Il y a 150 ans, une insurrection ouvrière a tenté de construire une nouvelle forme d’État à Paris connue sous le nom de la Commune, en référence au gouvernement révolutionnaire de Paris établi après la Révolution française de 1789. Ses 72 jours d’existence, jusqu’au 28 mai, ont autant fait trembler les classes possédantes à travers l’Europe qu’inspiré les révolutionnaires, de l’époque à aujourd’hui.
Par Nicolas Croes, article initialement publié dans l’édition de mars 2021 de Lutte Socialiste
L’aventure guerrière et la chute du Second Empire
A l’époque, 65% de la population française (environ 38 millions) vivent à la campagne. Mais, environ 70% des 2 millions de Parisiens représentent une composition « industrielle et commerciale ». Le mouvement ouvrier est en plein essor et se fait de plus en plus revendicatif. Sous la pression des luttes, un droit de grève limité est accordé aux ouvriers par suppression du « délit de coalition » en 1864, l’année même de la fondation de l’Alliance Internationale des Travailleurs, mieux connue sous le nom de Première internationale (sa section française sera constituée 4 ans plus tard). Mais les concessions du régime du Second Empire (1852-1870) sont insuffisantes.
A cette menace ouvrière s’ajoutent de sérieux problèmes de politique intérieure, une situation qui pousse l’empereur Napoléon III à se lancer dans une aventure extérieure : il déclare donc la guerre à la Prusse(1) le 19 juillet 1870. Mais la guerre est une catastrophe. Un mois et demi plus tard, l’empereur capitule à Sedan le 2 septembre. La République est proclamée le 4 septembre sous la pression de la foule et de la Garde nationale qui ont envahi le palais Bourbon et réclament la chute de la dynastie. Mais avec la capitulation de Sedan, les armées prussiennes et leurs alliés envahissent le Nord de la France et assiègent Paris à partir du 18 septembre.
L’effervescence révolutionnaire
La Garde nationale va jouer un rôle de premier plan dans les événements de la Commune. Tout d’abord milice bourgeoise, elle devient une milice populaire à mesure que gonflent ses effectifs durant la guerre contre la Prusse. Le 2 septembre 1870, il est décidé que les officiers, sous-officiers et caporaux des bataillons de la Garde nationale de la Seine seront élus. Le 4 septembre, la liberté d’expression et de réunion est acquise. Journaux, clubs et organisations diverses fleurissent, la plupart soulignant le rôle de premier plan de la Garde nationale.
Le nouveau gouvernement français prend rapidement beaucoup plus peur de ce peuple en armes que des troupes étrangères. L’armistice est signé le 28 janvier 1871. L’article 7 de l’armistice stipulait « La Garde Nationale conservera ses armes, elle sera chargée de la garde de Paris et du maintien de l’ordre » Bismarck, l’homme fort de la Prusse, avait averti le gouvernement français des dangers de cette disposition. Il ne faudra pas longtemps pour que les ennemis d’hier se retrouvent unis et complices dans la défense de leurs intérêts de classe. L’Assemblée nationale élue le 8 février, majoritairement royaliste, choisit de siéger à Versailles plutôt qu’à Paris, ville populaire, ville dangereuse. Elle nomme pour chef de l’exécutif un ancien ministre de l’Intérieur, Adolphe Thiers.
A Paris, le 24 février, une réunion de 2.000 délégués représentants 200 bataillons de la Garde nationale vote une motion affirmant que celle-ci ne se laissera pas désarmer par le gouvernement d’Adolphe Thiers et appelle les habitants de la province à imiter Paris. Un peu plus tard est élu un Comité central de la Garde nationale, sans participation des délégués des bataillons bourgeois. Le 11 mars, le gouvernement supprime sans préavis le moratoire sur le remboursement des dettes de commerce et des loyers instauré au début de la guerre. Il supprime aussi l’indemnité due à la garde nationale. La situation est explosive.
Le soulèvement
Le 18 mars 1871, des troupes régulières sous les ordres du gouvernement d’Adolphe Thiers avancent dans Paris pour saisir les canons de la Garde nationale. Mais les soldats fraternisent avec le peuple ! Le général Lecomte ordonne de tirer sur la foule, mais il est arrêté par ses propres soldats. Il sera exécuté plus tard avec un autre prisonnier, le général Clément-Thomas, qui fut l’un des commandants de la sanglante répression du soulèvement de juin 1848. En 24 heures, le gouvernement et les troupes régulières se replient sur Versailles et abandonnent la capitale aux insurgés. C’est le début de la Commune de Paris.
Le Comité central de la Garde nationale s’installe à l’Hôtel de ville. Dès le lendemain, il appelle à l’élection d’une Assemblée communale. Immédiatement il prend des mesures sociales dans le sens de la Commune : il rétablit la solde des Gardes nationaux et le moratoire des loyers et des échéances.
L’élection d’une assemblée communale a lieu le 26 mars 1871, plus de 230.000 électeurs masculins y participent. Les partisans de la Commune l’emportent largement. Le 28 mars, les 90 élus proclament la Commune sur la place de l’Hôtel de ville au milieu d’une foule d’environ 200.000 personnes.
Parmi les nombreuses mesures de la Commune, on peut citer :
- la séparation de l’Église et de l’État ;
- des mesures en faveur de l’instruction et de l’éducation du peuple : l’école laïque gratuite et obligatoire, y compris pour les filles ;
- la révocation des élus : « Les membres de l’Assemblée municipale, sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l’opinion, sont révocables, comptables et responsables » ;
- le remplacement de l’armée par la Garde nationale, c’est-à-dire par le peuple en armes ;
- des mesures sociales protégeant les locataires, les travailleurs, les sans travail, les sans-logis,… ;
- l’attribution des entreprises abandonnées par les propriétaires aux ouvriers et aux associations de producteurs ;
- l’égalité entre enfants naturels et « légitimes ».
Mais Paris est à nouveau assiégée, par l’armée française cette fois. Le 21 mai commence la « Semaine sanglante », les troupes versaillaises envahissent Paris, la répression sera abominable, elle donne une idée de la haine et de la frayeur de la classe dirigeante face à ce noyau d’Etat ouvrier. Entre 20.000 à 35.000 Communards ou supposés tels sont exécutés, dont nombre de femmes et d’enfants. En 1871 et 1872, les Conseils de Guerre rendent plus de 50.000 jugements, dont diverses condamnations à mort, aux travaux forcés à perpétuité et à la déportation dans des bagnes.
Rendre hommage aux Communards en poursuivant leur combat
C’est suite à l’expérience de la Commune que Marx et Engels ont modifié un élément du célèbre Manifeste du Parti Communiste : il faut briser l’État bourgeois pour en construire un autre et non pas seulement en prendre possession. Ils ont par ailleurs souligné l’erreur de ne pas saisir les fonds de la Banque de France qui se trouvaient à Paris. « Le plus difficile à saisir est certainement le saint respect avec lequel on s’arrêta devant les portes de la Banque de France. Ce fut d’ailleurs une lourde faute politique. La Banque aux mains de la Commune, cela valait mieux que dix mille otages. Cela signifiait toute la bourgeoisie française faisant pression sur le gouvernement de Versailles pour conclure la paix avec la Commune. » (Engels, 1891, préface à « La Guerre Civile en France »)
Lénine (dont l’ouvrage « L’État et la révolution » fait la part belle à la Commune) et Trotsky ont pu revenir sur les événements de la Commune à la lumière de l’expérience de la révolution russe. Pour reprendre les mots de ce dernier : « La Commune nous montre l’héroïsme des masses ouvrières, leur capacité de s’unir en un seul bloc, leur don de se sacrifier au nom de l’avenir, mais elle nous montre en même temps l’incapacité des masses à choisir leur voie, leur indécision dans la direction du mouvement, leur penchant fatal à s’arrêter après les premiers succès, permettant ainsi à l’ennemi de se ressaisir, de rétablir sa position. »
Ainsi, il soulignait que la Commune aurait eu toutes les possibilités de prendre le pouvoir le 4 septembre 1870 mais que faute d’un parti réunissant les leçons et l’expérience des révolutions passées, les combats d’autrefois, les trahisons répétées de la démocratie bourgeoise, l’initiative a été laissée aux bourgeois. Il faut bien entendu garder en tête que le mouvement ouvrier n’était encore que naissant et en pleine expansion à l’époque et que nulle part n’existait encore de réel parti révolutionnaire. « Ces six mois furent une perte irréparable. Si en septembre 1870, à la tête du prolétariat de France s’était trouvé le parti centralisé de l’action révolutionnaire, toute l’histoire de la France, et avec elle toute l’histoire de l’humanité, auraient pris une autre direction. » Finalement, le 18 mars, le pouvoir est bien arrivé aux mains des masses ouvrières de Paris, sans que ce ne soit un acte conscient : ses ennemis avaient tout simplement quitté Paris. Un moment précieux a été gâché, qui aurait permis d’emprisonner le gouvernement avant sa fuite de Paris.
L’étude des événements de la Commune fourmille de leçons pour les révolutions à venir. La meilleure manière de rendre hommage aux sacrifices héroïques des Communards est de reprendre leur drapeau et de, nous aussi, faire preuve de cette souplesse, de cette initiative historique et de l’esprit de sacrifice dont parlait un Marx admiratif face à ces Parisiens « qui montent à l’assaut du ciel ».
1) C’est autour du Royaume de Prusse que sera constitué l’Empire allemand en 1871, la guerre contre le France ayant aidé à parfaire l’unité des divers entre ce royaume et ses alliés allemands.