La grève générale d’avril 1913 en Belgique

Il était une fois dans l’histoire de la lutte des classes

La grève générale d’avril 1913(1) occupe une place particulière dans l’histoire du mouvement ouvrier. D’abord par son objectif: arracher le suffrage universel(2) (pour les hommes) et non pas arracher une hausse de salaire . Ensuite par la manière dont la grève a été préparée et menée.

Par Guy Van Sinoy

Congrès du POB

La préparation de la grève a été discutée et votée au congrès du POB(3) de mars 1913. On imagine mal aujourd’hui une grève générale discutée et préparée dans un congrès dirigé par Paul Magnette ou Conner Rousseau ! Mais cette discussion en congrès visait avant tout à encadrer la grève et à véritablement couper les ailes à toute tentative de grève spontanée. « Nous ne voulons à aucun prix de grève générale impulsive et tumultuaire qui partirait sans être préparée…» expliquait Émile Vandervelde, président du POB. Et, à cette fin, toutes les Maisons du Peuple se virent interdire de débiter de la bière et des spiritueux pendant la grève. Des timbres d’appel à la grève furent imprimés afin de les coller sur le courrier, à côté des timbres d’affranchissement. L’administration des postes menaça de ne pas distribuer le courrier revêtu de ces timbres de propagande pour la grève.

Afin de soutenir la grève et de soulager les charges familiales des grévistes, les organisations ou¬vrières des pays voisins organisèrent le placement d’enfants pendant la grève. Environ 2.000 enfants furent accueillis aux Pays-Bas et près de 5.000 dans les départements du Nord de la France.

La grève dans les secteurs

La grève fut suivie de façon inégale selon les métiers: 100 % chez les typographes, 90 % dans l’industrie de la chaussure, 60 % chez les métallos, 30 % dans les services publics, 13 % dans le bâtiment, 4 % dans le textile. Au port d’Anvers un solide piquet de 500 dockers les plus vigou¬reux fut formé car à côté des dockers travaillaient des milliers d’ouvriers occasionnels.

Rosa Luxembourg contre Vandervelde

Pendant les dix jours que dura la grève (du 14 au 24 avril) Vandervelde multiplia les contacts avec les responsables politiques libéraux pour tenter d’obtenir leur soutien. Le 24 avril la grève fut arrêtée par la direction du POB à la suite d’une promesse du Premier ministre catholique de Brocqueville. Promesse non tenue ! La grève fut donc un échec.

Rosa Luxembourg critiqua énergiquement les méthodes de Vandervelde. Elle lui reprochait de considérer la grève comme un simple moyen de renforcer sa position de négociation parlementaire, et non comme un élément de la construction d’un rapport de force visant à changer la société. Elle expliquait comme suit ce qu’est une grève générale sans énergie révolutionnaire : « Détachée de l’action spontanée, la grève générale devient une manœuvre stratégique exécutée à la baguette qui ne peut qu’échouer neuf fois sur dix. »

En novembre 1918, à la fin de la guerre, le roi Albert 1er recevra des responsables socialistes au château de Lophem et promettra le suffrage universel pour les hommes et la suppression d’un article du Code pénal condamnant la grève. Il faut dire qu’à ce moment-là, dans la foulée de la révolution russe de 1917, la révolution allemande avait éclaté à Berlin et provoquait des manifestations révolutionnaires dans les rues de Bruxelles… Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le suffrage universel pour les hommes ET les femmes a réellement vu le jour.

1) Pour plus d’infos sur cette période voir le livre de Marcel Liebman Les socialises belges, 1885-1914, Ed. Vie ouvrière, Bruxelles, 1979.
2) Sous la pression de grèves ouvrières, le vote plural fut instauré en 1894. Chaque homme de plus de 25 ans avait 1 voix. Il pouvait avoir 2 voix supplémentaires selon les critères suivants: avoir un diplôme de l’enseignement secondaire ; être chef de famille de plus de 35 ans payant au moins 5 francs de taxe de résidence; être détenteur d’un livret d’épargne de 2.000 francs minimum ou bénéficiaire d’une rente viagère de 100 francs. Ces voix « supplémentaires » servaient à réduire le poids du vote des ouvriers.
3) POB : Parti ouvrier belge, ancêtre du Parti socialiste.

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