Séismes en Turquie, en Syrie et au Kurdistan : les vautours de la construction cherchent déjà à tirer profit du drame

On ne connaît pas encore toute l’ampleur des destructions causées par les tremblements de terre en Turquie, en Syrie et au Kurdistan, mais déjà les grandes entreprises cherchent à en tirer profit. Dans cette première réponse, Serge Jordan commente la situation.

Par Serge Jordan

Les scènes des vies brisées par les tremblements de terre de ce lundi en Turquie, en Syrie et au Kurdistan sont douloureuses à regarder. J’étais en Turquie à l’été 1999, à seulement 40 km de l’épicentre du dernier tremblement de terre d’une telle ampleur à avoir frappé ce pays. J’avais 16 ans à l’époque et les souvenirs troublants des longues files de cadavres étendus sur le sol, des villes et villages entiers rasés et de l’odeur accablante de la mort humaine qui régnait partout ne m’ont jamais quitté depuis.

Il était alors devenu évident aux yeux de toutes et tous que les réglementations et les pratiques du secteur de la construction dans le pays (comme le mélange de sable de mer avec le béton) visaient à satisfaire la soif de profits des gangsters au sommet de cette industrie. Une corruption débridée s’était par ailleurs développée en conséquence autour du secteur. Ces deux facteurs étaient fondamentaux pour comprendre l’ampleur du désastre. La réaction terriblement inadéquate du gouvernement turc de l’époque a constitué un élément important dans l’ascension du parti AKP (Parti de la justice et du développement, au pouvoir depuis 2002) et d’Erdoğan, qui avait promis changement et prospérité au peuple turc, notamment concernant la législation de construction du pays.

Deux décennies de règne de l’AKP plus tard, force est de constater que bien peu de choses ont changé. Les séismes de ce lundi ont mis en évidence toute la pourriture derrière l’engouement pour l’immobilier et les infrastructures, le moteur de la croissance turque de ces dernières années. En dépit d’avertissements répétés de la part des scientifiques et des experts, chaque mesure un tant soit peu sérieuse afin d’améliorer la préparation face aux tremblements de terre a été sacrifiée sur l’autel du profit privé au plaisir de quelques grandes entreprises alliées du parti au pouvoir.

Aidés par de généreuses incitations fiscales, des appels d’offres truqués et une corruption institutionnalisée, les quelques magnats de la construction proches du régime d’Erdoğan ont empoché des milliards et des milliards en rognant systématiquement sur la sécurité ainsi que sur les conditions de travail. Aujourd’hui, des millions de pauvres gens doivent revivre des scènes de désolation et de mort à grande échelle identiques, alors que cela était totalement évitables. Mais il n’a pas fallu attendre longtemps pour que le cours des actions des cimentiers s’envolent à la bourse d’Istanbul. Les vautours s’approchent déjà pour tirer profit de la catastrophe.

Celle-ci n’est pas plus «naturelle» que celle qui a eu lieu il y a 24 ans et que toutes les autres, plus petites, qui se sont produites entre-temps. Les moyens, la technique et la science nécessaires à la construction de villes et de bâtiments antisismiques existent. Mais la logique du capitalisme s’oppose à leur utilisation, car il est bien plus rentable de jouer au poker avec des vies humaines.

Les appels qui se font actuellement entendre pour «ne pas politiser» les tremblements de terre reflètent à la fois tout le cynisme et toute la crainte de l’élite dirigeante que la rage profonde des masses commence à exploser sur la scène à quelques mois d’élections cruciales. En fait, la solidarité réconfortante de la classe ouvrière qui se forge en ce moment critique de désespoir pourrait précisément poser les bases de la construction d’un mouvement capable de faire rendre des comptes à tous les grands criminels responsables de cette catastrophe, de mettre fin au règne de l’AKP qui l’a présidée, de placer les grands conglomérats de construction sous contrôle public et, finalement, de lutter pour un système socialiste dans lequel la vie des gens, leur droit à la sécurité, au logement, etc. sont fermement mis au premier plan.

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