Grande-Bretagne. Privilège et prestige : quel est le rôle de la monarchie ?

Alors que la crise du coût de la vie s’aggrave et que l’inflation reste au plus haut depuis 40 ans, le couronnement du roi Charles a eu lieu au palais de Westminster. Bien qu’il ait prétendument voulu réduire l’événement par rapport au couronnement de sa mère en 1953, on estime qu’il aura coûté plus de 100 millions de livres sterling.

Par Matt Kilsby, Socialist Alternative (ASI en Angleterre, au Pays de Galles et en Écosse)

Face à la crainte de ne pas pouvoir payer leur hypothèque, leur loyer, leurs factures d’énergie et leur caddie au supermarché, des millions de personnes s’interrogent à juste titre sur le coût exorbitant de l’apparat royal. Mais nous devons également nous pencher sur le rôle que joue la monarchie au sein de l’État britannique.

On nous enseigne que la monarchie n’est qu’une décoration symbolique et cérémonielle de l’État. Le fait que le monarque dissolve le parlement, nomme et révoque les premiers ministres, signe des lois, déclare des guerres et nomme des juges est tout à fait naturel et, en fin de compte, sans signification, nous dit-on. En effet, le site web de la famille royale tient à nous informer que : « La monarchie est la plus ancienne forme de gouvernement au Royaume-Uni. Dans une monarchie, un roi ou une reine est le chef de l’État. La monarchie britannique est une monarchie constitutionnelle. Cela signifie que, bien que le souverain soit le chef de l’État, la capacité d’élaborer et d’adopter des lois appartient à un Parlement élu. En tant que chef d’État, le monarque assume des fonctions constitutionnelles et de représentation qui se sont développées au cours de mille ans d’histoire ».

La réalité est cependant bien différente. La monarchie incarne les valeurs conservatrices et le maintien du statu quo. Elle est fondamentalement opposée au changement et est l’incarnation vivante de la société de classes, renforçant l’idée que les gens doivent connaître leur place et l’accepter.

L’État britannique

Contrairement à l’idée selon laquelle notre monarchie constitutionnelle a évolué tranquillement pendant des milliers d’années, le développement de l’État britannique moderne et de la monarchie actuelle sont intrinsèquement liés. Le point de départ de l’un et de l’autre est la révolution anglaise du XVIIe siècle, qui a vu le renversement et l’exécution du roi Charles Ier.

En janvier 1649, le parlement a aboli la Chambre des lords et confisqué les terres de la couronne, de l’Église et des royalistes. Ils ont créé un nouvel État, en lieu et place de l’ancien État féodal, destiné à servir les intérêts de la classe capitaliste.

Comme toutes les révolutions, la révolution anglaise n’a pas été menée par un petit nombre de personnes seulement, mais avec le soutien d’un mouvement de masse composé d’antimonarchistes et de premiers socialistes égalitaires, tels que les Bêcheux (Diggers) et les Niveleurs (Levellers). Toutefois, craignant que les masses n’aillent plus loin et ne visent plus haut en s’intéressant à la nouvelle classe dirigeante, la bourgeoisie britannique émergente a conclu un accord avec l’aristocratie et accepté le retour de la monarchie sous Charles II, à condition qu’il fasse ce qu’on lui disait de faire.

Depuis lors, la monarchie a joué un rôle central dans l’État britannique et dans la défense des intérêts impérialistes du capitalisme britannique, bien qu’elle ait connu de nombreux bouleversements et scandales, et des périodes où elle était loin d’être populaire. Ce n’est que vers le début du XXe siècle, à la fin du règne de la reine Victoria (monarque de 1837 à 1901), que la classe dirigeante a pris des mesures actives pour renforcer la monarchie, en consacrant d’énormes sommes d’argent à l’apparat que nous connaissons aujourd’hui. Par exemple, l’ouverture du parlement a été réinventée par Édouard VII (monarque de 1901 à 1910), qui a introduit la théâtralité du bâton noir frappant aux portes, etc.

Le rôle intrinsèque de la monarchie dans l’impérialisme britannique a été révélé récemment lorsque le journal Guardian a publié des preuves de l’implication centrale de la monarchie dans l’expansion du commerce des esclaves et de l’importance du financement royal des navires négriers à destination de l’Afrique. Bien qu’il ait été roi au moment de l’abolition de l’esclavage, Guillaume IV (monarque de 1830 à 1937) s’est toujours opposé à l’abolition et s’est vanté de ses amitiés avec les propriétaires de plantations dans les Caraïbes. Il a également consacré des discours à la Chambre des Lords à la défense de l’esclavage, arguant qu’il était vital pour la prospérité, et il a soutenu que les personnes asservies étaient « comparativement dans un état de bonheur humble ». Clarence House, la somptueuse demeure du roi Charles et de Camilla, a été construite pour Guillaume IV et a probablement été financée par le commerce des esclaves.

Le rôle de l’État

En tant que marxistes, nous comprenons que, tout comme la monarchie actuelle, l’État n’a pas toujours existé. Pendant des milliers d’années, les gens ont vécu dans des sociétés égalitaires où chacun comptait sur les autres et où la coopération était le principe directeur. Marx et Engels ont appelé cela le « communisme primitif ». Mais avec l’augmentation de la productivité du travail, la société a commencé à produire un surplus au-delà de ses besoins immédiats, créant ainsi les conditions d’une société de classes.

Une minorité a commencé à administrer ce surplus, puis à le posséder. Mais pour maintenir leur pouvoir et leur contrôle, à la fois sur le surplus et sur le reste de la société, ils ont dû créer un État pour se protéger et s’assurer que leur volonté était respectée.

Dans son brillant livre « L’État et la révolution », Lénine explique comment l’État est né de la division de la société en différentes classes aux intérêts opposés, et comment le pouvoir de l’État est utilisé par la classe dominante : « (…) l’État est un organe de domination de classe, un organe d’oppression d’une classe par une autre ; c’est la création de « l’ordre », qui légalise et perpétue cette oppression en modérant le conflit entre les classes ».

La monarchie aujourd’hui

Bien que le gouvernement britannique soit, dans la pratique, élu, il s’agit du « gouvernement de Sa Majesté ». L’opposition, quant à elle, est « l’opposition loyale de Sa Majesté ». Tous les officiers de l’armée, les ministres du gouvernement, les hauts fonctionnaires et les juges prêtent serment d’allégeance à la couronne, et non au parlement ou au peuple. On nous dit que le rôle de la monarchie est purement cérémoniel et qu’après tout, c’est elle qui fait venir les touristes.

Au contraire, la monarchie est maintenue en place comme une arme de réserve de la classe dirigeante. Chaque fois que la monarchie est débattue dans la presse capitaliste, son pouvoir de renverser des gouvernements élus, par exemple, est souvent rejeté comme n’existant qu’en « théorie ». La monarchie britannique moderne n’agirait jamais de la sorte, nous dit-on.

Mais il n’est pas nécessaire de chercher bien loin pour constater que cette image n’est qu’un mythe. Lors des élections générales australiennes de 1972, le parti travailliste, dirigé par Gough Whitlam, est arrivé au pouvoir. Le gouvernement travailliste a entrepris de retirer les troupes australiennes du Viêt Nam, de mettre fin à la souscription militaire, de mettre en place un système de soins de santé universel et un enseignement universitaire gratuit, et d’accorder pour la première fois aux Aborigènes australiens des droits civiques limités.

Cependant, à la suite de grèves massives et craignant que le gouvernement Whitlam n’aille beaucoup plus loin, le représentant de la monarchie, le gouverneur général Sir John Kerr, a utilisé les pouvoirs de l’institution en tant que chef du Commonwealth pour intervenir. Kerr a chassé Whitlam et a installé le chef de l’opposition du parti libéral au poste de Premier ministre. Les pouvoirs utilisés en Australie par la reine de l’époque pourraient encore être utilisés aujourd’hui dans les pays du « Commonwealth », mais aussi en Grande-Bretagne.

En 2015, peu après l’élection de Jeremy Corbyn à la tête du parti travailliste, un général de l’armée a ouvertement évoqué la possibilité d’un coup d’État militaire au cas où Corbyn remporterait ensuite les élections législatives : « L’armée ne le supporterait pas. L’état-major ne permettrait pas à un premier ministre de mettre en péril la sécurité de ce pays et je pense que les gens utiliseraient tous les moyens possibles, justes ou injustes, pour l’en empêcher. On ne peut pas confier la sécurité d’un pays à un franc-tireur. Il y aurait des démissions en masse à tous les niveaux et vous seriez confrontés à la perspective très réelle d’un événement qui serait en fait une mutinerie ».

Cela montre à quel point la classe dirigeante est prête à tout pour empêcher l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement Corbyn, même modéré et réformiste. Et dans le cas d’un coup d’État militaire effectif, les « pouvoirs de réserve » de la monarchie constitueraient un outil important pour la classe dirigeante afin de consolider et de légitimer ses manœuvres antidémocratiques. Ils n’utiliseront peut-être pas souvent ces pouvoirs, mais ils n’hésiteront pas à recourir à toutes les méthodes disponibles en période de crise pour eux et leur système.

Pour une république socialiste !

Aujourd’hui, le capitalisme est en crise partout dans le monde, et nulle part ailleurs plus qu’en Grande-Bretagne où l’impact sur les niveaux de vie et les salaires est choquant. Ensemble, les années 2022 et 2023 risquent d’être les deux pires années pour le niveau de vie depuis les années 1930. Cette situation a un impact disproportionné sur les jeunes, qui n’ont jamais vu le capitalisme fonctionner à leur avantage, sous la forme d’augmentations de salaires ou d’un meilleur niveau de vie.

Le plus inquiétant pour la classe capitaliste, c’est que ces mêmes jeunes ont perdu beaucoup de leurs illusions envers la monarchie. En mai de l’année dernière, avant le « coup de pouce » donné à leur cote dans les sondages par la mort de la reine, seuls 33 % des 18-24 ans déclaraient que la Grande-Bretagne devrait continuer à disposer d’une monarchie. Parallèlement, seuls 20 % des jeunes avaient une opinion positive du prince Charles de l’époque.

Cela n’empêchera pas la classe dirigeante d’utiliser le couronnement de Charles pour renforcer le soutien à la monarchie et semer des illusions « d’unité nationale » dans le but de défendre son système axé sur le profit, qui fonctionne au bénéfice de l’infime majorité de notre société. Alors que les conservateurs affirment qu’il n’y a pas assez d’argent pour les augmentations de salaires des médecins, des infirmières, des cheminots et des enseignants, beaucoup d’argent a été promis pour le faste et la cérémonie du couronnement. C’est ce qu’a récemment déclaré Oliver Dowden, ministre du Cabinet Officer : « Ce sont des moments qui marquent la vie de notre nation. Ils apportent de la joie à des millions de personnes. Ils nous distinguent également en tant que nation dans le monde entier. C’est un moment merveilleux de notre histoire et les gens ne voudraient pas d’une cérémonie morose. Ils veulent une cérémonie appropriée. C’est ce que nous ferons. »

Mais à mesure que la crise capitaliste s’aggrave, de plus en plus de travailleurs en viendront à la conclusion que la monarchie est un instrument du système patronal et qu’elle devrait être abolie. Mais la monarchie est profondément liée au reste de l’État britannique et à sa classe dirigeante. La monarchie ne peut être abolie sans s’attaquer au système capitaliste dans son ensemble. Comme le souligne Lénine dans L’État et la Révolution : « La révolution ne consiste pas pour la nouvelle classe à commander, à gouverner avec l’aide de l’ancienne machine d’État, mais pour cette classe à briser cette machine et à commander, à gouverner avec l’aide d’une nouvelle machine. »

Bien entendu, la classe dirigeante n’abandonnera pas le pouvoir sans se battre et, en tant que socialistes révolutionnaires, nous ne croyons pas qu’il existe une « voie parlementaire vers le socialisme ». Au contraire, l’abolition de la monarchie et du capitalisme, ainsi que la mise en place d’une économie socialiste planifiée et véritablement démocratique, nécessiteraient un mouvement de masse des travailleurs, des jeunes et des personnes opprimées.

Les dépenses exorbitantes et le faste effroyable du couronnement contrastent fortement avec les millions de personnes qui subissent de plein fouet la crise. La vague de grèves qui se poursuit en Grande-Bretagne et le réveil de la classe ouvrière nous donnent un aperçu du pouvoir dont nous disposons lorsque nous passons à l’action.

La richesse obscène de la monarchie devrait être utilisée pour répondre aux besoins de la classe ouvrière. Nous demandons la suppression de la subvention souveraine et de toutes les exonérations fiscales accordées à la monarchie. Même une mesure limitée telle qu’un prélèvement de 50 % sur l’ensemble de la richesse royale pourrait contribuer à financer une augmentation de salaire pour les travailleurs du secteur public en grève.

C’est pourquoi Socialist Alternative appelle non seulement à abolir la monarchie, mais aussi à la remplacer par une république socialiste, en commençant par l’expropriation des richesses qu’elle détient. Nous appelons à la nationalisation des terres et des propriétés commerciales appartenant à la famille royale, ainsi que celles appartenant aux autres grands propriétaires terriens, une étape absolument nécessaire pour s’attaquer à la crise environnementale en particulier. Des institutions antidémocratiques telles que la Chambre des Lords devraient être immédiatement abolies et une enquête indépendante devrait être lancée sur les crimes présumés des membres de la famille royale.

Nous affirmons que ces revendications démocratiques ne peuvent être séparées de la lutte pour un véritable changement de société. Seul le socialisme – fondé sur la propriété publique des grands monopoles et sur un plan de production véritablement démocratique – peut apporter une véritable liberté à la classe ouvrière et à toutes les personnes opprimées.

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