En 2013, Kshama Sawant est parvenue à être élue au conseil de ville de Seattle (organe qui regroupe 9 personnes élues par district au côté du maire pour gérer la ville, sans majorité ou opposition définie). C’était la première fois qu’une marxiste était élue dans une grande ville américaine depuis un siècle. Avec son parti, Socialist Alternative, elle a inlassablement utilisé cette position élue pour construire un rapport de force à la base et encourager des luttes autour de revendications comme celle d’un meilleur salaire minimum. En dépit de son isolement politique au sein du conseil, la pression des mouvements de lutte a permis d’arracher plusieurs victoires importantes. La classe dirigeante n’a cessé de mener bataille contre elle et contre Socialist Alternative, même Jeff Besos a fait un point d’honneur de la vaincre. Sans succès. Il y aura à nouveau une échéance électorale cette année, mais notre camarade Kshama n’y participera pas. Elle explique les raisons de cette décision ci-dessous.
Cet article a été initialement publié par The Stranger.
C’est maintenant la dixième année que j’ai l’honneur de servir en tant que représentante élue des travailleurs de Seattle.
Les travailleuses et travailleurs de Seattle, en s’organisant aux côtés de mon bureau socialiste au conseil de ville et de mon organisation, Socialist Alternative, ont remporté des victoires historiques, du salaire minimum de 15 dollars de l’heure à la « taxe Amazon » en passant par des droits historiques en faveur des locataires.
Ces victoires ont constitué un puissant exemple à l’impact national et même international.
Au cours de nos quatre victoires électorales et dans chaque combat, nous avons dû surmonter la puissance combinée des grandes entreprises, des médias capitalistes et de l’establishment politique. À chaque fois, les travailleuses et travailleurs ont refusé de reculer, et nous l’avons emporté, encore et encore.
C’est la leçon la plus importante de notre exemple de politique socialiste à Seattle. Lorsque les travailleuses et travailleurs ainsi que la jeunesse s’organisent et se battent, la victoire est possible. Aucun progrès social significatif ne peut être gagné sous le capitalisme sans affronter l’opposition vicieuse des riches et de leurs serviteurs politiques. Au lieu de reculer, nous devons construire l’unité de la classe travailleuse et riposter férocement et fièrement.
Une classe capitaliste rapace et parasitaire a amassé des fortunes incalculables grâce au travail de milliards de travailleuses et travailleurs. Mais leur système est en crise profonde, et il ne peut se maintenir en place. Il continue d’éviscérer le niveau de vie des gens ordinaires avec des niveaux d’inflation historiques, et plus de 800 millions de personnes se couchent chaque soir le ventre vide. La droite est à l’attaque contre le droit à l’avortement et contre les droits des personnes LGBTQIA+.
L’avenir de la civilisation humaine est sur le fil du rasoir avec la menace existentielle de la catastrophe climatique. Les travailleuses et travailleurs ainsi que la jeunesse ne peuvent pas se permettre le statu quo politique favorable aux grandes entreprises.
Lors de mon investiture en 2014, j’ai déclaré : « Laissez-moi être absolument clair : il n’y aura pas d’accords pourri dans les coulisses avec les grandes entreprises ou leurs serviteurs politiques. Je ne vendrai pas le peuple que je représente. »
Notre équipe socialiste au Conseil de ville s’y est tenu. Il est extrêmement regrettable qu’excessivement peu d’autres élus dans ce pays puissent en dire autant.
Depuis mon élection en 2013, plus de deux cents candidats se déclarant « socialistes démocratiques » ont été élus au niveau national. Mais malheureusement, à de rares exceptions près, l’écrasante majorité d’entre eux ont abandonné leurs promesses de campagne et n’ont pas réussi à tenir tête à l’establishment politique.
Pas plus tard que le mois dernier, nous avons assisté à la trahison historique et honteuse des cheminots par les membres du Congressional Progressive Caucus (aile « progressiste » du Parti démocrate, NdT), y compris sa présidente Pramila Jayapal et les membres de The Squad (la brigade, un groupe d’élus démocrates progressistes) autoproclamée « socialistes démocratiques » comme Alexandria Ocasio-Cortez (AOC).
La grève des cheminots a été brisée avec le concours de prétendus progressistes du Congrès, ce qui n’est pas seulement une atteinte aux cheminots, c’est une véritable trahison de l’ensemble de la classe ouvrière.
De telles trahisons ont des conséquences encore plus sinistres. Cela donne un espace à la droite, comme nous l’avons vu avec ces cinq sénateurs républicains qui ont hypocritement voté contre le projet de loi briseur de grève, afin de se prétendre du côté des cheminots.
Ces républicains – qui en réalité servent ouvertement les intérêts des riches – s’autorisés à prétendre que leur parti est le parti des travailleurs. Comment est-ce possible ? Uniquement parce que le parti démocrate se dirige de plus en plus vers la droite dans son soutien loyal à l’élite capitaliste.
Il est profondément regrettable que ce soit le Freedom Caucus de droite qui ait démontré comment utiliser l’effet de levier à la Chambre des représentants pour imposer des concessions à l’establishment, plutôt que The Squad. Avec l’échec continu de tout véritable leadership à gauche, la lutte pour la présidence de la Chambre des représentants a révélé à quel point le courant de droite peut rapidement et dangereusement combler le vide. Il s’agit d’un rappel effrayant de la manière dont Trump a remporté son élection en premier lieu.
Les travailleuses et travailleurs ainsi que la gauche ne peuvent pas rester sans rien faire et attendre à la merci de volonté d’élus soi-disant progressistes. Nous ne pouvons pas nous en remettre à AOC ou Pramila Jayapal, même si je comprends que beaucoup entretenaient des espoirs envers leur action.
AOC a récemment déclaré qu’elle ne pouvait pas se battre contre les dirigeants démocrates au nom des travailleuses et travailleurs car cela causerait un « préjudice relationnel » avec les dirigeants du parti. Qu’en est-il du très réel préjudice né de l’absence de combat pour nos intérêts de classe ?
Pendant ce temps, l’organisation qui devrait exiger des comptes à AOC et aux élus de The Squad, les Socialistes démocrates d’Amérique (DSA), semble ne pas vouloir le faire. Cela ne me fait pas plaisir de le dire, car je suis actuellement également membre des DSA. Mais l’attitude de la direction des DSA a essentiellement consisté en une couverture de l’égarement de The Squad.
Nous faisons face à un véritable vide de direction à gauche, localement et nationalement.
Nous avons besoin d’un nouveau parti pour et par la classe travailleuse, un parti qui rend les élus responsables, qui repose sur les mouvements sociaux, qui s’organise aux côtés des travailleuses et travailleurs dans les rues et sur les lieux de travail.
Les élections ne sont pas la seule, et encore moins la première, voie vers le changement politique, car le système politique est pourri de fond en comble dans un régime capitaliste. Aujourd’hui, alors que la crise mondiale s’aggrave, la pourriture s’étend de plus en plus profondément, et la menace d’une corruption accrue par l’extrême droite pèse sur nous tous. En Inde, le pays où je suis né, l’extrême droite est au pouvoir et se consolide rapidement. Aux États-Unis, les élections de mi-mandat n’ont été qu’un sursis temporaire, à moins que nous nous organisions.
Le capitalisme doit être renversé. Nous avons besoin d’un monde socialiste. Et cela n’est possible qu’en mobilisant plusieurs millions de travailleuses et travailleurs autour d’idées socialistes authentiques et en luttant sans relâche pour nos intérêts en tant que classe.
Mais la tâche de reconstruire la lutte des classes en Amérique ne mènera à rien si les jeunes et la base du mouvement ouvrier ne comprennent pas clairement le rôle du parti démocrate et la nécessité d’un nouveau parti qui nous serve nous, et non les riches.
Les travailleuses et travailleurs doivent reconnaître que nous devons nous battre indépendamment des deux partis des grandes entreprises et des dirigeants qui leur trouvent des excuses.
L’année dernière, des centaines de milliers de travailleuses et travailleurs se sont battus pour syndiquer leur lieu de travail ou ont fait grève pour obtenir un bon contrat, que ce soit chez Amazon, Starbucks ou l’Université de Californie. Nous avons vu la victoire historique des travailleuses et travailleurs d’Amazon à New York par le nouveau syndicat d’Amazon. L’année précédente, nous avons assisté à « Striketober » (une vague de grèves durant le mois d’octobre, NdT), qui a compris des batailles historiques comme la grève de John Deere, et ici à Seattle la grève des Pacific Northwest Carpenters dans la construction.
Il y a moins de trois ans, nous avons assisté au plus grand mouvement de protestation de rue de l’histoire des États-Unis : la lutte de Black Lives Matter à la suite du meurtre de George Floyd par la police.
Les travailleuses et travailleurs veulent riposter, mais nous devons être mieux organisés. Nous avons besoin d’un mouvement à l’échelle nationale : une campagne indépendante de la base qui s’organise sur les lieux de travail et dans les rues.
Ce sont les syndicats progressistes qui devraient utiliser leurs ressources pour lancer un tel mouvement, comme l’ont fait les syndicats au Royaume-Uni avec la campagne « Enough Is Enough ». Mais cela ne s’est pas produit. Malheureusement, la plupart des dirigeants syndicaux de ce pays sont étroitement liés à l’establishment démocrate, ils ont peur de dénoncer les Démocrates, de présenter des candidats indépendants et de mettre en place de puissantes actions de grève basées sur des revendications audacieuses. Ils ont peur de faire des vagues.
C’est pourquoi, avec Socialist Alternative et d’autres, j’annonce le lancement d’un tel mouvement national, Workers Strike Back, au lieu de me présenter à nouveau aux élections dans le district 3 de Seattle. Nous ne nous faisons pas d’illusions sur le fait qu’un mouvement de masse puisse être construit du jour au lendemain, mais il est urgent de poser les premiers pas.
Les travailleuses et travailleurs ont fait de cette ville un puissant exemple au travers de divers mouvements de lutte. Il est temps de s’appuyer sur cet exemple au niveau national pour élargir et renforcer la lutte des classes.
Workers Strike Back sera lancé début mars dans plusieurs villes du pays : de Seattle à New York, de Chicago à Minneapolis, d’Oakland à Houston et au-delà.
Ici, à Seattle, nous organiserons un rassemblement de lancement le 4 mars. Rejoignez-nous. Les principales revendications de Workers Strike Back sont les suivantes :
- Les travailleurs ont besoin d’une véritable augmentation de salaire
- De bons emplois syndiqués pour toutes et tous
- Luttons contre le racisme, le sexisme et toutes les oppressions
- Un logement de qualité à prix abordable et des soins de santé gratuits pour toutes et tous
- Plus de trahison : il nous faut notre propre parti
Vous pouvez lire notre programme complet sur notre site web, et toutes celles et ceux qui sont d’accord doivent signer la pétition et la partager largement.
Parallèlement à Workers Strike Back, nous lancerons une émission vidéo pour faire connaître la politique et la stratégie socialistes aux travailleurs au niveau national et international. Cette émission vidéo, que je vais aider à animer, s’appellera On Strike, et elle commencera à être diffusée cet été.
De plus en plus, les médias qui se disent indépendants et de gauche ont détourné le regard ou ont activement couvert les politiciens qui trahissent les travailleuses et travailleurs. Cela a un prix réel, car cela crée de la confusion et de la démoralisation, trahissant effectivement les travailleurs une seconde fois.
Une dernière chose : même si je suis sûr que les entreprises de Seattle seront très heureuses d’apprendre que je ne me représente pas, elles ne devraient pas se précipiter pour mélanger leurs martinis, car nous n’en avons pas fini.
Mon bureau au conseil de ville continuera à se battre sans relâche pour les travailleuses et travailleurs jusqu’à la fin de mon mandat. Nous soumettrons le contrôle des loyers au vote et, aux côtés de notre nouvelle organisation, Workers Strike Back, nous construirons notre mouvement pour les droits des locataires et des travailleuses et travailleurs. Et lorsque ce mandat sera terminé, nous continuerons à perturber la paix politique à Seattle, ainsi qu’au niveau national, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’hôtel de ville.
J’invite les jeunes, les travailleurs et les membres de syndicats à rejoindre Workers Strike Back !