1er mai 2023 : La classe travailleuse est de retour! – Déclaration d’Alternative Socialiste Internationale (ASI)

Pour une alternative socialiste internationale à la permacrise capitaliste

La classe travailleuse est de retour. Depuis le 1er mai 2022, l’activité du mouvement ouvrier dans toute sa diversité de couleurs de peau, de genres et de générations a connu un important regain. Des luttes ont eu lieu dans le monde entier et ont ébranlé des régimes tyranniques et défendu les sections les plus opprimées de la classe tout en s’attaquant aux tentatives patronales de faire peser la crise de la cherté de la vie sur les épaules des travailleur.euse.s. Bien que chaque lutte connaisse des hauts et des bas et qu’elle ne se déroule pas au même rythme partout et en même temps, ce processus n’est pas un accident de parcours, mais le début d’un tournant crucial et durable.

Des vagues de grèves, des grèves de masse et même des grèves générales ont marqué la situation dans de nombreux pays. Et là où ce n’est pas encore le cas, les travailleur.euse.s et les jeunes les regardent avec solidarité et s’en inspirent. Le Royaume-Uni est toujours au cœur d’une vague de grèves qui dure depuis près d’un an, avec 2,7 millions de jours perdus pour cause de grève entre juin 2022 et janvier 2023, le mois de décembre ayant enregistré le plus grand nombre de jours perdus pour cause de grève depuis 1989.

En novembre de l’année dernière, les travailleur.euse.s belges, fortement syndiqué.e.s, ont connu une grève générale. La fin du mois de mars a été marquée par la « méga-grève » en Allemagne, où les syndicats ver.di (secteur des services) et EVG (chemins de fer et transports) ont appelé à une action de grève commune pour la première fois dans l’histoire. Le mouvement de « grève générale reconductible » contre la réforme des retraites de Macron et son imposition dictatoriale ont fait basculer la société française dans une révolte ouverte, qui est devenue un point de référence à travers le monde.

En Suède, un pays où le mouvement ouvrier a été paralysé par les accords pourris de « partenariat social » conclus par la bureaucratie avec l’État et les patrons, une petite mais importante grève sauvage de trois jours des conducteur.trices.s de trains de banlieue a eu lieu. C’est la « musique de l’avenir ». Les enseignant.e.s palestinien.ne.s, qui représentent le deuxième groupe d’employé.e.s du secteur public de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza assiégée, sont en grève depuis le 5 février. Ils et elles luttent pour des salaires plus élevés, de meilleures conditions de travail, l’indépendance de l’enseignement et la démocratie syndicale. L’Afrique du Sud a perdu 1,6 million de jours de grève au cours des seuls six premiers mois de 2022, soit trente fois plus qu’au cours de la même période en 2021.

Une popularité croissante

Cette recrudescence s’est accompagnée d’un changement d’opinion positif à l’égard des syndicats dans de nombreux pays, en raison de leur passage à l’action. Cela illustre qu’une initiative audacieuse peut mobiliser une plus grande partie de la classe travailleuse. Le renouveau du mouvement syndical aux États-Unis n’a pas seulement été marqué par des phénomènes tels que « Striketober » (le mois d’octobre marqué par les grèves), mais aussi par une augmentation des nouveaux efforts de syndicalisation, comme ceux d’Amazon et de Starbucks, et par un taux record de 71 % d’approbation des syndicats au sein de la population en général.

En Angleterre et au Pays de Galles, le National Education Union a fait état d’une augmentation de dizaines de milliers de nouveaux membres au cours de ses deux derniers conflits majeurs, y compris des centaines de membres qui se sont inscrits pour devenir des représentants sur le lieu de travail et sont devenus délégués syndicaux pour la première fois. Le syndicat allemand ver.di a recruté 65.000 nouveaux membres rien qu’en janvier et février ! Dans de nombreux cas, cette évolution est due à un afflux de femmes et de jeunes travailleur.euse.s. L’impact d’une nouvelle génération de travailleur.euse.s entrant en lutte et devenant des dirigeants de base de la lutte des classes aura un impact important sur le caractère des batailles à venir et sur la situation interne des syndicats eux-mêmes.

Il ne s’agit là que de quelques exemples dont les déclencheurs immédiats sont différents, mais qui soulignent tous certaines vérités du moment. Il n’y a pas de « muraille de Chine » entre les nombreuses formes de souffrance, de misère et d’oppression qui affectent la classe travailleuse dans cette nouvelle « ère du désordre ». Les travailleur.euse.s s’engagent dans une lutte collective non seulement sur des questions économiques, mais aussi sur de nombreuses revendications politiques et sociales. Ces questions vont des droits démocratiques à la lutte contre l’oppression reposant sur le genre. En outre, bien que le principal déclencheur puisse être une question spécifique, le chevauchement et l’interconnexion des différentes crises du capitalisme poussent les luttes à devenir beaucoup plus larges dans leur portée et leurs objectifs. Et, ce qui est peut-être le plus important, ces actions ont été menées sous la pression de la base, souvent contre les souhaits de la direction officielle des organisations de travailleur.euse.s.

Un mouvement revitalisé pour les années 2020

Néanmoins, ces pousses vertes surviennent après des décennies de néolibéralisme, ce qui a eu un impact corrosif sur le mouvement ouvrier et a affecté la conscience et l’organisation de la classe travailleuse. Nous sommes encore confrontés à de nombreux obstacles. Des forces telles que la bureaucratie syndicale – les dirigeants conservateurs de la majeure partie du mouvement ouvrier mondial – représentent une véritable barrière à la lutte, bien que certaines figures soient plus ouvertes à la pression de la base que d’autres.

Comme l’écrivait Marx en 1852 : « La tradition de toutes les générations mortes pèse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants » et c’est ce que représentent les bureaucrates. Nombre d’entre eux se tournent vers un passé souvent fictif où une stratégie de collaboration de classe et même de partenariat avec les patrons pouvait garantir leur position (et leurs salaires élevés) tout en maintenant la paix sociale.

Si le fait que des dirigeants syndicaux comme Mick Lynch, secrétaire général du RMT au Royaume-Uni, ont acquis une certaine célébrité pour avoir critiqué les patrons et leurs porte-parole dans les médias est un signe positif des temps, la rhétorique militante ne peut se substituer à une stratégie ancrée dans la source fondamentale de pouvoir du mouvement : la mobilisation de la classe ouvrière dans l’action. Ce manque de confiance dans la capacité de notre classe à changer le monde mine le mouvement. Mais la faiblesse de ces dirigeants (même bien intentionnés) est aussi fondamentalement politique : sans la perspective d’une transformation révolutionnaire de la société vers le socialisme, ils chercheront toujours, au moment critique, des moyens de démobiliser la lutte en faveur d’un retour à une version du statu quo.

Cela signifie que la base doit s’organiser. Nous avons besoin d’un programme de lutte pour faire avancer le mouvement ouvrier, pour le rendre réellement combatif et démocratiquement responsable devant la classe ouvrière. Cela n’a rien à voir avec le maintien d’une bureaucratie privilégiée. Dans les syndicats et autres organisations de travailleur.euse.s, cela signifie que tous les responsables ne devraient toucher que le salaire moyen d’un.e travailleur.euse et que leurs postes devraient être élus démocratiquement et soumis à la révocation immédiate si nécessaire. Les grèves et les conflits doivent être contrôlés par les assemblées les plus larges possibles et par des comités démocratiques des travailleur.euse.s concerné.e.s. L’approche consistant à se concentrer uniquement sur les conditions d’une petite partie des membres des syndicats doit être rejetée : notre mouvement doit être solidaire de l’ensemble de la classe ouvrière. Une attaque contre l’un d’entre nous est une attaque contre nous tou.te.s.

La répression s’intensifie

Cet adage prend une importance renouvelée alors que nous sommes confrontés à des gouvernements de plus en plus répressifs, prêts à tout pour défendre la domination affaiblie du capital. En Grande-Bretagne, le Premier ministre Rishi Sunak a contré la vague de militantisme industriel en adoptant une série de lois antisyndicales. Malgré une résistance de masse, Macron a invoqué le détesté article 49.3 de la Constitution, s’arrogeant des pouvoirs dictatoriaux pour imposer sa réforme des retraites.

Les syndicats sud-coréens sont confrontés à une vague de lois antisyndicales à la suite d’une action sans précédent du gouvernement pour réprimer la grève des 250.000 camionneurs à la fin de l’année dernière. Sous la pression de la base, la fédération syndicale CGTP du Pérou a appelé à une grève générale pour exiger la fin de la répression brutale de l’État et la démission de la présidente illégitime issue du coup d’État, Dina Boluarte. Le président élu du Nigeria, Bola Tinbu, ancien gouverneur de l’État de Lagos, pourrait chercher à reproduire au niveau national ce qu’il a fait à Lagos, c’est-à-dire faire de l’ensemble du Nigeria son fief personnel et continuer à exploiter les masses laborieuses qui sont confrontées à une incroyable crise du coût de la vie. Le puissant mouvement syndical nigérian doit donc se préparer à une campagne d’action sérieuse.

La classe ouvrière marque les événements de son empreinte

Le Pérou est l’un des nombreux exemples où la classe travailleuse a fait peser son énorme pouvoir sur des mouvements politiques plus larges. En Israël/Palestine, c’est le pouvoir des travailleur.euse.s organisé.e.s – exprimé par une grève générale politique « illégale » à la fin du mois de mars – qui a contraint Netanyahu à retirer temporairement ses plans de coup d’État judiciaire. Bien que la majorité de la classe dirigeante ait soutenu la grève générale, elle l’a fait en dernier recours, pour empêcher Netanyahou de déstabiliser davantage le capitalisme israélien dans le contexte d’une crise politique historique liée à la crise de plus en plus profonde du régime d’occupation.

Néanmoins, les grévistes, qu’ils soient israéliens ou arabo-palestiniens, ont pris conscience de leur pouvoir. Bien que les manifestations et les grèves israéliennes aient été, dans une large mesure, détournées politiquement par les forces de l’establishment dont l’agenda n’est pas fondamentalement différent de celui du gouvernement d’occupation capitaliste actuel, elles révèlent de profondes contradictions dans la société israélienne et expriment un sentiment d’impasse et de dégoût face à l’extrême-droite israélienne et aux crises du capitalisme israélien, du coût de la vie à l’insécurité personnelle. À long terme, elles peuvent révéler les contradictions irréconciliables au cœur de l’État israélien et de sa machine de guerre barbare. Lorsque les travailleur.euse.s palestinien.ne.s ont mené la « grève de la dignité » de 2021, ils et elles ont également démontré leur force, donnant un aperçu du type de mouvement nécessaire à la libération de la Palestine : un mouvement capable de mettre fin à l’occupation et de balayer le capitalisme et l’impérialisme dans la région. 

Le Hartal (la grève totale) de l’année dernière au Sri Lanka a porté un coup critique dont la dynastie pourrie des Rajapaksa ne s’est jamais remise. En Iran, des secteurs clés des travailleur.euse.s ont rejoint le mouvement révolutionnaire contre le régime théocratique, déclenché par le meurtre de Jina Mahsa Amini. Bien que l’organisation et le leadership nécessaires pour raser la dictature aient fait défaut, la révolte a laissé un impact durable sur les consciences.

Comme l’ont exprimé les travailleurs de la sucrerie de Haft Tappeh dans une déclaration de solidarité avec les femmes en première ligne de la rébellion : « Ce grand et louable soulèvement devrait être lié à la grève des travailleurs partout dans ce pays. Pour se débarrasser de la discrimination et de l’oppression, pour se débarrasser de la pauvreté et de la misère, pour avoir du pain et de la liberté, ne laissons pas les filles du soleil et de la révolution seules. Filles du soleil et de la révolution ; le jour de la victoire, le monde entier enlèvera son chapeau devant vous – vous avez donné à tout le monde une leçon de résistance. »

Lutter contre l’oppression

Ces paroles reflètent en effet une tendance globale des travailleur.euse.s à gagner en confiance et en clarté quant à leur potentiel de transformation de la société. Nous faisons tourner le monde ; notre position dans la production nous confère le pouvoir latent de l’arrêter. La grève est donc notre arme la plus puissante, celle qu’il faut brandir contre toutes les horreurs du système. Les femmes de la classe ouvrière qui sont au cœur de la révolte féministe mondiale ont tiré cette conclusion. Les grèves féministes appellent les travailleur.euse.s de tous les genres à stopper leur travail, en mobilisant le poids social de notre classe contre l’inégalité et le sexisme.

Ce faisant, nous forgeons l’unité et la cohésion nécessaires pour résister à l’assaut intensifié de la classe dirigeante, qui consiste à diviser pour régner. Les membres d’ASI ont été les premiers à se battre pour que le mouvement ouvrier mobilise ses forces dans la lutte contre toutes les formes d’oppression. Alors que les conservateurs intensifient leurs attaques contre les droits des personnes transgenres, fomentant le type de violence qui a conduit au meurtre de Brianna Ghey, les camarades de Socialist Alternative dans plusieurs syndicats ont adopté une motion appelant à « soutenir les manifestations et les luttes pour défendre et étendre la réforme GRA (Gender Recognition Act), et pour éradiquer toute violence transphobe », parmi d’autres revendications importantes.

L’internationalisme – antidote au bellicisme impérialiste

L’envenimation de la réaction est l’un des nombreux symptômes morbides d’un système en décomposition, qui nous précipite vers la catastrophe. La dégradation du climat s’accélère et la guerre en Ukraine s’intensifie. Poutine justifie l’effusion de sang, les attaques contre la population civile et les infrastructures, ainsi que l’occupation et l’annexion de régions entières par un chauvinisme belliqueux. Il n’est pas le seul. Des États-Unis à la Chine, toutes les puissances impérialistes ont intensifié leur nationalisme empoisonné. En réponse, notre mouvement doit redécouvrir et réaffirmer les principes de l’internationalisme.

Les travailleur.euse.s russes ont bien plus en commun avec leurs frères de classe ukrainiens qu’avec les bellicistes du Kremlin. L’impérialisme occidental et Zelensky poursuivent leurs propres intérêts géopolitiques en contradiction avec les aspirations nationales et sociales des masses ukrainiennes qui défendent leurs foyers, leurs droits, y compris le droit à l’autodétermination. Pour garantir ces droits, la lutte doit être organisée d’en bas, sur une base intercommunautaire et de classe, et se fondre dans un mouvement anti-guerre international, totalement indépendant de tous les bouchers impérialistes, tirant sa force de la capacité singulière de notre classe à stopper la machine de guerre.

Une toute autre société

Dans le contexte d’un système en décomposition et en crise, il n’a jamais été aussi clair que les travailleur.euse.s du monde entier sont les mieux placés pour diriger la société. La pandémie nous a montré qui était vraiment essentiel. Et à chaque mouvement, nous goûtons à notre potentiel pour « refonder la société », comme le disait Marx. Avec leurs actions « Robin des Bois », les grévistes de l’énergie en France ont fourni de l’électricité gratuite aux pauvres et coupé l’alimentation électrique aux riches. Cela nous donne un petit aperçu d’un monde où notre classe sera au pouvoir, planifiant la production et l’allocation des ressources sur la base des besoins, et non du profit.

Néanmoins, les travailleurs restent mal équipés pour affronter l’élite capitaliste parasitaire. Malgré la volonté croissante d’intensifier la lutte, l’absence de notre propre force politique nous laisse nous battre avec un bras dans le dos. À l’ère de la permacrise capitaliste, même les victoires significatives seront éphémères. Ce qui est donné d’une main est repris de l’autre : la hausse des prix des denrées alimentaires engloutit immédiatement les augmentations de salaire, les primes finissent dans la poche du propriétaire.

Si nous voulons aller au-delà de la lutte pour la simple survie, le mouvement ouvrier doit se réarmer et se doter des outils nécessaires pour renforcer et élargir notre combat. Pour cela, nous devons nous organiser politiquement, créer de nouvelles organisations capables d’unir et de combiner tous les mouvements qui émergent en réponse à la misère sans fin que le capitalisme continuera d’engendrer.

Ces dernières années, les luttes de masse à travers le monde ont fait émerger des formes embryonnaires d’auto-organisation : les comités de résistance au Soudan, les cabildos au Chili, les assemblées de quartier en Colombie et les conseils révolutionnaires de la jeunesse en Iran. Ces formes montrent ce qu’il est possible de faire. Mais elles doivent être cimentées dans des partis de masse des travailleur.euse.s, véritablement démocratiques, qui luttent pour la défense de nos propres intérêts en toute indépendance des partis et des politiciens capitalistes ; des organisations politiques qui rassemblent l’expérience de notre classe, nous permettant de discuter de la stratégie et de la tactique, du programme et des revendications du mouvement.

ASI envoie ses salutations fraternelles du 1er mai aux travailleur.euse.s du monde entier et étend sa solidarité à toutes celles et ceux qui sont en lutte. La classe travailleuse peut transformer la société ! Sinon, c’est la barbarie et la catastrophe qui nous attendent. Pourtant, en retirant les principaux leviers de l’économie des mains des pollueurs, des seigneurs de la guerre et des profiteurs, les travailleur.euse.s peuvent tracer une voie alternative. Un plan de production socialiste démocratique pourrait poser les bases d’une société qui garantirait non seulement notre survie, mais aussi notre épanouissement – qui nous donnerait du pain, mais aussi des roses – et qui libérerait tout le potentiel créatif de l’humanité.

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Première page de Lutte Socialiste