiat de la privatisation dans le secteur des soins ; la resocialisation des soins, leur retrait complet des mains du secteur privé et le démantèlement de Fresenius, Helios, Orpea, etc.

Nous sommes favorables à des soins universels entièrement publics, de qualité et gratuits au point de prestation – ces soins devraient être financés par l’utilisation des richesses détenues par le secteur privé qui doivent être reprises dans l’intérêt de l’humanité.

Pour que les soins de santé et les services sociaux soient publics, laïques et progressistes, ils doivent être complètement retirés des mains des églises et autres institutions religieuses.

Outre les services publics tels que les crèches universelles et gratuites, les écoles locales de qualité, les soins aux personnes âgées, etc., nous reconnaissons que l’accès libre et sans entrave à l’avortement, à la contraception et aux soins de santé pour les personnes transgenres sur demande, sans honte, sans barrières juridiques ou sans contrôle, sont des droits essentiels pour les personnes qui travaillent dans le secteur des soins et pour celles qui sont chargées de soins non rémunérés.

Les travailleur.se.s du secteur des soins, en particulier les infirmier.ère.s, sont fréquemment victimes d’agressions, de harcèlement sexuel et de racisme sur leur lieu de travail. En outre, la misogynie médicale, les disparités raciales dans les soins, le traitement brutal des personnes transgenres et l’interconnexion des deux sont quelques-uns des problèmes auxquels les patients sont confrontés.

Ainsi, la lutte pour des soins adéquats doit être intrinsèquement une lutte anti-sexiste, anti-transphobe et anti-raciste.

Les soins devraient être démocratisés, par exemple en confiant la gestion des prestataires de soins publics à des comités élus composés de représentants des travailleur.se.s du secteur des soins, des patient.e.s/client.e.s et du mouvement syndical dans son ensemble.

Fondamentalement, le système capitaliste et sa recherche brutale du profit constituent un danger pour la santé humaine et la planète. La recherche du profit au cœur du capitalisme est diamétralement opposée à la centralité des soins. Le profit et les soins s’opposeront toujours. Ce fait est au cœur de la crise insoluble du capitalisme en matière de soins.

Les luttes des travailleur.se.s du secteur des soins, les mouvements pour l’amélioration des droits et de l’accès aux soins, à la santé, aux aides et aux services sociaux, sont des luttes situées sur le site de cette collision – et sont des luttes intrinsèquement liées aux besoins et aux intérêts de l’ensemble de la classe ouvrière mondiale.

Les luttes liées à la crise des soins doivent être associées à d’autres luttes des travailleur.euse.s et des opprimé.e.s du monde entier dans un mouvement socialiste contre la loi du profit – une lutte pour retirer les richesses et les ressources des mains du secteur privé.

Avec les leviers clés de l’économie en propriété publique – combattus et gagnés par une classe ouvrière active, consciente, organisée et socialiste et par les masses pauvres qui se sont levées contre la propriété privée de la richesse et l’État qui la défend – un plan démocratique de l’économie pourrait mettre les soins aux personnes et à la planète au centre même de tout. Cela fait partie intégrante de la lutte socialiste et du changement socialiste.

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