[INTERVIEW] Bart Vandersteene, de retour des USA

USA : La lutte pour un meilleur salaire minimum atteint un point critique

Le 15 mars dernier, 750 habitants de Seattle manifestaient pour revendiquer du Conseil municipal l’instauration d’un salaire minimum de 15 dollars de l’heure. Bart Vandersteene, porte-parole du PSL, a séjourné deux mois durant à Seattle au début de cette année afin de soutenir le fonctionnement de nos camarades de Socialist Alternative. Nous avons discuté avec lui des USA et de la lutte pour le socialisme, deux thèmes qui, selon certains, sont diamétralement opposés.

Kshama Sawant (membre de Socialist Alternative) vient d’accomplir ses premiers mois de conseillère à Seattle. Comment se sont-ils passés ?

“Un mot : impressionnant ! Lorsque Kshama a prêté serment le 6 janvier, 800 personnes étaient présentes ainsi que les médias nationaux et même internationaux. Et au cours des deux premiers mois de son mandat, elle a su faire parler d’elle plus d’une fois… C’en est fini de la politique à laquelle était habitué l’establishment à Seattle.

“Les médias locaux publient parfois plusieurs fois par semaine des reportages consacrés à Kshama. C’est à tel point que certains journalistes ont laissé entendre qu’ils reprennent goût à leur travail, qu’il y avait de nouveau des informations à couvrir. Plus prosaïquement, un autre journaliste a fait savoir que l’arrivée de Kshama était est une bonne chose pour les ventes de son journal.

“Ces anecdotes illustrent ce qui se vit plus généralement au sein de la société. Pour la première fois depuis longtemps, une partie importante de la population active se sent à nouveau représentée au conseil.”

En deux mois, on ne peut évidemment pas réaliser grand-chose…

“Vous seriez bien étonnés. La présence d’une véritable socialiste parmi les neuf conseillers qui gèrent la ville renforce la confiance en soi de la population. Lors d’un discours en face de militants syndicaux Kshama a exprimé la manière dont elle voit son rôle comme suit : ‘‘Chez moi, pas besoin de faire du lobby. Il suffit de me dire comment je peux vous aider.’’

“Certains prennent ça au pied de la lettre, c’est d’ailleurs ce qu’elle espérait. Ainsi, elle a reçu un jour la visite d’une quarantaine de travailleurs d’un hôpital. Ils lui ont expliqué qu’en tant qu’immigrés, ils étaient discriminés en permanence par leurs supérieurs et qu’ils n’avaient pas obtenu de prime entre autres à cause d’un examen linguistique proprement raciste. Kshama a pris le dossier à coeur, a écrit une déclaration, a appelé la direction de l’hôpital et a rapporté cette affaire au conseil municipal. Deux semaines plus tard, les travailleurs ont reçu leur prime avec effet rétroactif, la direction a présenté ses excuses et a promis une enquête interne sur la discrimination. Outre ces choses concrètes, Sawant pèse dans le débat politique de la ville.”

La question du salaire minimum est-elle au centre de ce débat politique ?

“Oui. La gigantesque inégalité de revenus et de richesses aux USA entraine une indignation profonde. La lutte pour un meilleur salaire minimum est le thème central autour duquel le mécontentement se manifeste. Comme Tom Morello, l’ancien guitariste de Rage Against The Machine, l’a récemment écrit : ‘‘All eyes are on Seattle’’, tous les yeux sont sur Seattle. La chance est réelle que le salaire minimum augmente drastiquement à Seattle. Ce serait un exemple inspirant pour tous les travailleurs à bas salaire du pays.

“Le salaire minimum fédéral de 7,25 dollars (5,5 euros ou 880 euros bruts par mois) est un vrai salaire de misère. Dans l’Etat de Washington, le salaire minimum est de 9,32 dollars. Avec un coût moyen du logement de 1200 dollars par mois à Seattle, impossible de vivre d’un tel salaire. Cette revendication des 15 dollars de l’heure était le thème central de la campagne électorale de Kshama. Les 95.000 voix qu’elle a récoltées comme socialiste ouvertement déclarée ont placé le thème du salaire minimum en haut de l’agenda politique.”

Où en est cette discussion aujourd’hui ?

“Le maire déclare systématiquement dans les médias qu’un salaire minimum de 15 dollars de l’heure arrive, mais l’affaire est loin d’être gagnée. En coulisses, des grandes et moyennes entreprises font du lobby pour enterrer la question. Le maire Murray a récemment déclaré que les 15 dollars ne seraient complètement instaurés qu’à la fin de son mandat en 2017, mais avec probablement toutes sortes d’exceptions. Le secteur Horeca veut par exemple intégrer les pourboires dans le salaire et certaines entreprises veulent faire compter l’assurance-santé de leurs travailleurs. D’autres disent que les “petites” entreprises ne doivent pas y être forcées.

“C’est une véritable guerre de propagande qui a éclaté. Les grandes entreprises aux bénéfices mirobolants peuvent évidemment difficilement défendre être incapables de payer un tel salaire minimum, elles se retranchent donc derrière les petites et moyennes entreprises. Kshama Sawant a quant à elle toujours plaidé pour une beaucoup plus grande imposition des grandes entreprises. Cet argent pourrait être utilisé pour accorder certaines réductions d’impôts aux petites entreprises
qui prouvent qu’elles ont de réelles difficultés financières.”

Les entreprises essaient-elles de créer un climat de peur ?

“Absolument. Des emplois disparaîtraient, l’économie locale serait anéantie, etc. Toutes les études prouvent au contraire que dans les villes où le salaire minimum a été augmenté, des emplois ont été créés grâce à l’augmentation de la consommation. Si une grande partie de la population active voit ses revenus fortement augmenter, cela retourne intégralement dans l’économie. Mais c’est un fait que, dans l’économie capitaliste, les plus grandes entreprises bénéficient d’un énorme avantage concurrentiel du fait de l’échelle à laquelle elles opèrent, des matières premières qu’elles peuvent acheter, des frais qu’elles peuvent étaler,… Et elles paient aussi moins d’impôts, tout comme en Europe.

“Mais quand une économie ne peut fonctionner qu’en condamnant les travailleurs à des salaires de misère, quelque chose cloche fondamentalement. Voilà ce que dit Socialist Alternative, en partant du principe que chaque travailleur a droit à la richesse qu’il produit et que si la structure économique actuelle ne le permet pas, il faut discuter d’une alternative. Cette prise de conscience se développe lentement aux USA.”

Kshama Sawant a parlé, début de cette année, de la possibilité d’un référendum. Aura-t-il lieu ?

“Fin avril, une campagne sera lancée pour récolter plus de 20.000 signatures. Entre-temps, nous laissons encore quelques semaines aux négociations.

“Socialist Alternative et Kshama Sawant ont lancé, début de cette année, la campagne “15now” pour organiser les activistes au sein d’un mouvement de masse capable de faire pression sur le maire et les négociateurs. Si nécessaire, cela peut devenir une campagne de masse pour un référendum le 4 novembre 2014.

“Un référendum est naturellement un instrument difficile. L’an dernier, une proposition a été faite d’indiquer clairement les produits comprenant des OGM. Le soutien à cette mesure bénéficiait d’un soutien de 90 % dans les sondages. Mais l’industrie agro-alimentaire, notamment Monsanto, a lancé une méga-campagne de 22 millions de dollars avec des spots télé, tracts,… en annonçant la fin économique de Seattle. Au final, les activistes ont perdu le référendum.

“Il existe de meilleurs instruments. Si seulement les syndicats pouvaient renouer avec la fructueuse tradition de lutte du passé, avec une organisation solide sur les lieux de travail, des manifestations et des grèves. Hélas, une partie considérable de la direction syndicale est aujourd’hui intégrée à la structure sociale. Socialist Alternative a toutefois de bonnes relations avec plusieurs dirigeants syndicaux conscients que le soutien est énorme pour une forte augmentation du salaire minimum. Ils aident à faire de “15now” une campagne qui, espérons-le, arrachera une victoire cette année.

“Cette année, le 8 mars, Journée Internationale des Femmes, qui tout comme le 1er mai trouve ses origines aux USA, une attention particulière concernant l’inégalité salariale a été soulignée. Deux tiers de tous les travailleurs qui travaillent au salaire minimum sont des travailleuses. Un salaire minimum plus élevé aurait un impact énorme sur le fossé salarial entre hommes et femmes. Dans un classement de l’égalité salariale entre hommes et femmes, les USA se trouvent à la 67ème place sur 133 pays, juste derrière le Yémen. L’augmentation du salaire minimum est donc aussi une question d’égalité hommes- femmes.”

Quel impact a eu l’élection de Kshama dans le reste du pays ?

“Cette élection a signifié un regain d’énergie pour beaucoup d’activistes dont certains étaient désillusionnés. Sawant est le symbole du renouveau de la gauche aux USA. Elle a donné une réponse socialiste au State of the Union d’Obama qui a été vue presque 90.000 fois sur YouTube. Socialist Alternative est toujours une petite organisation mais elle a attiré l’attention de beaucoup de personnes à la recherche d’une organisation socialiste efficace. Nous sommes dans le processus de création de nouvelles sections dans tout le pays. La victoire électorale a été une énorme prouesse. Mais avoir un impact réel sur la lutte à Seattle et obtenir des résultats, entre autres autour du salaire minimum, aurait encore plus d’écho et pourrait servir d’exemple pour le reste du pays.

“Tout ceci est vraiment très encourageant pour les socialistes du monde entier. Kshama a reçu des félicitations du monde entier mais surtout d’Amérique du Sud et centrale, d’Afrique, d’Asie parce que les organisations de gauches y sont bien conscientes à quel point il est fondamental de voir une force socialiste solide se développer aux USA qui, à terme, puisse enchaîner le monstre impérialiste. C’est pourquoi le PSL a décidé de soutenir ce développement et d’aider dans cette tâche importante pour construire un mouvement socialiste fort aux USA.”

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