Le trafic international de déchets tue

COTE D’IVOIRE

Six personnes décédées officiellement – mais officieusement il y en aurait 75 – et des milliers d’autres intoxiquées, tel est le résultat d’une pollution causée par le déversement de déchets extrêmement toxiques à Abidjan, la capitale de la Côte d’Ivoire.

Marie Francart

Dans la nuit du 19 au 20 août, un navire russe, le Probo Koala, battant pavillon panaméen (de complaisance évidemment) et affrété par une société immatriculée en Espagne, arrive au port d’Abidjan. Officiellement, sa cargaison est composée de 528 m3 d’eux usées contenant des hydrocarbures. En réalité, il s’agit de sulfure d’hydrogène, un produit très toxique et dangereux. Pourtant, à peine arrivés en terre africaine, ces produits sont transportés et ensuite déversés – en toute légalité – dans sept décharges d’Abidjan par une société locale.

Quelques heures à peine après les déversements, une odeur nauséabonde d’œuf pourri se répand et les riverains sont victimes de violents malaises : maux de tête, diarrhées aigues, problèmes gastriques et difficultés respiratoires. Les centres hospitaliers se retrouvent rapidement débordés par l’afflux des malades et impuissants face au mal puisque, pendant longtemps, ils sont privés d’information quant à la nature exacte de la pollution.

Qui sont les vrais responsables ?

Les responsables en amont sont évidemment en premier lieu les patrons de la société multinationale Trafigura, qui a affrété le Probo Koala. Ils prétendent que les déchets sont des résidus issus du nettoyage de cuves de bateau. Pourtant, lorsque, quelques jours auparavant, alors que le navire était amarré en port d’Amsterdam, des tests avaient révélé la présence de produits toxiques inhabituels, qu’il aurait fallu stocker puis traiter à Rotterdam – ce qui allait coûter la somme de 285 000 dollars – la société a préféré « ignorer » le problème et envoyer le navire poursuivre sa route pour finalement aboutir à Abidjan où il a vidangé ses résidus. Actuellement, la société continue de réfuter toute responsabilité, arguant qu’Abidjan est un des ports les mieux équipés d’Afrique de l’Ouest. Or les responsables de Trafigura ne sont pas naïfs, le seul but de cet acte criminel était de s’épargner un maximum d’argent par rapport à ce que le traitement des résidus dans un pays européen leur aurait coûté.

Mais les patrons de Trafigura ne sont pas les seuls à tremper dans cette eau sale. Les autorités ivoiriennes semblent elles aussi, mouillées jusqu’au cou dans cette affaire. D’ailleurs pas un seul Abidjanais ne doute que les ministres et responsables portuaires ont touché des pots-de-vin au passage, au mépris de la santé des habitants.

En effet, le 16 août, alors que, le Ministre des Transports reçoit un courrier l’informant de l’arrivée de la cargaison et de la nécessité de traiter les résidus comme des « eaux chimiques », il donne l’autorisation pour le transport des produits dans des camions citernes pour des « eaux usées ». Le lendemain, les autorités ivoiriennes font savoir à la population qu’un traitement chimique sera effectué sur la ville pour désinsectiser (tuer les moustiques) et qu’il ne faudra pas s’inquiéter des mauvaises odeurs !!! Quelle hypocrisie ! Puis, dans la nuit du 19 au 20 août, les chauffeurs des camions-citernes commencent leur travail de transfert et de déversement, escortés par des agents de forces de sécurité. La suite, on la connaît …

Mobilisation populaire et boucs émissaires

L’ampleur du drame (le nombre de gens gravement malades) a amené la population à se mobiliser. Elle a commencé à organiser des séances d’information d’abord et des manifestations pacifiques ensuite, au nom du « droit à la vie ». La principale revendication de ces manifs est que les responsables soient publiquement désignés. Mais que peut-on attendre des représentants politiques dans un pays déchiré par la guerre civile depuis quatre ans et où les milices armées du pouvoir ont mis la population au pas ? Finalement, face à cette crise, le gouvernement de transition a démissionné. Mais alors à qui la population peut-elle s’adresser ?

Il y a bien eu sept arrestations de responsables, deux dirigeants de Trafigura et des patrons d’entreprises travaillant sur le port d’Abidjan. Mais à part ces responsables-là, ce sont surtout les chauffeurs de camions qui ont transporté les produits toxiques qui sont stigmatisés et présentés comme les ennemis publics numéro un. A la télévision et à la radio, des avis de recherche, donnant les numéros d’immatriculation des camions passent d’ailleurs en boucle, invitant la population à venir témoigner à la police. Bien sûr, ces travailleurs ont fait un sale travail et se sentent coupables, mais comme le témoigne l’un d’eux : « On n’a pas pensé un instant que le produit n’était pas bon : tout s’est passé en plein jour, sous le contrôle des corps de police. Cela n’avait rien de clandestin. Si on avait su ce qu’on transportait, jamais on ne l’aurait fait. »

L’affaire du Probo Koala n’est malheureusement pas un cas isolé. Chaque année, 4 ou 5 cas comparables de déversements (ou de tentatives de déversements) sont signalés. Selon les données collectées par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, la quantité de déchets dangereux exportés est passée de 2 millions de tonnes en 1993 à 8,5 millions de tonnes en 2001. Le trafic illicite de déchets rapporte des milliards de dollars. Et ce n’est pas non plus pas un hasard si les déversements ont lieu surtout dans des pays d’Afrique et de l’ex-Union Soviétique – là où les règles de sécurité sont minimales et la corruption maximale – au mépris de la santé de la population. La mondialisation du commerce a produit la mondialisation du trafic des déchets et celle-ci non plus ne fait pas de cadeaux aux plus faibles.

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