Retour sur la manifestation de la CES du 4 avril

50.000 participants à la manifestation de la Confédération Européenne des Syndicats
Une atmosphère radicale parmi les manifestants

Selon les organisateurs, plus de 50.000 manifestants venus de 21 pays différents ont participé à la manifestation européenne qui s’est tenue à Bruxelles le vendredi 4 avril dernier, un nombre bien au-delà des 40.000 personnes initialement prévues, en dépit du caractère plutôt abstrait de ces manifestations. Les dirigeants de la Confédération européenne des syndicats (CES) livrent des analyses plus ou moins correctes de la situation à laquelle font face les travailleurs mais, malheureusement, cela ne donne pas suite à des appels clairs à l’action. D’autre part, les dirigeants de l’Union Européenne basés à Bruxelles se sont habitués à ces mobilisations qu’ils considèrent comme d’inévitables nuisances qui ne mettent pas vraiment en danger leur agenda néolibéral. Ils pourraient se tromper. Le taux de participation, l’ouverture évidente pour des revendications plus radicales que les officielles et l’atmosphère nerveuse présente à cette manifestation reflètent la pression de la base pour des actions plus décisives.

« Notre message est simple », a déclaré Bernadette Ségol, Secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats: « L’austérité ne fonctionne pas (…) Alors que les dirigeants de l’UE se félicitent de la fin de la crise de l’euro, nous affirmons que la crise du chômage et de la pauvreté n’a pas encore été abordée. (…) Dans 18 des 28 pays de l’UE, les salaires réels ont baissé. En Grèce, ils ont baissé de près d’un quart – et cela ne tient pas encore compte de l’augmentation de la fiscalité directe! Les salaires ont baissé, après ajustement à l’inflation, et pas seulement en Espagne, au Portugal et en Hongrie, mais aussi au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Plus de 26 millions d’Européens ne travaillent pas du tout. Il y a 10 millions de chômeurs de plus qu’en 2008. La situation des jeunes est pire encore. 7,5 millions de jeunes Européens ne sont ni au travail, ni dans l’enseignement, ni en formation. Beaucoup des plus instruits et des plus ambitieux ont tout simplement abandonné leur pays d’origine pour aller chercher du travail ailleurs ».

Que propose la CES ?

«Il est important que les dirigeants de l’UE se rendent compte que la seule austérité ne guérira pas nos difficultés économiques – au contraire, le taux de chômage élevé et la baisse des salaires réduisent les dépenses, et donc la demande de biens et de services ». Mais la CES laisse toutefois la porte ouverte à davantage d’austérité lorsqu’un de ses représentants déclare : «Le fait que les États-Unis aient investi dans la croissance tout en limitant les dépenses publiques dans certains domaines explique pourquoi la croissance économique et la création d’emplois sont plus élevés aux États-Unis. » De toute évidence, les dirigeants de la CES ont besoin d’une urgente clarification de la part de leur collègues d’outre-Atlantique concernant le taux de chômage ainsi que la destruction sociale qui frappent les États-Unis.

« Il est nécessaire d’investir dans les infrastructures, l’enseignement, la formation, la recherche et le développement de nouvelles industries », poursuivent-ils. La CES plaide en faveur d’un plan de relance de 2% du PIB européen investis en 10 ans afin d’atteindre une croissance durable et une réelle création d’emplois.

La CES qualifie cela de « nouvelle voie pour l’Europe ». Rien n’explique comment cela pourrait être obtenu ni, quand bien même serait-ce le cas, comment cela pourrait bien suffire à éradiquer la pauvreté et le chômage dans un cadre capitaliste. La perspective offerte par la CES aux chômeurs se résume à une nouvelle décennie de misère. Ce discours traine loin derrière ce que nous avons pu entendre lors de la manifestation, sans encore parler de ce qui serait nécessaire pour véritablement s’en prendre au chômage et à la pauvreté…

Le mécontentement du monde du travail

Les manifestants allemands exigeaient l’imposition d’un salaire minimum légal ainsi qu’un impôt sur la fortune. Des travailleurs néerlandais du secteur du nettoyage s’opposaient à la sous-traitance. Des manifestants lituaniens dénonçaient l’interdiction des grèves pour des augmentations de salaires dans leur pays. Les militants français de la CGT dénonçaient le prétendu «pacte de responsabilité» conclu entre leur gouvernement et les patrons et qui vise à faire payer la crise actuelle du système aux travailleurs et à leurs familles. La nouvelle voie pour l’Europe dont ils ont besoin est certainement bien différente de celle proposée par la CES et ils ne considèrent en aucun cas les sociaux-démocrates (comme le Parti socialiste français) comme des alliés.

Bien que loin d’être suffisantes, les revendications défendues par les syndicats belges contre le chômage et la précarité, contre le dumping social, contre l’augmentation de la pauvreté et des inégalités et contre la dérèglementation offraient au moins une approche de mobilisation plus concrète. Leur mobilisation a néanmoins été mal organisée. Les délégués syndicaux avaient la possibilité de quitter le travail pour se rendre à la manifestation, mais sans appel officiel à la grève afin que leurs collègues de travail puissent faire de même. Certains d’entre eux ont expliqué qu’ils avaient dû arracher les tracts des mains de leurs représentants syndicaux qui ne prenaient pas la peine de mobiliser, estimant que leurs membres ne seraient de toute manière pas intéressés. La mobilisation a essentiellement été utilisée par la direction de la CES afin de présenter des revendications plutôt faibles pour les dirigeants de l’UE dans la perspective des élections européennes. Il s’agissait d’un évènement unique, isolé, sans que la moindre initiative ne soit annoncée en tant que prochain pas, sans même parler d’un véritable plan d’action pour assurer que ces exigences très limitées soient entendues.

La mobilisation

Avec un appel à la mobilisation audacieux, le taux de participation aurait facilement pu être doublé ou triplé. Pas mal de délégués syndicaux sont restés chez eux ou sont tout simplement restés travailler, en partie à cause du manque d’information, en partie parce qu’ils ne veulent pas que leurs collègues considèrent que les délégués syndicaux prennent encore un « jour de congé » tandis que les autres travailleurs ne sont pas invités à les suivre. C’est aussi en partie parce qu’ils en ont marre des manifestations qui n’ont aucun suivi.

Cependant, en conséquence de la croissance des agressions patronales sur les salaires, les pensions et les contrats de travail, certaines couches de travailleurs ont saisi l’occasion pour exprimer leur opposition et démontrer leur détermination, en essayant de pousser les dirigeants syndicaux vers l’organisation d’actions plus déterminées.

On trouvait dans le cortège de nombreuses délégations de lieux de travail menacés de fermeture ou empêtrés dans des «restructurations», notamment des travailleurs du nord de la France, et d’autres travailleurs impliquées dans des luttes salariales ou portant sur les prépensions.

La délégation la plus proéminente était constituée par 1.500 dockers d’Anvers, Gand et Zeebrugge. Ils ont immédiatement pris la tête de la manifestation et se sont retrouvés en pleine confrontation physique avec la police. Scandaleusement, Bernadette Ségol de la CES s’est distanciée de leur action. « J’espère que la violence d’une infime minorité ne portera pas atteinte au message sérieux et pacifique de l’écrasante majorité. » Pas un mot, donc, sur l’attaque de la Commission européenne contre la loi belge qui indique que seuls les dockers officiellement reconnus ont le droit de travailler au port, y compris dans les départements logistiques. Pas un mot non plus sur le fait que la Commission européenne soutient ainsi ouvertement l’un des patronats les plus agressifs de Belgique !

Si Ségol, la CES et les fédérations syndicales belges avaient adopté une position plus ferme contre la privatisation et la libéralisation, s’ils avaient coordonné de larges campagnes nationales et européennes au lieu de laisser les travailleurs des différents pays et des différents secteurs isolés, si elles avaient fait appel à la solidarité et avaient offert de réelles perspectives de victoire, alors les dockers ne se seraient pas sentis obligés de recourir à la violence, comme ils l’avaient également fait en 2006 à Strasbourg pour défendre leurs emplois et leurs conditions de travail. A cette époque, ils avaient réussi à bloquer les directives européennes. A cause de gens comme Ségol, beaucoup d’entre eux tirent la conclusion regrettable que c’est la seule façon d’arrêter l’UE dans sa destruction de leurs emplois, de leurs conditions de travail et de salaire.

Ségol, au lieu de s’excuser, comme elle l’a fait, face à l’opinion publique et à la police, aurait dû présenter ses excuses aux dockers pour l’absence de combativité de la CES, pour la faiblesse de ses propositions et pour l’absence d’un échéancier d’actions concret qui offre une stratégie destinée à remporter la victoire sur base d’une lutte coordonnée et de la solidarité dans l’action.

Luttons pour défendre les droits des travailleurs !

Le PSL estime que les dirigeants de la CES et des syndicats belges devraient adopter une position plus combative dans la défense des droits des travailleurs. Cela comprend l’organisation de campagnes contre la privatisation et la libéralisation, contre le gel des salaires et pour de réelles augmentations de salaire, pour de vrais emplois et pour une réduction collective du temps de travail sans perte de salaire et avec embauches compensatoires, pour des salaires minimaux décents et pour la défense des services publics.

Tout comme les syndicats, nous trouvons que l’Europe devrait être différente et meilleure, mais nous ne pensons pas que cette Europe capitaliste peut tout simplement être réformée en une «Europe sociale». Les travailleurs ont besoin d’une perspective politique différente et de leurs partis indépendants basés sur un programme qui rejette les directives européennes, exige l’annulation du paiement des dettes publiques et défend la nationalisation des secteurs-clés de l’économie sous le contrôle et la gestion des travailleurs. En combinaison de la solidarité internationale et d’une lutte coordonnée, cela pourrait poser les bases d’une Europe véritablement « différente et meilleure », une fédération socialiste des Etats européens.

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