Par Thomas (Charleroi), article tiré de l’édition de mars de Lutte Socialiste
À l’occasion des 50 ans de l’immigration marocaine et turque en Belgique – née de la campagne de recrutement de 1964 des autorités belges – les grands médias nous ont abreuvés de reportages historiques, d’études statistiques et de portraits d’artistes, d’intellectuels ou de politiques issus des communautés marocaines et turques. Les partis traditionnels se réclamant encore de la gauche, et particulièrement le PS, se sont jetés sur l’occasion à l’aune de la campagne électorale.
Si, la campagne de recrutement de 1964 promettait aux travailleurs une vie meilleure en Belgique, une analyse dont la logique part des intérêts de ces derniers ne peut manquer de remarquer à quel point de nombreux problèmes subsistent. Quel programme politique peut répondre aux besoins des travailleurs d’origine belge, marocaine, turque ou autre ?
Replacer les vagues d’immigrations dans leur contexte économique
La Belgique a vu ses infrastructures détruites par la Seconde Guerre mondiale, même si ce fut dans une proportion bien moindre que dans les pays voisins. Le seul acteur capable d’organiser la reconstruction du pays était l’État, avec un secteur public jouant un rôle moteur dans l’économie. Cette situation a également été assurée par la forte activité du mouvement ouvrier au sortir de la guerre, doté d’une conscience socialiste réelle, bien que floue. Le rapport de force entre travail et capital était plus favorable aux travailleurs et à cela s’ajoutait le prestige de l’Armée soviétique. La bourgeoisie a donc été poussée à faire de nombreuses concessions. Après quelques temps, la hausse du pouvoir d’achat et le renforcement des mécanismes de solidarité furent remarquables au sein d’une économie basée sur la demande et l’intervention de l’État, le keynésianisme.
La reconstruction du pays demanda énormément de mains d’œuvre, et l’on dut également faire appel à une main d’œuvre étrangère, tout d’abord en Italie. 300.000 travailleurs furent littéralement importés chez nous (c’est-à-dire sujets d’un commerce entre les autorités belges et italiennes) entre 1946 et 1952. La Belgique a pareillement signé des accords économiques avec différents pays : la Grèce, l’Espagne et, enfin, la Turquie et le Maroc en 1964. Ces vagues d’immigrés ont trouvé embauche dans l’industrie et la construction. C’était la période dite des ‘‘trente glorieuses’’, une parenthèse historique de croissance du capitalisme qui n’a d’ailleurs pas duré trente ans…
Aujourd’hui, la situation économique et sociale a bien changé. Le choc néolibéral de la seconde moitié des années ‘70 a complètement transformé le paysage socio-économique du monde entier. Pour rehausser les taux de profits, la bourgeoisie a lancé une campagne d’attaques systématiques contre toutes les conquêtes sociales des travailleurs. Celle-ci est également accompagnée d’une offensive idéologique réactionnaire, usant du racisme et du nationalisme pour imposer la logique de pensée néolibérale. Les accords économiques destinés à importer de la main d’œuvre ont pris fin après la crise économique de 1974.
L’immigration a également, et de différentes manières, été un outil pour le patronat. Durant la période keynésienne, il était question de combattre la hausse des salaires en faisant rentrer sur le marché du travail une masse de travailleurs prêts à bosser pour moins cher et ainsi tirer l’ensemble des salaires vers le bas (dumping salarial). Puis, avec la période néolibérale qui suivit, et qui est toujours de mise, le patronat utilise la diversité de la classe des travailleurs afin de la diviser et de faciliter son offensive visant au recul social.
Pour autant, les immigrés ne sont en rien responsables de l’état de déliquescence de l’économie et du tissu social. Ils ne sont pas non plus responsables du chômage de masse structurel du système capitaliste. Jamais une étude n’a été en mesure de faire le lien entre une hausse du chômage et l’immigration ! Une partie de la bourgeoisie elle-même avertit de la nécessité de l’immigration dans les pays riches. En Allemagne, la Banque Nationale estime que le pays a besoin de 200.000 immigrés en plus chaque année afin de soutenir la croissance économique, car les immigrés, souvent jeunes, répondent au problème du vieillissement de la population.
La pénurie sociale du système capitaliste
Le capitalisme crée une pénurie sociale permanente dans tous les secteurs de la vie quotidienne : emplois, logements, écoles, crèches, etc. La concurrence et la pression qui s’exerce sur la classe des travailleurs sont de plus en plus fortes. Les frustrations, le désespoir et la colère légitime qui découlent de cette situation poussent à l’exclusion des publics minoritaires. Ce phénomène d’exclusion est encouragé par l’idéologie dominante, comme cela fut illustré par la sortie de Jan De Nul, élu ‘‘Manager de l’année’’ en 2013, qui reproche aux Belges de ne plus vouloir travailler, et à fortiori les immigrés nord-africains. (1) Soulignons aussi que les immigrés ne sont pas les seuls à éprouver des problèmes pour trouver un job, un logement abordable, etc.
La Belgique est une société hautement multiculturelle ; plus de 25% de la population belge a au moins un parent né étranger. On constate néanmoins que les immigrés récents sont encore loin de décrocher le même taux d’emplois ou d’éducation que les habitants d’origine belge. Contrairement à ce que les politiques vont nous chanter dans les semaines à venir, les conditions d’accueil et d’intégration sont exécrables. Comment s’intégrer facilement dans la société alors même que tous les budgets sociaux, sous-financés de longue date, font face à la vague d’austérité budgétaire ?
La politique actuelle du gouvernement et de sa ministre à l’immigration Maggie de Block a remis le drame des réfugiés à l’avant des médias. Les sans-papiers sont le public le plus fragile dans la société. Personne ne fuit sa terre par plaisir, pour se retrouver chez nous, cibles d’une chasse à l’homme quotidienne !
La responsabilité du mouvement ouvrier.
Si le capitalisme porte la responsabilité des divisions au sein de la classe des travailleurs, cette dernière porte en elle la capacité de les combattre et de construire une alternative crédible aux yeux des masses. Et on n’affronte pas des problèmes matériels avec de la morale, on les combat avec une alternative économique !
Si nous pouvons être d’accord avec le forum économique mondial sur un point, c’est sur l’idée que ‘‘l’inégalité sociale devient la menace la plus dangereuse pour la stabilité’’ (2), comme cela est déjà illustré par la perte de crédibilité importante de toutes les institutions bourgeoises, des gouvernements, des partis politiques, des médias de masse, du système judiciaire, de la police, etc. La colère de la jeunesse, d’origine belge ou immigrée, peut alors se traduire par de fausses alternatives : le repli communautaire et religieux, l’extrême droite, le populisme de droite, etc.
Les théories du complot, négationnistes et raciales sont diverses et légions aujourd’hui. Elles démontrent la faiblesse du niveau politique actuel chez de larges couches de jeunes et de travailleurs. Pour rayer ces alternatives prétendument antisystèmes, nous devons reconstruire le mouvement des travailleurs et ses outils politiques et syndicaux, afin qu’il soit capable d’idéologiquement encadrer les travailleurs et les jeunes de diverses origines vers un objectif commun.
Hélas, les syndicats ont progressivement abandonné la jeunesse précarisée, les travailleurs sans emplois et les secteurs économiques sans traditions historiques de lutte. Malgré l’existence d’organisations de jeunes et de précaires en leurs seins, les organisations syndicales de masses concentrent l’essentiel de leurs efforts vers les secteurs déjà organisés. Pourtant, les infrastructures et les moyens sont largement présents pour aller au contact de ces couches abandonnées du mouvement des travailleurs et pour construire une classe ouvrière unifiée et combative.
Stop à la division de notre classe.
Il y a différentes façons de lutter pour l’unification de notre classe et de se battre contre le racisme, le nationalisme et les organisations d’extrême droite.
En tant que socialistes révolutionnaires, nous avons pour tâche d’élever le niveau de conscience de classe au maximum – la conscience d’avoir des intérêts communs, totalement opposés à la logique du système actuel – et de faire le lien entre la pénurie permanente du système capitaliste et la montée des idées d’extrême droite. Ceci implique de construire une alternative socialiste face le système actuel.
Il est hors de question de draguer la sympathie des immigrés avec un discours basé sur la religion ou l’ethnie. Au contraire, nous devons politiser leur expérience sur une base de classe, qui les lie au reste du monde du travail.
Le PSL-LSP possède une expérience certaine sur cette question, notamment à travers sa campagne antifasciste flamande Blokbuster, initiée depuis déjà 1991. Nous sommes fiers de cet héritage et nous continuerons à mener la lutte contre l’oppression capitaliste et les discriminations qui en découlent, avec tous ceux qui sont prêts à nous rejoindre dans ce combat.
Le prochain grand événement antiraciste sera la manifestation du 20 mars prochain à Anvers, contre le NSV, l’organisation officieuse des jeunes du Vlaams Belang. Joignez-vous à nous !
Notes
(1) http://trends.knack.be/economie/nieuws/beleid/er-is-gewoon-geen-goesting-om-te-werken-omdat-het-zonder-ook-kan/article-4000333234410.htm
(2) http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/01/16/selon-le-world-economic-forum-les-inegalites-menacent-la-stabilite-mondiale_4349310_3234.html