La faiblesse incite à l’agression – Bloquer l’offensive sexiste de la droite avec une approche de classe

Le chorégraphe Jan Fabre, le producteur de télévision Bart De Pauw, Johnny Depp : ces derniers temps, des abuseurs semblent bénéficier d’une certaine réhabilitation. Même Jeff «les femmes refusent d’ouvrir les jambes» Hoeyberghs a été partiellement «blanchi» de ses propos sexistes ignobles. La polarisation autour de cette question est plus forte qu’auparavant. Comment réagir ? Quel rôle les féministes socialistes peuvent-elles jouer pour assister la lutte ? Nous en avons parlé avec Mai et Frede, militantes de la Campagne ROSA.

Il n’y a pas si longtemps, Fabre et De Pauw se faisaient cracher dessus, aujourd’hui ils peuvent compter sur une sympathie ouverte. Que se passe-t-il ?

Frede : « Les médias utilisent fréquemment l’analogie d’un pendule qui repart en sens inverse, comme si le féminisme et le sexisme étaient deux phénomènes s’alternant sans cesse. C’est parfaitement faux. La vague féministe de la dernière décennie n’a pas disparu. On continue à descendre dans les rues contre le sexisme, je pense que l’Iran l’a encore magnifiquement confirmé. Mais si nous-mêmes ne sommes pas à l’offensive, alors on laisse un espace à la droite pour qu’elle pousse toujours  plus loin son sexisme. Des abuseurs peuvent alors tenter de redorer leur blason. »

Les violences faites aux femmes ne diminuent pas. #Metoo a-t-il eu un effet ?

Mai : « Le sexisme est moins acceptable, on y prête beaucoup plus attention, tout particulièrement chez les jeunes. Il suffit de penser à la révolte contre les codes vestimentaires, aux réactions contre les comportements abusifs de profs ou à la jubilation de masse suite à l’arrestation du masculiniste Andrew Tate. Mais le sol d’alimentation du sexisme n’a pas disparu. Et les crises qui surgissent alimentent l’oppression. Le manque de moyens pour les crèches, par exemple, participe à pousser les femmes à rester chez elles. »

Frede : « L’augmentation du coût de la vie et des études rend les jeunes plus vulnérables financièrement et donc plus vulnérables à la violence. De plus en plus de jeunes sont poussés vers une forme ou l’autre de prostitution. Nous avons aussi connu l’augmentation des violences domestiques durant les confinements. »

Des masculinistes notoires comme Andrew Tate ou Dries Van Langenhove, en Flandre, rassemblent beaucoup d’adeptes. Comment est-ce possible ?

Mai : « D’ignobles sexistes répandent le mensonge que #metoo et le féminisme actuel représentent une attaque contre les hommes. Pour eux, un homme doit être dur, gagner beaucoup d’argent et soumettre les femmes. Ils essayent de donner l’impression de s’opposer au « mouvement woke » féministe. Ce qu’ils font en réalité, c’est ressasser les vieux rôles de genre et une vision éculée de la famille. »

Frede : « Tate, Van Langenhove & Co testent les limites de ce qui est considéré comme acceptable. S’ils ne rencontrent pas de résistance audacieuse et consistante, ils sont stimulés pour aller encore plus loin. »

Avec l’abolition de l’arrêt Roe v. Wade aux États-Unis, le droit à l’avortement a connu de sévères restrictions. Davantage d’attaques de ce genre sont-elles à l’ordre du jour ?

Fede : « L’extrême droite essaie de s’en prendre aux droits des femmes. Aux États-Unis, les conservateurs n’ont pratiquement pas eu à affronter d’opposition des Démocrates dans leur attaque contre le droit à l’avortement. Pourtant, dans la rue, le mouvement a généralement le dernier mot. Meloni, la nouvelle première ministre italienne, est une opposante convaincue de l’avortement. Mais elle a déclaré qu’elle n’y toucherait pas, du moins pas frontalement. Elle redoute la résistance féministe. Ce n’est pas un hasard si le mouvement des femmes a été le premier à réagir à sa victoire électorale. »

Mai : « À l’autre bout du monde, les féministes sud-coréennes occupent les rues en masse et s’organisent en « tsunami » (Haeil est le terme coréen qui désigne un tsunami, c’est aussi le nom de l’organisation féministe qui dirige le mouvement) contre la suppression du ministère de l’égalité des genres et d’autres mesures sexistes. »

Quelle réponse défendent les féministes socialistes contre l’offensive de droite contre le féminisme ?

Mai : « Nous devons nous mobiliser dans la rue contre chaque cas de sexisme. Quand Jeff Hoeyberghs a été condamné pour sa conférence sexiste à l’Université de Gand, c’était la première fois que le sexisme était considéré par les tribunaux comme un appel à la haine. Cela ne se serait pas produit sans la mobilisation de la Campagne ROSA durant le meeting et ensuite, notamment avec la vidéo de ses propos qui a obtenu plus de 2 millions de vues. La mobilisation est la meilleure manière de démontrer que sexisme est – et reste – inacceptable. »

Frede : « Mais il nous faut aussi des revendications offensives. Lors de la lutte contre le meeting de Hoeyberghs, nous avons exigé d’une part l’exclusion du cercle étudiant catholique d’extrême droite KVHV responsable de l’événement et d’autre part que l’UGent investisse dans l’égalité des genres.

« Nous devons attirer l’attention sur la précarisation croissante des moyens d’existence des travailleur.euse.s et de la jeunesse, car cela nourrit le sexisme. Il faut plus de moyens publics dans l’accueil de la petite enfance et les refuges, par exemple. Et il faut garantir l’indépendance financière de chacun.e grâce à des allocations sociales et des salaires décents. Nous estimons donc que les syndicats ont une place centrale à occuper dans les luttes féministes. C’est leur force organisée dans un plan d’action qui peut arracher des salaires plus élevés et plus d’investissements publics. »

Mai : « Bien sûr, aucune victoire n’est permanente sous le capitalisme et il ne faut pas grand-chose pour se heurter aux étroites limites de ce qu’autorise la logique de profit. En finir avec le sexisme, c’est en finir avec le capitalisme. »

Pourquoi un système différent est-il nécessaire ?

Mai : « Le capitalisme a besoin du sexisme pour continuer à tourner. Les femmes réalisent des milliards d’heures de travail domestique gratuit, tout un travail qui n’a pas besoin d’être organisé publiquement et inclus dans les salaires. Pas d’argent pour les crèches ? Les parents n’ont qu’à rester à la maison. Vos grands-parents sont malades ? Pourquoi ne pas les accueillir chez vous ? Le sexisme est utilisé pour faire porter les effets de la politique antisociale sur l’individu. Et l’inégalité salariale fait pression sur tous les salaires. Les rôles de genre traditionnels sont essentiels au  bon fonctionnement du système capitaliste.

Frede : « Assurer l’émancipation des femmes exige de libérer des moyens suffisants : pour des salaires décents, des crèches publiques gratuites en suffisance, des soins de qualité pour les personnes âgées, des espaces publics plus sûrs… L’argent existe, mais il disparaît dans les paradis fiscaux. Seule une société socialiste peut arracher les moyens qu’exige une politique qui repose sur ce qui est nécessaire à l’épanouissement de chacun.e. »

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