Démission de Sarah Schlitz : la droite instrumentalise ses faiblesses

Si Sarah Schlitz (ECOLO) était dans le collimateur de la N-VA – et des autres éléments de droite dure dans la majorité – c’est très clairement dû à son discours en faveur des droits des femmes et des personnes LGBTQIA+. Dans la presse, elle a été qualifiée de progressiste, voire de « radicale ». Elle dénotait dans un gouvernement de droite qui continue d’expulser des Afghanes, qui mène des attaques qui impactent l’indépendance financière des femmes et qui est sous le coup de 8000 condamnations pour non-respect de l’État de droit sur les questions liées au droit d’asile… Siéger dans un tel gouvernement ne semblait pas conciliable avec son discours : soit on abandonne ses principes, soit on se fait éjecter. Il semble ici que ça soit les deux.

Réaction de la Campagne ROSA à la démission de Sarah Schlitz 

Deux poids, deux mesures

L’ancienne Secrétaire d’État à l’Égalité des genres, l’Égalité des chances et à la Diversité, Sarah Schlitz, a aidé à mettre sur le devant de la scène le problème majeur que constitue le sexisme et la LGBTQIA+phobie. C’est de loin la Secrétaire d’État à l’Égalité des chances qui s’est le plus distinguée au travers notamment d’une hyper-communication permanente qui a certainement servi à visibiliser les problématiques, mais s’est souvent limitée à ça. Elle s’est positionnée comme étant en phase avec les associations de terrain.

La droite lui reproche d’avoir imposé son logo personnel à des associations pour l’obtention de subsides. Rien de neuf sous le soleil… L’hypocrisie de la N-VA, qui a dénoncé ces agissements, est sans limite. Sarah Schlitz a perpétué un fonctionnement problématique. Zuhal Demir (N-VA), qui a occupé le même poste durant la précédente législature, en avait également été accusée. Une telle personnalisation des subsides restreint toute possibilité pour les associations d’émettre un avis critique quant à la politique menée par le gouvernement. Pour Demir, de simples excuses au Parlement ont suffi. Qu’est-ce qui diffère cette fois-ci ? Un mensonge au Parlement ? Peut-être, mais ce n’est clairement pas le principal.

Loi pour lutter contre les féminicides, projet d’introduction de la notion de consentement dans le Code pénal, création de 10 CPVS… Voilà quelques-uns des projets portés par l’ancienne Secrétaire d’État à l’Égalité des chances. Ces réformes, pourtant minimales, ont suffi à attirer la hargne des réactionnaires de tous bords. Ils étaient à l’affut du moindre prétexte pour se lancer à l’attaque. C’est ici encore une illustration du « backlash » antiféministe, un retour de bâton après une décennie d’essor des luttes féministes à travers le monde.

La politique, une affaire d’individus ?

Avec les bonnes personnes au bon endroit, beaucoup estiment qu’un changement social pourra voir le jour. Nous vivons cependant dans une société structurellement inégalitaire. Les 1% de Belges les plus riches détiennent un quart de toutes les richesses et possèdent plus de richesses que les 70% les plus pauvres. L’expérience nous prouve que dans une telle société, les réformes d’ampleurs – et un changement social – ne peuvent être obtenues que par la lutte collective. Grimper dans un gouvernement dont l’accord de majorité s’oppose frontalement aux revendications portées par les luttes de la classe travailleuse (qui comprend aussi les femmes, les personnes LGBTQIA+, les migrant.e.s ou encore des jeunes) ne permet pas, en toute logique, de traduire ses aspirations !

La période actuelle est encore marquée par l’influence du néolibéralisme et par plusieurs décennies de recul des luttes collectives. L’atomisation de la société a donné de l’espace à l’idée fausse selon laquelle l’individu – et non les luttes collectives – pouvait résoudre les inégalités sociales et s’en prendre efficacement aux oppressions. Avec cette vision, il est logique que Sarah Schlitz ait cru pouvoir, elle seule et son cabinet, faire la différence sur ces thèmes. Bien que bosseuse et convaincue de la nécessité d’œuvrer pour plus d’égalité, la stratégie de la politicienne providentielle qui participe à un gouvernement de droite a vite montré ses (énormes !) limites.

Dès le départ, Sarah Schlitz s’est retrouvée sous le feu des attaques de la part de la droite, au sein même de sa majorité et en dehors. Lorsqu’elle a nommé Ihsane Haouach au poste de Commissaire du gouvernement à l’Égalité entre les femmes et les hommes, cette dernière a été systématiquement réduite à son genre et à son voile tant par la droite que par les médias. Le MR de Georges Louis Bouchez (dans la majorité) et la N-VA (dans l’opposition) ont organisé une campagne médiatique visant à décrédibiliser Ihsane Haouach, allant jusqu’à exiger qu’elle retire son voile. Un mois plus tard, elle a été poussée à démissionner. La presse avait relayé sans prudence une fake news qui indiquait des liens avec les Frères musulmans. Cette séquence aurait dû alerter Sarah Schlitz sur la nature de ses alliés au gouvernement.

Il n’y a d’une part pas besoin de fondement réel pour pousser quelqu’un à la démission pour autant que l’on dispose d’un bon rapport de force. D’autre part, il était clair qu’on n’allait pas lui laisser de véritable marge de manœuvre. Au mieux, elle ne pouvait être que la feuille de vigne féministe d’un gouvernement de droite.

Lutter contre les oppressions et l’exploitation exige avant tout de construire un puissant mouvement social pour créer un rapport de force qui nous soit favorable. Être membre d’une équipe gouvernementale qui n’hésite pas à utiliser le racisme et le sexisme pour mener à bien ses manœuvres politiques et diviser toute résistance est une voie sans issue.

Un pas en avant, deux pas en arrière…

Fin octobre, Sarah Schlitz est parvenue à faire passer une loi contre les féminicides. Elle met enfin en place un recensement officiel, des formations pour les policier.ère.s et les magistrat.e.s, des protocoles d’évaluation des risques et le choix par la victime du genre du/de la polici.ère.e. qui l’interroge. Cependant, les moyens supplémentaires n’y ont pas été joints. L’application de la loi semble, dès lors, plus que compromise au vu du profond sous-financement de la police et de la justice.

Lundi, le dernier Centre de prise en charge des victimes de violences sexuelles (CPVS) a été inauguré à Namur. L’existence de CPVS est une immense avancée pour chaque personne qui y a recours ! Les 10 CPVS pourront prendre en charge 3.324 victimes par an. Cependant, c’est moins de la moitié des 8.000 plaintes annuelles (en sachant qu’un dixième des victimes porte actuellement plainte). Le CPVS de Bruxelles a déjà frôlé la saturation… Sarah Schlitz affirme que désormais chaque victime aura un CPVS à une heure de chez elle. La Belgique est petite, mais 10 centres, c’est bien trop peu. Ils resteront en grande partie inaccessibles à celles et ceux qui habitent loin des villes où ils sont implantés. Nous en avons aussi besoin aux abords de chaque campus ; c’est la seule conclusion qui s’impose quand on sait qu’une étudiante sur cinq a déjà subit une tentative de viol.

D’autre part, le gouvernement dont Sarah Schlitz a pleinement fait partie applique des politiques qui s’en prennent aux femmes et à l’ensemble des personnes opprimées et exploitées. La norme de croissance dans le secteur des soins a été réduite, les travailleurs.euses du parascolaire et des crèches ont des conditions de travail et salariales invivables, etc. Les travailleurs.euses à temps partiels – dont 80 % sont des femmes – sont durement attaqué.e.s. Il faut désormais travailler un an à temps plein pour avoir droit à un crédit temps permettant de s’occuper d’un enfant ; et ce dans un contexte où il n’y a de la place en crèche / chez une gardienne que pour 1/3 des bébés. La pension des temps partiels va être encore réduite et les périodes d’interruptions de carrière ne seront plus prises en compte. Les femmes gagnent déjà en moyenne 23,1% de moins par an que les hommes. Lorsqu’elles prennent leur retraite, l’écart monte à 30 %. Et ça va donc encore grimper… On le sait, les violences envers les femmes augmentent avec leur précarisation. L’importante entrée de la notion de ‘consentement’ dans le Code pénal et la création de CPVS ne permettra pas aux victimes de fuir une situation de violence domestique ou au travail sans moyens financiers.

Mensonge ?

Conscient ou non, le mensonge qui pose problème n’est pas celui fait devant le Parlement, mais celui de faire croire que de véritables avancées sont possibles en faisant l’économie de la lutte collective ; qu’il suffit d’avoir la bonne personne au bon endroit. En forçant Sarah Schlitz à la démission, les réactionnaires ont encore gagné en confiance. Des mesures inédites ont été mises en place par Sarah Schlitz, mais sans financement, il n’en restera pas grand-chose. Une lutte collective est nécessaire pour aller chercher l’argent là où il se trouve, pour assurer un financement des services publics sociaux et de santé à hauteur des besoins, pour arracher des salaires et des allocations qui assurent notre indépendance financière.

Sans ça, le sexisme, la LGBTQIA+phobie, le racisme ne pourront être mis à mal. En finir avec ces fléaux implique obligatoirement d’en finir avec le capitalisme, dont l’exploitation et l’oppressions figurent dans l’ADN, pour construire une société où les richesses de la société permettront à la collectivité de garantir l’épanouissement de chacun.e, une société socialiste démocratique.

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