Afrique du Sud, la lutte est intense en prélude aux élections

Par Liv Shange, Democratic Socialist Movement (CIO-Afrique du Sud)

Le président Jacob Zuma a annoncé que les élections parlementaires sud-africaines se tiendront le 7 mai prochain. Au moment-même où était faite cette annonce, le pays était secoué par des actions et des grèves. C’est dans ce contexte qu’une opportunité historique se présente au WASP, parti dans lequel est activement impliqué le DSM.

Ce jour-là, un délégué syndical de l’AMCU (1) de la mine d’Amplats a été abattu par la police alors qu’il était en compagnie d’ouvriers en route pour un rassemblement de masse dans le cadre d’une grève pour une augmentation du salaire mensuel minimum à 12.500 rands (environ 850 euros). Une grande partie des mines étaient à l’arrêt. À ce délégué assassiné, s’ajoute à une liste – qui ne cesse de s’allonger – de militants de victimes de l’extrême violence de la police.

Ces trois derniers mois, 32 actions de protestation ont en moyenne eu lieu chaque jour, aux dires du ministère des Affaires policières. A titre de comparaison, il n’était question que de 3 actions en moyenne par jour durant la période 2009-2011. L’Afrique du Sud était alors déjà l’épicentre de la protestation mondiale, avec le plus grand nombre d’actions au monde. Outre la grève des mines et d’autres actions ouvrières, la contestation gronde dans les quartiers pauvres et les bidonvilles contre les prix d’électricité inabordables, contre l’incapacité du gouvernement à fournir de l’eau potable, des sanitaires ou des logements ou encore contre la corruption galopante.

Ainsi, les habitants de la ville minière de Brits, dans la province du Nord-Ouest, sont descendus en rue pour protester contre le manque incessant d’eau courante. La police a réagi en abattant quatre manifestants ! Les habitants soupçonnaient le gouvernement ANC de magouiller pour pouvoir finalement confier les contrats à des entreprises privées pour qu’ensuite elles récompensent les politiciens qui les avaient soutenues…

Ces dernières semaines, il y a également eu plusieurs grèves d’étudiants qui protestaient contre l’exclusion massive de jeunes de la classe ouvrière de l’enseignement supérieur. Ces mises à l’écart sont la conséquence du manque de subventions publiques.

Politisation et polarisation

Les prochaines élections renforcent la politisation et la polarisation croissantes de la société. Le bain de sang de Marikana en 2012 a clarifié le caractère du gouvernement ANC et de l’État. Cela a eu un impact sur la conscience de millions de travailleurs.

Dans presque toutes les communautés où l’on proteste vit l’idée d’un boycott des élections en vue de sanctionner l’ANC. Mais parallèlement, des millions de personnes sont à la recherche d’une alternative politique. Début février, l’enregistrement des électeurs a été clôturé et, au final, 25,3 millions de personnes se sont enregistrées, soit 80,5% du corps électoral. D’après la commission électorale indépendante, c’est le plus haut niveau jamais atteint.

La collaboration de classe sur laquelle le pouvoir de l’ANC et la démocratie bourgeoise se sont basés ces 20 dernières années commence à s’effriter. C’est particulièrement visible au sein de la fédération syndicale Cosatu (Congress of South African Trade Unions) liée à l’ANC. Ainsi, la centrale la plus importante de cette fédération, le syndicat du métal NUMSA, a rompu avec l’ANC et dfend l’idée d’un parti des travailleurs (voir notre édition précédente). Huit autres centrales du Cosatu s’opposent également au président de la fédération, Dlamini, toujours plus isolé. Même dans les centrales fidèles à l’ANC, des fissures deviennent plus en plus visibles.

Dans ce qui reste de la direction du Cosatu, autour de Dlamini, on peut également voir des dissensions. La réunion extraordinaire du Bureau Exécutif Central de mi-février a été boycottée par neuf des dix-neuf membres. Malgré tout, il y a été décidé de ne pas tenir de congrès extraordinaire tel qu’exigé par les neuf absents pour revoir la suspension du populaire secrétaire général de Cosatu Vavi. Un courrier a également été adressé à la NUMSA pour menacer le syndicat de suspension ou d’exclusion suite, entre autres, à la décision de ne plus soutenir l’ANC.

La polarisation se reflète dans le remodelage du paysage politique. Suite la vague de grèves de 2012, le Democratic Socialist Movement (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Afrique du Sud et parti-frère du PSL) et le comité de grève des mines ont pris l’initiative de créer le Workers and Socialist Party (WASP). Nos membres travaillent dur pour construire le WASP et participer aux élections de mai en tant qu’unique réelle alternative socialiste.

Julius Malema, l’ancien président des jeunes de l’ANC aujourd’hui exclu du parti, connaît une croissance rapide avec son Economic Freedom Fighters (EFF) parce que cette organisation est considérée par beaucoup de travailleurs et de jeunes désespérés comme une alternative facile. L’EFF a refusé toute alliance électorale avec le WASP mais, en revanche, a récemment conclu un accord avec l’Inkatha Freedom Party, un parti particulièrement réactionnaire responsable de la mort de dizaines de milliers d’activistes anti-apartheid. Il s’agit d’un avertissement quant à l’orientation prise par Malema & Co.

Échec d’unification de l’opposition de droite

Le propriétaire de mine et millionnaire Mamphela Ramphele a lancé l’an dernier un nouveau parti, Agang-SA, en le présentant comme le parti des “noirs responsables” du monde des affaires. Malgré tout le battage médiatique dont l’initiative a bénéficié, elle n’a pas su décoller. Ce parti a annoncé une collaboration avec “l’opposition officielle”, la Democratic Alliance. Cette dernière est en pleine tourmente et Ramphele a été présenté candidat à la présidence de la DA. Mais tout s’est effondré cinq jours plus tard. La construction d’une opposition de droite unie face à l’ANC fut un échec.

Les élections de mai représentent une opportunité majeure. Un parlementaire issu du mouvement des travailleurs pourrait considérablement renforcer les luttes en faisant entendre leur voix au sein du parlement bourgeois, derrière les lignes ennemies. Environ 63.000 voix sont nécessaires pour parvenir au parlement national. Nous ferons tout pour y parvenir. Il s’agit d’un effort important pour les socialistes d’Afrique du Sud, mais aussi pour les militants du reste du monde. Un succès pour le WASP serait un pas en avant majeur vers la révolution socialiste, tant en Afrique du Sud que dans le reste du continent et du monde.

Comment un élu socialiste peut-il faire la différence ?

Les élus du Comité pour une Internationale Ouvrière comme Joe Higgins (au parlement irlandais), Paul Murphy (au parlement européen) ou Kshama Sawant (au conseil de Seattle), utilisent leur mandat pour construire et renforcer les mouvements de lutte.

Kshama Sawant a ainsi utilisé sa position afin de soutenir la mobilisation concrète pour un salaire minimum de 15 dollars de l’heure aux USA. Depuis qu’elle est entrée au conseil début janvier, diverses mobilisations et actions ont eu lieu en regroupant des milliers et des milliers de personnes. Sa position de principe a été remarquée dans tout le pays, ce qu’a d’ailleurs écrit Michael Moore sur son site.

Paul Murphy s’est lui aussi fait le défenseur des mouvements et campagnes de luttes, ce qui lui a valu de se voir refuser l’accès au Kazakhstan et au Sri Lanka. Il soutient aussi des actions de protestation dans notre pays, du combat des ouvriers d’ArcelorMittal à l’opposition face à la politique d’asile asociale.

Joe Higgins s’est engagé dans la contestation contre la nouvelle taxe sur l’eau en Irlande et, avant cela, contre l’augmentation des prix du ramassage des ordures ou l’instauration d’une taxe supplémentaire sur les maisons. Les choses n’en restent pas aux communiqués de presse, Joe utilise sa position pour favoriser la plus grande implication de la base au travers de la construction de comités de lutte.

Nos élus vivent du salaire moyen d’un travailleur qualifié, le reste revient au mouvement. Le fait d’être élu n’entraîne donc aucun privilège. Un parlementaire socialiste conséquent en Afrique du Sud aurait un impact dans le pays, sur tout le continent africain et même le reste du monde. En tant qu’internationalistes, nous nous engageons dans le défi de conquérir une telle position.

Solidarité internationale

La campagne électorale du WASP coûtera environ 150.000 euros. Une grande partie de ces moyens sont récoltés en Afrique du Sud, mais un appel à la solidarité internationale a été lancé. Cette campagne offre une chance unique d’obtenir un élu socialiste conséquent en Afrique du Sud. Le PSL a promis une contribution de 6.000 euros pour que ce soit possible. Nous récoltons cet argent parmi nos membres et sympathisants. N’hésitez pas à apporter votre contribution ! => Appel à la solidarité internationale


(1) Association of Mineworkers and Construction Union, syndicat qui a remplacé le NUM (lié au gouvernement de l’ANC) comme syndicat central des mines de platine après le massacre de Marikana en 2012 (la police avait ouvert le feu sur des mineurs en grève, causant des dizaines de morts).

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