Le 14 septembre, les travailleurs de la Fabrique Nationale ont décidé d’accepter l’accord négocié par les délégations syndicales avec la direction et de reprendre le travail après 19 jours de grève. Cet accord représente une victoire pour les travailleurs de la FN mais son importance va bien au-delà.
Christophe Cusumano
Le Pacte des Générations voté en décembre dernier impose d’avoir atteint 58 ans dont 35 ans de carrière pour pouvoir partir en prépension. Ce Pacte, qui restreint l’accès à la prépension, a été et reste contesté par les travailleurs et les syndicats. Cependant la direction de la FN ne le trouvait pas encore assez dur à son goût et cherchait à rendre encore plus compliqué le passage à la prépension pour les travailleurs âgés. La grève l’a forcée à faire des concessions importantes.
Encore moins que le Pacte des Générations!
Pour bien comprendre la situation à la FN, un petit retour en arrière s’impose. En 1997, la Région wallonne a décidé de reprendre la FN qui était en difficulté. Mais l’objectif de Serge Kubla (ministre régional wallon MR de l’économie entre 1999 et 2004) était de la rendre à nouveau mûre pour le privé. Et son successeur Jean-Claude Marcourt (PS) ne semble pas vouloir changer beaucoup à cela.
Avec un chiffre d’affaires de 450 millions d’euros et un bénéfice annuel net consolidé de 10 millions d’euros, la FN affiche aujourd’hui une bonne santé. Mais la pyramide des âges reste fort déséquilibrée : une proportion importante du personnel a la cinquantaine. Si cela continue comme cela, en 2010, 30% du personnel aura plus de 58 ans.
C’est pourquoi les syndicats demandent que le personnel ayant une grande ancienneté puisse bénéficier d’une prépension dès 58 ans et d’un aménagement de la fin de carrière avant 58 ans avec engagement de jeunes pour maintenir l’emploi. Face à cela, la direction de la FN dit craindre que trop de départs de personnes expérimentées ne déforcent la société mais elle ne se donne pas les moyens de former les jeunes pour inverser la tendance.
Depuis plusieurs mois, les délégations syndicales négociaient avec la direction de la FN sans trop de résultats. Le 26 juin, il y a déjà eu un arrêt de travail. L’annonce d’une prime importante suite aux bons résultats de l’entreprise – mais uniquement réservée aux cadres et s’élevant en moyenne à plusieurs milliers d’euros – avait été la goutte qui faisait déborder le vase. Comme le disaient les travailleurs, ce bon résultat est l’affaire de tout le monde. Ouvriers et employés réclamaient donc, pour eux aussi, le versement d’une prime en disant "Que la richesse produite par tous profite à tous".
La direction de la FN a pourtant continué de refuser de donner des garanties claires à l’ensemble du personnel. Elle voulait négocier au cas par cas les départs en prépension pour les prochaines années, ce qui est une remise en cause du principe de convention collective, et ne voulait pas donner de garanties quant au remplacement des prépensionnés par des jeunes et donc au maintien de l’emploi. Diviser les travailleurs et gagner du temps étaient clairement ses objectifs.
Trois semaines de lutte
Le 25 août, lors d’une assemblée générale, les 1100 travailleurs de la FN ont donc décidé d’arrêter le travail pour une durée illimitée. Des piquets de grève ont bloqué l’usine pendant presque trois semaines. Du début à la fin, le Front Commun ouvriers-employés et FGTB-CSC est resté soudé. Plusieurs assemblées générales ont permis aux travailleurs de s’informer et de voter sur les propositions successives faites par la direction. C’est ainsi qu’elle a successivement accepté le droit à la prépension à 58 ans pour tous de 2008 à 2010 (mais pas avant) et une prime sur les résultats de 350 euros, puis de 700 euros, propositions que les travailleurs ont rejetées comme insuffisantes.
Après 19 jours, la direction a dû céder de manière beaucoup plus nette. L’accord prévoit : le droit de partir à la prépension à partir de 58 ans et 35 ans de carrière pour tous jusqu’en 2010, un aménagement du temps de travail pour ceux qui ont une longue carrière mais pas encore 58 ans (presque 30% du personnel du FN), la garantie du volume de l’emploi jusqu’en 2010 et une prime de résultats de 1100 euros brut (y compris pour les cadres qui reçoivent finalement une double prime sans avoir participé à la lutte).
Cet accord est une victoire qui pourra servir d’exemple aux autres entreprises. Pendant trois semaines, les ouvriers et les employés ont marché main dans la main contre la direction et c’est ensemble qu’ils ont remporté cette victoire : cela montre la force de l’union de tous les travailleurs. Le plus important, comme l’a dit Rose Fortuny, déléguée CNE (employés CSC), c’est que "Ce n’est plus juste une réaction après une attaque patronale ; nous sommes passés à l’offensive".
Ce que confirme Claude Podoriezach, délégué SETCa (employés FGTB) : "La porte des fins de carrière avait été complètement fermée par le Pacte des générations. Maintenant, cette porte est réouverte. C’est donc une victoire au niveau de la FN, mais aussi au-delà, pour toute la région."