Leterme suscite de nouveaux remous communautaires

Question nationale

Yves Leterme voulait se faire remarquer et il a réussi. Ses propos dans Libération ont fait couler des litres d’encre dans tous les journaux. Les préparatifs de la réforme de l’Etat ont bel et bien commencé.

Anja Deschoemacker

Selon Leterme (président du CD&V et de la région flamande), les francophones n’ont pas les capacités intellectuelles pour apprendre le néerlandais, mais aussi que ne subsistent de la Belgique que le roi, la bière et le football. De plus, il a menacé les francophones d’abolir les mécanismes qui les protègent comme la parité linguistique au sein du gouvernement fédéral et la procédure de la sonnette d’alarme s’ils remettaient en cause la frontière linguistique. Di Rupo a surenchéri en mettant sur la table les mécanismes de protection des Flamands de Bruxelles et en revendiquant l’alternance linguistique du poste de Premier Ministre.

Chacun sait ainsi à qui il doit s’en prendre: à l’autre communauté. Est-ce le cas? Mais avant d’aller plus loin: les francophones refusent-ils d’apprendre le néerlandais?

Les faits sont les suivants. A Bruxelles, les enfants néerlandophones sont une minorité dans l’enseignement maternel et secondaire. Un quart des jeunes scolarisés vont dans une école néerlandophone. Du côté francophone, quelque 150 écoles primaires et secondaires donnent une partie des cours dans une autre langue que le français. 4 le font en allemand, 29 en anglais et… 115 en néerlandais ! En dépit de sondages qui révèlent qu’une majorité de Bruxellois souhaitent un enseignement bilingue, les politiciens bruxellois flamands s’y opposent. En Flandre, l’enseignement en immersion est interdit et la connaissance du français recule dans la jeunesse. La réduction des moyens pour l’enseignement n’y est pas étrangère.

L’attitude des travailleurs et de leurs familles envers les langues dépend étroitement des exigences du marché du travail. D’après le président de la FEB Jean-Claude Daoust: "L’unilinguisme se paye cash sur le marché du travail. On ne lit même pas les CV des candidats unilingues". C’est ainsi que la grande majorité des Bruxellois flamands se sont francisés dans le passé.

De même aujourd’hui, le taux élevé du chômage en Wallonie et à Bruxelles (avec une grande majorité de chômeurs francophones unilingues) donne lieu à un redoublement d’efforts pour devenir bilingue. Le succès des chèques-langues en témoigne.

Questions/réponses

Les écarts économiques entre la Flandre et la Wallonie doivent-ils mener à la scission de la Belgique?

La Belgique existe depuis près de 200 ans. Pourtant, elle a toujours connu de grandes disparités régionales. Depuis le début du 20e siècle, des voix pour plus d’autonomie régionale se sont exprimées des deux côtés. Seules les deux guerres ont donné lieu à l’expression d’un fort nationalisme belge. Mais il n’y a eu à aucun moment dans l’histoire, ni en Flandre ni en Wallonie, une situation où une majorité de la population s’est prononcée pour la séparation. La plupart des mouvements nationalistes s’en sont toujours tenus à un programme de réformes dans le cadre belge. La bourgeoisie préfèrerait certes un espace linguistique homogène qui est plus propice au développement économique, mais elle préfère encore davantage les grands ensembles cohérents à l’émiettement territorial.

De plus, une scission de la Belgique pourrait donner lieu à un effet domino que les bourgeoisies européennes, c’est le moins qu’on puisse dire, ne souhaitent pas. Et que faire de Bruxelles qui sera revendiquée par la Flandre comme par la Wallonie?

L’unanimité politique flamande reflète-t-elle un fort nationalisme flamand et une volonté de régionalisation accrue parmi la population flamande?

C’est l’impression que l’on a lorsqu’on écoute n’importe quel politicien flamand. Mais alors, comment expliquer que les "sans opinion" l’emportent dans les sondages sur la scission de BHV réalisés en Flandre? Tout comme en Wallonie d’ailleurs. La Flandre et la Wallonie convergent en effet dans le peu d’intérêt que semblent porter leurs populations à la politique communautaire. Dans les sondages sur les dossiers prioritaires à l’approche des élections, ce sont des thèmes comme l’emploi, les soins de santé, la sécurité,… qui sont cités. On ne trouve jamais dans le top 10 " plus de compétences pour les régions et/ou les communautés ", pas plus en Flandre qu’en Wallonie ou à Bruxelles. Dans un sondage réalisé au plus fort de la crise autour de BHV, 84% des Flamands et 92% des Wallons prônaient le maintien de la Belgique.

Qui dit quoi?

  • En mars 1999, tous les députés du Parlement flamand (sauf ceux du Vlaams Blok) ont voté les résolutions suivantes: maîtrise totale par la Flandre des soins de santé, de la politique des familles, de la coopération au développement, des télécommunications, de la recherche scientifique et technologique ; autonomie fiscale et financière accrue ; autonomie constitutive illimitée; transfert de l’exploitation et de l’infrastructure ferroviaires; solidarité objective et transparente avec les autres entités fédérées ; homogénéité des paquets de compétences en matière de police et de justice. Leterme fait d’une percée dans ce qui précède, avec la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, un préalable à l’entrée du CD&V dans un gouvernement fédéral; Vande Lanotte fait de la régionalisation du marché du travail un préalable à la participation du SP.a.
  • Le front francophone est jusqu’ici un front défensif. La plupart des politiciens francophones opposent à la revendication de scission de BHV celle du maintien et de l’ancrage des facilités, voire l’extension des limites de la Région de Bruxelles-Capitale.
  • Les politiciens bruxellois refusent d’être le dindon de la farce. Ils revendiquent surtout plus d’argent pour Bruxelles.
  • Il ressort de plusieurs enquêtes que les petits patrons flamands, regroupés au sein du Voka et d’Unizo, se prononcent en grande majorité pour la régionalisation du marché du travail.
  • La FEB en revanche, qui représente les grandes entreprises, se prononce contre la régionalisation du marché du travail. Pour Jean-Claude Daoust (De Standaard 1/9): "Chez Unizo, il s’agit surtout de petites entreprises dont le terrain d’action est souvent très local, circonscrit à la Flandre (…). Elles ignorent les entraves à la libre entreprise que pose une double ou une triple législation".
  • La FGTB et la CSC se sont prononcées contre une extension de la régionalisation. Le président de la CSC, Luc Cortebeeck, a dit dans Le Soir (11/9) que la régionalisation du marché du travail n’apporterait rien aux travailleurs flamands et causerait des dégâts au tissu socio-économique.
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