Que signifie ChatGPT pour les travailleur.euse.s ?

Le lancement de ChatGPT a déclenché un veritable buzz sur internet et une frénésie d’investissement pour des outils d’Intelligence artificielle (AI) similaires. Aux infos, on peut lire que ChatGPT peut remplacer les codeurs, les assistants juridiques et même les enseignants. ChatGPT aurait même obtenu un score suffisamment élevé pour passer l’examen du barreau. Pourtant, malgré toute son intelligence, ChatGPT se trompe souvent de manière grossière, affirmant par exemple que Shaqille O’Neal est plus grand que Yao Ming bien qu’il connaisse leurs tailles respectives. Le ChatGPT est-il donc une véritable menace pour les moyens de subsistance des travailleurs ? Pour le savoir, les socialistes révolutionnaires doivent faire la part des choses entre les faits et le battage médiatique.

Par Tony Gong, Socialist Alternative (parti-frère du PSL aux Etats-Unis)

Qu’est-ce que ChatGPT ?

ChatGPT est un chatbot (robot de discussion NDT) créé par la startup OpenAI. L’acronyme GPT signifie « Generative Pre-trained Transformer » (transformateur génératif pré-entraîné NDT). Il s’agit d’une sorte d’autocomplétion entraînée à partir de grandes quantités de textes. La particularité du ChatGPT est l’étendue de sa base d’entrainement: 300 milliards de mots provenant d’Internet, combinée au fait qu’il comprend suffisamment bien les messages humains pour y répondre de manière pertinente. Cependant, si les premières conversations avec ChatGPT peuvent être impressionnantes, sa tendance à répéter des réponses similaires à plusieurs reprises, sans capacité de réflexion nouvelle se révèle rapidement. Même la capacité du ChatGPT à se corriger lui-même est une illusion : lorsqu’un humain dit au ChatGPT qu’il se trompe, celui-ci fait l’équivalent de revenir sur une phrase et de choisir un chemin d’autocomplétion différent.

La notoriété virale de ChatGPT s’est envolée bien au-delà de ce que ses capacités justifient, grâce à un battage médiatique désordonné de la part des entreprises. Un auteur du New York Times a affirmé que le chatbot de Microsoft avait franchi le seuil de la sensibilité lorsqu’il lui a demandé de quitter sa femme. De nombreux médias ont affirmé que les TPG auraient un impact sur 80 % des emplois, citant une étude financée par l’OpenAI qui n’a effectué aucune modélisation économique, mais a demandé au ChatGPT lui-même et à des non-experts humains de deviner quels emplois les TPG allaient remplacer ! Le battage médiatique fonctionne : OpenAI a obtenu un financement de 13 milliards de dollars de la part de Microsoft à un moment où l’entreprise licenciait 10.000 travailleurs du secteur technologique, y compris l’ensemble de son équipe d’éthique qui aurait supervisé la recherche sur l’IA.

Bien qu’il soit peu probable que ChatGPT satisfasse totalement l’intention des patrons de remplacer le travail humain par l’IA, cette intention à elle seule constitue un danger bien réel. Les patrons se précipitent vers des technologies immatures tandis que les travailleurs et les gens ordinaires paient le prix de leurs mauvais calculs, alors que les entreprises remplacent les caissières par des caisses automatiques peu fiables, qu’elles ont essayé sans succès de remplacer les chauffeurs par des voitures autonomes mortelles et qu’elles cherchent maintenant à remplacer les employés de bureau par l’IA.

Goldman Sachs estime que 46 % des tâches administratives et 44 % des tâches juridiques peuvent être automatisées, et que 7 % des travailleurs américains verront l’IA prendre en charge la moitié ou plus de leurs tâches. Mais ces estimations sont-elles vraiment exactes ? Les patrons prétendent que l’IA peut tout faire lorsqu’ils menacent de remplacer les travailleurs par l’automatisation afin de décourager les grèves et de maintenir les salaires à un niveau bas. Les travailleurs ne peuvent pas prendre ces menaces pour argent comptant. Nous devons au contraire comprendre le fonctionnement et les limites de l’IA pour savoir quel sera son impact sur l’emploi.

L’IA d’aujourd’hui remplacera-t-elle l’être humain ?

ChatGPT est construit sur le principe des réseaux neuronaux artificiels, la même technologie qui est à l’origine des percées de l’IA en matière de détection d’objets dans les images ou de création d’œuvres d’art. Un réseau neuronal artificiel est une approximation numérique grossière de l’activité neuronale biologique. Les neurones sont modélisés comme de calculatrices simplifiées et les connexions entre les neurones sont modélisées comme des poids mathématiques.

Les capacités d’un réseau neuronal ne sont pas préprogrammées, mais « apprises » au cours de plusieurs itérations d’ »entrainement », un processus d’essai et d’erreur au cours duquel les poids du modèle sont ajustés de manière à reproduire les résultats prévus dans le cadre de l’entrainement. En d’autres termes, on ne dit pas aux réseaux neuronaux ce qu’ils doivent faire, mais ils « apprennent » ce qu’ils doivent faire en fonction du retour d’information. Une fois formé, le modèle utilise ses poids pour extrapoler mathématiquement de nouvelles sorties à partir de nouvelles entrées, ce que nous, les humains, interprétons comme un comportement complexe.

La capacité des réseaux neuronaux à « apprendre » est supérieure à celle de la génération précédente d’IA, mais ces réseaux sont loin d’être sensibles. Ils ne sont pas des reproductions numériques de cerveaux biologiques, mais seulement des approximations grossières. Les réseaux neuronaux détectent des modèles statistiques et extrapolent à partir de ceux-ci. Ils ne sont pas ancrés dans le monde matériel et ne peuvent pas apprendre ce qui est vrai ou réel, mais seulement ce qui est populaire ou probable à partir de données conservées.

ChatGPT va-t-il supprimer des emplois ?

ChatGPT va faire perdre des emplois, mais pas nécessairement dans les domaines de l’éducation, du codage ou des médias, comme la presse d’entreprise aime à le prétendre. Les emplois dans ces domaines requièrent un contexte social et une sensibilité qui dépassent les capacités des modèles statistiques tels que les réseaux neuronaux. ChatGPT deviendra probablement un « assistant », par exemple en générant une « première ébauche » que les humains examineront, en répondant à des questions comme un moteur de recherche avancé, ou en engageant une conversation à faible enjeu où l’entreprise tolère l’inexactitude.

ChatGPT ne peut faire qu’un travail d' »aide » parce qu’il ne peut pas faire la distinction entre ce qui est probable et ce qui est vrai, et qu’il a besoin de l’intervention d’un être humain pour le corriger. Toutefois, cette imprécision pourrait devenir moins problématique à mesure qu’OpenAI développe des versions spécialisées de ChatGPT pour différents secteurs. Ces variantes seront probablement adaptées à la rédaction routinière mais spécialisée, comme l’assistance à la clientèle, la rédaction de documents administratifs et le travail parajuridique. Ce sont ces types d’emplois qui sont les plus menacés par l’automatisation.

Néanmoins, même si un travailleur n’est pas remplacé mais simplement « aidé » par l’IA, le patron économise encore sur la main-d’œuvre. Il peut désormais confier davantage de tâches au travailleur, « déqualifier » l’emploi et payer le travailleur moins cher, ou associer certains travailleurs à l’IA tout en licenciant les autres devenus redondants. L’IA peut même avoir un impact sur les travailleurs sans remplacer leurs tâches : des entreprises comme Amazon utilisent l’IA pour surveiller les travailleurs à l’aide d’une caméra et les signaler en cas d’infraction au travail. Cette technologie peut être utilisée pour améliorer la sécurité, mais elle sert surtout à accroître la productivité et à punir les travailleurs qui prennent des pauses.

L’IA crée également une nouvelle catégorie de travail à la carte. La montée en puissance actuelle de l’IA ne provient pas d’algorithmes mieux conçus, mais d’une énorme croissance des données au cours de la dernière décennie, qui sont utilisées pour former les réseaux neuronaux. Bien que ChatGPT ait été formé sur des données essentiellement gratuites, voire piratées, d’autres entreprises d’IA pourraient avoir besoin d’embaucher des travailleurs pour générer des données à l’avenir. En outre, le processus de formation intègre des « travailleurs fantômes » qui effectuent des tâches subalternes, comme la classification d’images, pour quelques centimes par tâche. Au Kenya, des travailleurs ont débarrassé ChatGPT de tout contenu offensant pour moins de 2 dollars de l’heure. Les données sont la matière première de l’IA, et le travail fantôme lié à l’IA ne fera que croître à mesure que l’IA consommera des ensembles de données de plus en plus importants et qu’une économie stagnante obligera les travailleurs à travailler à la tâche.

Toutefois, pour que les entreprises soient incitées à adopter l’IA, celle-ci doit globalement permettre d’économiser de la main-d’œuvre, ce qui signifie que même en comptant les travailleurs fantômes, moins de personnes seraient nécessaires pour produire la même quantité de travail. Les effets sur le chômage de l’IA peuvent être temporairement masqués par les cycles économiques. Les entreprises qui ont besoin d’honorer davantage de commandes garderont des travailleurs et les associeront à l’IA pour qu’ils soient plus productifs.

Un mouvement syndical fort, avec une colonne vertébrale de syndiqués militants, peut lutter contre les suppressions d’emplois et la déqualification. Mais en période de récession économique, les patrons utiliseront la main-d’œuvre économisée par l’IA pour licencier des masses de travailleurs. C’est ce qui est arrivé au secteur manufacturier avec la robotique. Lorsque les patrons ont introduit la robotique dans la seconde moitié du 20e siècle, des syndicats forts et des booms économiques ont atténué le nombre d’emplois perdus. Les licenciements massifs ont eu lieu lorsque les récessions ont mis à nu l’étendue de la surproduction capitaliste, plus récemment lors des récessions de 2001 et 2008, qui n’ont pas été déclenchées par la robotique.

La robotique est une bonne leçon pour les travailleurs sur l’évolution de l’automatisation dans le cadre du capitalisme. Mais c’est aussi une technologie qui a mûri pendant plus d’un demi-siècle. ChatGPT est une technologie immature avec de profondes limitations technologiques, et les menaces fallacieuses de la part des patrons de remplacer les employés de bureau par l’IA comme ils ont remplacé les ouvriers d’usine par des robots reflètent plus leurs intentions que leur réelle capacité à le faire. On ne sait pas si ChatGPT sera la première étape d’une révolution de la productivité par l’IA, ou s’il rejoindra les lunettes à réalité augmentée, les livraisons autonomes par drones et les voitures sans chauffeurs dans la poubelle des promesses technologiques ratées du capitalisme.

L’impact de l’automatisation sur les emplois manufacturiers devient plus prononcé pendant les récessions, même si ces récessions ne sont pas directement liées à l’industrie manufacturière. L’impact de l’IA sur le travail de bureau pourrait suivre une évolution similaire.

Quel est l’avenir de l’IA ?

Ce qui est clair, c’est que la recherche sur l’IA est une autre course dans la « nouvelle guerre froide » entre les États-Unis et la Chine. La classe dirigeante capitaliste des deux pays utilise l’IA comme un insigne de prestige scientifique, comme un moyen de rivaliser économiquement et d’équiper leurs armées. La construction de l’IA nécessite de grandes quantités de ressources informatiques et constitue un aspect majeur de la lutte pour le contrôle sur la production de microprocesseurs.

Actuellement, les États-Unis ont l’avantage en raison de leur avance historique et parce que les restrictions à la liberté d’expression y sont moins nombreuses qu’en Chine. Il aurait été difficile de former un logiciel comme ChatGPT sur l’internet chinois censuré, et par conséquent beaucoup plus petit, contrôlé par la dictature du Parti « Communiste » Chinois.

D’autre part, la stagnation économique américaine a engendré une bulle technologique spéculative qui surestime les réalisations de l’IA et menace de nuire à la recherche sur l’IA en cas d’implosion de la bulle. L’engouement pour ChatGPT survient au moment où une autre tendance de l’IA, les voitures autonomes, est discréditée. Les deux utilisent des réseaux neuronaux et sont probablement confrontés aux mêmes limites. La conduite d’une voiture, comme la plupart des tâches humaines, requiert une certaine dose de sensibilité qui ne pourrait pas être reproduite, même après un investissement de 100 milliards de dollars dans la technologie de la conduite autonome.

La recherche sur l’IA paie également le prix de l’utilisation de l’apprentissage automatique : Les modèles d’IA sont devenus des « boîtes noires« , dont le fonctionnement interne complexe devient de plus en plus difficile à analyser et à ajuster pour leurs concepteurs et ingénieurs humains. L’algorithme de prise de décision des modèles d’IA, qui est créé directement à partir de données au lieu d’être conçu par des humains, est tellement étranger que les chercheurs ne comprennent pas comment ils fonctionnent ! En fait, ces modèles de boîte noire sont si difficiles à corriger ou à améliorer que de nombreux experts qualifient l’apprentissage automatique de magie noire.

Le socialisme et l’IA

Malgré les obstacles à la recherche sur l’IA, la classe dirigeante continuera à investir dans ce domaine. Les capitalistes américains et chinois espèrent que l’IA pourra compenser la perte de main-d’œuvre due aux décès des travailleurs de la pandémie de COVID, à la vague de démission post-pandémique et à la baisse des taux de natalité. La classe capitaliste des deux pays espère également que l’IA pourra atténuer la perte de productivité causée par le découplage d’une économie mondiale intégrée, en rendant les travailleurs plus efficaces.

La menace que l’IA fait peser sur les moyens de subsistance suscite une opposition croissante à l’automatisation. Cependant, le conflit n’est pas entre l’IA et les humains, mais entre les travailleurs et les patrons qui utilisent l’IA pour exploiter davantage les travailleurs, déqualifier leurs emplois ou les licencier au nom du profit.

Nous soutenons les travailleurs qui s’organisent contre les licenciements et pour une augmentation salariale. Le travail de bureau, qui sera touché de manière disproportionnée par l’IA, est particulièrement vulnérable à l’automatisation en raison du faible taux de syndicalisation. Les travailleurs ont les meilleures chances de se défendre s’ils se regroupent en syndicats et luttent pour des contrats solides. Les socialistes proposent également une compréhension marxiste de l’IA qui peut mettre les arguments technologiques à la disposition des travailleurs. Lorsque le patron menace les travailleurs d’automatisation, ces derniers doivent comprendre les limites de l’IA pour savoir repérer les coups de bluff du patron.

Le capitalisme pervertit l’IA d’une technologie productive qui peut déclencher de réelles avancées, en un outil pour discipliner et accroître l’exploitation des travailleurs. Les patrons récoltent les bénéfices d’une productivité accrue, tandis que les travailleurs sont licenciés ou poussés vers le travail fantôme pour alimenter l’IA.

Dans une société socialiste, où les travailleurs ont la garantie de gagner leur vie, l’IA peut être utilisée pour libérer les travailleurs afin qu’ils puissent s’adonner à leurs passions ou bénéficier d’une retraite anticipée. Les écrivains et les artistes pourraient utiliser l’IA pour générer des œuvres stylisées et se libérer pour expérimenter de nouveaux styles. Pour faire de l’IA et du progrès technologique un bien sans équivoque pour les travailleurs, nous avons besoin d’une transformation socialiste de la société.

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