Edito Battons-nous pour l’extension des services publics vers la socialisation des tâches domestiques

Emily Burns
par Emily Burns
Coordinatrice nationale de la Campagne ROSA

Défendre les services publics ? C’est féministe !

La pression de la double journée de travail sur les femmes est connue : un travail non rémunéré effectué avant et après journée pour compenser les lacunes des services publics. Nettoyer, cuisiner et s’occuper des membres de la famille à charge – enfants, personnes âgées et personnes handicapées – c’est toujours en grande partie « l’affaire des femmes ».

Pour solutionner cette double journée de travail, certain.e.s veulent nous faire croire que la solution réside principalement dans une meilleure répartition des tâches dans le couple. Sans nier que le combat n’est pas terminé sur cette arène, considérer principalement la chose sous cet angle est une erreur. L’approche satisfait décideurs politiques et patrons, elle est effectivement bien pratique pour éluder leurs responsabilités alors qu’ils s’en prennent à toutes nos conquêtes sociales et aux services publics qui permettent (et en partie seulement) de combiner travail, vie familiale et loisirs. Mais elle néglige aussi 26 % des familles dont les parents vivent seuls avec leurs enfants, avec à leur tête 69% de femmes pour 31% d’hommes (Baromètre des parents 2022 de la Ligue des familles).

Provoquer le changement ? Il faut une stratégie.

La libération de la parole et la nouvelle vague internationale de mobilisations féministes ont brisé le mythe d’une égalité obtenue sur le terrain grâce à celle acquise dans la loi. Le maintien de l’oppression des femmes a été visibilisé dans l’espace public, mais cela ne suffit pas en soi pour en finir avec le fléau ou même provoquer un changement significatif.

La polarisation dans la société est à la hausse sur la question. Les forces de droite et d’extrême droite jouent sur les formes les plus basses de la conscience, sur les vieux préjugés, les « valeurs familiales » et tentent ainsi de repousser les femmes à leur « juste place » dans la famille pour compenser l’effondrement des systèmes de soins de santé et d’enseignement. Il faut garder en tête que ce que nous affrontons ne se limite pas à une question de mentalité, nos objectifs sont avant tout matériels et concrets.

Ailleurs sur l’échiquier politique, on tente de se cacher derrière des mesures symboliques. En avril, le PS tiendra un « congrès social-féministe ». On croit rêver. À combien de privatisations le PS a-t-il participé ? Ou plutôt : à quelles privatisations n’a-t-il pas participé ? On se rappelle aussi du gouvernement fédéral « papillon » de Di Rupo dont une décision a conduit à l’exclusion de plusieurs dizaines de milliers de bénéficiaires des allocations de chômage d’insertion depuis janvier 2015 (dont une large majorité de femmes). « Mon cœur saigne » avait-il déclaré par la suite. Ça nous fait une belle jambe. Chez Ecolo, le mouvement féministe est clairement vu comme une niche électorale à occuper avec une communication offensive autour d’une version 2.0 de la veille tactique « nous écoutons le tissu associatif et relayons ses inquiétudes ». Et concernant les budgets ? La rengaine éculée du PS a été recyclée : « on voudrait bien, mais nos partenaires de coalition ne veulent pas : votez encore plus pour nous ».

Faire un choix politique, c’est aussi une question de méthode. Avant que le mouvement ouvrier n’ait acquis l’obligation scolaire sous pression de la lutte (grèves dans le Borinage dans les années 1860, essor général du mouvement ouvrier, Commune de Paris en 1871, création de l’Association internationale des travailleurs, etc.), éduquer et prendre soin des enfants toute la journée était une tâche domestique. Avant le développement des soins de santé, soigner les malades était aussi une tâche domestique. Les vagues de luttes ont à chaque fois permis de réduire le travail non rémunéré des femmes par la conquête de nouveaux services publics.

Un choix de société

Le vieillissement de la population conduira dans les années à venir à une augmentation du nombre de personnes âgées en perte d’autonomie. La prise en charge de la dépendance des personnes âgées est profondément marquée par les rapports de genre : elles sont plus fréquemment confrontées à cette question puisque l’espérance de vie des femmes est supérieure à celle des hommes et ce sont les principales pourvoyeuses des soins (professionnellement et au sein même de la famille).

En France, le scandale des entreprises privées dans les maisons de repos avait été dénoncé par l’excellent, mais révoltant livre-enquête Les Fossoyeurs (Lire « Scandale Orpéa : nos aînés maltraités par la soif de profit », initialement publié dans Lutte Socialiste n°269, mars 2022). Depuis lors, le groupe privé de maisons de retraite Orpéa (également présent en Belgique) a été plongé dans la tourmente au point qu’il va bientôt passer sous le contrôle de la Caisse des dépôts, bras financier de l’État français. Il faudra un combat acharné du personnel pour assurer qu’il ne soit pas simplement question d’un assainissement des finances du groupe aux frais de la collectivité avant de repasser la balle au privé. Cela doit constituer un point de départ vers la nationalisation de l’ensemble du secteur sous contrôle et gestion de la collectivité afin d’assurer des conditions de travail dignes de ce nom pour un personnel en quantité suffisante, afin d’assurer que nos aînés aient tout le respect qu’ils et elles méritent.

Ce combat doit aussi être mené en Belgique. La même direction doit être prise dans le secteur des titres-services (nettoyage, préparations de repas, courses…), système introduit il y a une vingtaine d’années par Frank Vandenbroucke, alors ministre SP.a de l’Emploi. Ce serait idéal pour mettre fin aux déplorables conditions de travail et de salaire dans le secteur, une organisation en équipe et par quartier permettrait aux travailleur.euse.s de ne plus être isolé.e.s et de s’attaquer aux violences sexistes subies par le 1/3 d’entre-elles, tout en leur permettant de disposer de suffisamment de temps pour également veiller sur les personnes âgées ou isolées.

Les richesses produites dans la société doivent servir à la société. Le PSL et la Campagne ROSA défendent un plan public d’investissements massifs pour que les services publics répondent aux besoins de la population en termes de logements sociaux, de crèches, d’écoles, d’hôpitaux, de maisons de repos, de refuges pour personnes en difficulté, de centre d’accueil pour personnes avec handicap, de soins à domicile… De nouveaux services publics doivent aussi être développés pour faciliter les tâches ménagères des familles avec des blanchisseries, ateliers de repassage, services de nettoyage, services de repas frais et de qualité sur les lieux de travail, dans les écoles et les quartiers, etc.

Où aller chercher tous les moyens que cela exige ? Commençons par refuser de rembourser la dette publique aux fonds spéculatifs, mais uniquement à des particuliers sur base de besoins prouvés. On ne peut pas être féministe et accepter de subir le poids de cette dette. Emprunter cette voie, la seule capable d’apporter un changement réel, conduira nécessairement à la nationalisation du secteur financier sous contrôle et gestion démocratiques. Ce sont de premières étapes qui ouvriront la voie à une société qui garantira l’épanouissement de tou.te.s, une société socialiste démocratique. Nous ne méritons rien de moins.

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Première page de Lutte Socialiste

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