On connaissait depuis longtemps le cynisme dont sont capables les publicitaires. La pub n’est pas connue pour s’adresser à notre intelligence. Ce sont plutôt nos pulsions, nos instincts, notre inconscient qui sont la cible des campagnes de pub. Depuis quelques années, on assiste à une recrudescence des pubs à caractère plus ou moins réactionnaire. Le sexisme, notamment, et c’est connu, est omniprésent dans la publicité: il semblerait que l’on ne puisse vanter un produit que si une fille (nue de préférence) y est associée. La femme-objet est la vache à lait des créateurs des agences de pub.
Dans ce domaine, les services publics avaient jusqu’ici fait preuve d’un peu de retenue, voire même d’un peu d’engagement. On se rappellera par exemple de la campagne de pub des administrations régionales wallonnes en faveur de la diversité dans leurs services. Mais le contre-exemple existe, superbe démonstration que les discriminations ne sont pas l’apanage des entreprises privées.
Il s’agit d’une publicité vous invitant à souscrire des bons d’Etat. L’administration des finances y reprend un vieux refrain: les bons d’Etat sont un placement sûr, sans mauvaise surprise. C’est garanti: c’est le meilleur placement.
Pour illustrer ce thème, on vous présente la femme idéale: elle est jolie et souriante. Jusqu’ici, ce n’est ni pire ni meilleur que n’importe quelle campagne de pub. Mais regardez son t-shirt: Cette fille se vend elle-même et elle présente des garanties.
« Elle est cadre ». Cela signifie qu’elle a une bonne situation et que c’est une femme énergique. Ce n’est pas la bobonne vieux-jeu qui reste au foyer. (Ceci dit, après sa journée de boulot elle ira sans doute s’occuper des enfants et de la cuisine).
« Elle ne met pas tout son argent dans ses chaussures ». Parce que, en général, les femmes sont de fichues dépensières ! Elles sont tout le temps en train de dépenser des sous dans des choses futiles comme les vêtements ou les chaussures. Le publicitaire reprend ici une des idées les plus poussiéreuses de l’arsenal réactionnaire sexiste: les femmes sont frivoles. Elles ne savent pas gérer leur argent. Et souvent, il vaut mieux ne pas leur donner de responsabilité. Mais la demoiselle sur la photo, elle, est une perle rare.
Attendez, le meilleur arrive:
« Elle se tait quand son mec regarde le foot ». D’abord parce qu’il ne vient pas à l’esprit du publicitaire qu’elle puisse aimer ça et s’enthousiasmer pour un match. Et surtout parce qu’elle sait qui est le chef. Et quand son mec dit qu’elle doit le laisser tranquille quand il regarde la télé, elle s’exécute. La boucle est bouclée. On est de retour à la bonne vieille époque où le chef de famille était toujours au masculin. L’époque de la femme qui doit obéissance. Voir ça après un siècle de lutte en faveur des droits des femmes, c’est affligeant, et cela démontre une fois de plus qu’il y a encore fort à faire.
Qui est responsable de cette obscénité?
C’est le service fédéral des finances, l’administration du trésor, c’est à dire notre bon ministre Didier Reynders (MR). On va m’accuser de faire ici un procès d’intention mais quand on sait que ce monsieur est un catholique bon teint, on peut le soupçonner de ne voir aucun inconvénient à cette campagne de pub. Admettons qu’il ait laissé passer ça sans se rendre compte du caractère insultant de ce dépliant pour toutes les femmes du monde. Je tiens le pari qu’il ne s’en excusera même pas si on vient attirer son attention là-dessus. Un vrai ministre ne s’excuse qu’auprès des patrons.