Critique de film : Women Talking

Ce film écrit et réalisé par Sarah Polley est une parabole sur les abus et la résistance. Il se déroule dans une colonie mennonite dans un pays non identifié. Le film est une adaptation du livre du même nom de l’auteure canadienne Miriam Toews. Le livre est un récit fictif basé sur une histoire très réelle.

Article de Rob Rooke, Socialist Alternative, USA

L’histoire vraie que le film Women Talking met en parallèle et dont il s’inspire est le viol de plus d’une centaine de femmes dans une communauté mennonite de Bolivie dans les années 2000.

Huit hommes ont finalement été reconnus coupables. Ils avaient drogué les femmes avec des anesthésiants pour bétail et les avaient agressées alors qu’elles dormaient dans leur propre lit.

Les femmes, âgées de 4 à 65 ans, ont d’abord été informées qu’elles imaginaient les agressions. Lorsque les cas sont devenus si nombreux, on leur a dit qu’elles étaient punies par Dieu pour leurs péchés.

Si l’on examine de près les mécanismes de l’intrigue et le cheminement du film, on peut trouver de nombreuses failles, mais si l’on accepte qu’il s’agisse d’une parabole, alors là n’est sans doute pas la question.

L’intrigue agit comme un mécanisme qui nous permet d’entendre des femmes explorer la gravité et l’étendue de l’oppression qu’elles ont vécue.

Voter sur son oppression

Dans le film, les hommes de la colonie se rendent en ville pour payer la caution des personnes qui ont été arrêtées pour les viols. Les chefs de la colonie disent aux femmes qu’elles doivent décider de pardonner ou non à leurs violeurs. En réponse, elles élaborent indépendamment et collectivement trois options sur lesquelles elles votent : ne rien faire, rester et se battre, ou partir. Leur décision est liée à la menace imminente d’être rejetées et de ne pas avoir de place au paradis si elles ne pardonnent pas à leurs violeurs.

Le vote des femmes est partagé entre les deux dernières options. Pour sortir de l’impasse, trois familles multigénérationnelles de femmes sont élues pour décider si toutes les femmes restent ou si toutes les femmes quittent la colonie.

La majeure partie du film est consacrée à ce débat et à cette discussion, dans le grenier de la grange, les femmes étant assises sur des meules de foin. Écrit comme une pièce de théâtre, les femmes commencent à examiner leur monde et leurs expériences de vie avec une liberté qu’elles n’ont jamais eue auparavant. Pendant toute leur vie dans cette communauté religieuse fondamentaliste, il leur a été interdit non seulement d’apprendre à lire, mais même de répondre aux hommes.

À un moment donné, l’une des deux adolescentes, assise sur le côté de la grange, rompt le silence en s’exclamant : « C’est chiant ! ». La réalisatrice reconnaît peut-être ainsi que le postulat du film ne convient pas à tout le monde.

Il est difficile de critiquer le jeu des actrices  et les dialogues de Women Talking. Le film se concentre sur la parole. Même la magnifique cinématographie semble nous ramener au contenu essentiel du film en ternissant délibérément les couleurs des champs de blé jaune vif de l’été où les enfants jouent.

Un débat en dents de scie

Nous voyons les jeunes femmes adultes dominer le débat et les grands-mères se tenir à l’écart, n’apportant que de manière sélective la sagesse de leur vie. Mariche, Salomé et Ona apportent chacune leur expérience de vie unique. Un personnage plaide en faveur d’un changement radical, tandis que l’autre s’y oppose en affirmant qu’il n’est pas réaliste. Au fur et à mesure que la discussion se déroule, nous voyons les réactions subtiles sur les visages des différents personnages. De ce débat en dents de scie naîtra une délibération.

La colère de Mariche et de Salomé explose épisodiquement. Alors qu’elles partagent des expériences similaires, leurs conclusions s’opposent brutalement. Toutes les nuances de leur oppression sont déversées dans le cercle et éclatent en désordre au centre. Faut-il continuer à pardonner à un agresseur régulier ? Une femme est-elle elle-même responsable des abus qu’elle subit ?

Autre victime, l’adolescent Melvin, se coupe les cheveux et rejette son genre de naissance. August, le gardien du procès-verbal de la réunion des femmes, est un homme de principe qui tente maladroitement, mais avec conviction, d’écouter et de respecter les femmes réunies.

La façon dont la parabole aborde la question de la lutte ou du départ peut être interprétée de différentes manières. Doivent-elles rester et se battre dans un monde dont le cadre fondamental les laisse, elles et leurs enfants, sans protection contre les abus ? Une société fondée sur l’inégalité, légalisée par sa religion, peut-elle être réformée ?

Les femmes se demandent s’il est même possible de quitter la colonie. Doivent-elles emmener les enfants les plus jeunes ? Ou seulement les filles ? Qu’adviendra-t-il des garçons laissés sur place ? Les jeunes hommes peuvent-ils désapprendre la violence ? La journée de délibération est une journée d’autonomisation concentrée, où, pour la première fois, le couvercle est levé sur leur silence. À certains moments, les femmes rient aux éclats en pensant à la radicalité du changement qu’il faudrait opérer pour qu’elles ne craignent plus d’être maltraitées.

Le droit de partir

Chaque jour aux États-Unis, des millions de femmes victimes de violences et d’abus ont des conversations similaires dans leur tête. Elles se demandent si elles doivent quitter leur mari, leur petit ami ou leur père violent. Dans ce processus, elles souffrent généralement seules, car les agresseurs les isolent délibérément de leur réseau d’amis et de leur famille, qui pourraient les aider à faire face à leur situation ou à s’enfuir.

La liberté d’une femme de partir est extrêmement compliquée à bien des égards, notamment en raison de la peur du sans-abrisme et de la pauvreté. Partir peut être terrifiant. Le film n’est pas un fantasme libéral où les femmes n’ont qu’à se défendre et tout va bien. L’incertitude et la peur du monde dans lequel elles entrent lorsqu’elles sortent de leur situation de violence font partie des délibérations des femmes dans Women Talking. Mais une partie du film exige également une certaine « suspension consentie de l’incrédulité » (L’expression suspension consentie de l’incrédulité décrit l’opération mentale effectuée par le lecteur ou le spectateur d’une œuvre de fiction qui accepte, le temps de la consultation de l’œuvre, de mettre de côté son scepticisme, NDT), car il ne pose jamais la question que les personnes fuyant les abus doivent le plus souvent se poser : leurs agresseurs ne les traqueraient-ils pas tout simplement, ne les captureraient-ils pas et ne les tueraient-ils pas ?

Le point de vue féministe libéral sur les abus dans la communauté mennonite serait que les abus sont « relatifs » : certaines sociétés sont pires que d’autres. Le point de vue socialiste est que les sociétés religieuses et non religieuses fondées sur l’exploitation économique et l’inégalité systémique ne peuvent jamais être fondamentalement réformées. Bien que le film n’aborde pas cette question, il tend vers la conclusion que la dictature des hommes ne peut être réformée.

Selon le CDC (Centre pour le contrôle et la prévention des maladies, la principale agence fédérale des États-Unis en matière de protection de la santé publique, NDT), la moitié des femmes aux USA ont été victimes de violences sexuelles, et la moitié d’entre elles l’ont été avant l’âge de 18 ans. Cette crise de la violence a des proportions pandémiques, mais elle n’est jamais abordée franchement dans cette société. Aux États-Unis aujourd’hui, l’exploitation économique et personnelle est à la base de la société capitaliste et ne peut pas non plus être réformée.

Sarah Polley, qui, adolescente, était membre du Socialist Alternative (alors connu sous le nom de Labour Militant) à Toronto, au Canada (section-sœur du PSL-LSP et de ROSA), nous offre un film qui ouvre une porte sur une pièce souvent fermée. Une pièce où les femmes parlent de leurs difficultés et des abus qu’elles ont subis, et où elles expriment leur colère. La conversation est urgente car leur décision déterminera la trajectoire de vie de leurs filles. La lutte pour mettre fin aux abus est intimement liée à la lutte pour mettre fin à ce système économique basé sur l’exploitation.

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