« Les pays occidentaux sont à 100% responsables de l’immigration »

Témoignage de Tchatchoua Tchato Jules

Si l’on parle beaucoup actuellement de la lutte pour la régularisation des sans-papiers, peu de gens savent vraiment ce que peut être la vie des candidats réfugiés ou des sans-papiers, de ceux qui sont en attentes d’un statut légal ou ont été rejetés dans la clandestinité. Jules nous raconte comment il a vécu pendant les mois où il attendait une réponse de sa demande d’Asile.

Propos recueillis par Nicolas Croes

Peux-tu te présenter ?

Je viens du Cameroun et je suis en Belgique depuis le mois de septembre 2005. Je préfère ne pas parler de ce qui m’a poussé à quitter mon pays, j’y ai subi une situation très pénible, c’est un poids lourd à porter et j’essaye au maximum d’oublier cette période.

Comment s’est déroulé ton accueil en arrivant ici?

J’ai été conduit dans le centre ouvert de la Croix Rouge de Nonceveux après avoir fait ma demande. Le temps passé à ce centre est une période qui m’a beaucoup vieilli. J’ai rencontré là-bas beaucoup de personnes, et la seule chose que je partageais avec eux, c’était la souffrance, la galère. Penser que je suis parti en laissant là-bas des personnes que j’ai connu, que j’ai aimé, avec qui j’ai passé une partie très lourde de ma vie, me rempli de peine.

Peux-tu nous décrire comment était la vie à ce centre ?

La vie du centre est au-dessus des mots. On n’y vit pas, on y survit, même si c’était tout de même moins pire que ce que j’avais vécu avant de venir en belgique.

J’ai partagé le quotidien avec des bébés, des enfants dont l’âge varie entre 1 an et 15 ans et qui sont là avec leurs parents. Je medemandais pourquoi ces enfants étaient là. C’est la chose qui m’a le plus frustré quand je suis sorti, cette question me revient toujours : qu’est ce que les enfants ont fait pour être là ?

Il y a là-bas des gens de partout. D’abord, les communautés se regroupent ensemble, mais la même misère nous unis et une solidarité se développe rapidement. Il y a seulement de bêtes incompréhenssions de langage qui génèrent de grands conflits. Il faut comprendre que l’on est seul avec nos problèmes et, avec cette frustration, la moindre étincelle peut avoir de grandes conséquences. Parfois pour de petites choses, les gens s’en veulent. Mais si on a perdu l’espoir avec un avenir tellement sombre et incertain, c’est la seule chose que certains ont encore en plus de leur passé. Quand je pense qu’ils sont dans cette situation pour longtemps encore…

Tout ceux qui vivent dans ces centres ont un passé très lourd, et la seule chose qu’ils cherchent c’est la paix et la liberté. Ils fuient la guerre, la torture, la famine,… J’ai du mal à comprendre pourquoi il est si difficile d’avoir cette paix et cette liberté. L’Afrique est le continent le plus pauvre et il doit rembourser des millions de dollars par jour. 30.000 enfants meurent chaque jour de maladies guérissables et je n’arrive pas à comrendre pourquoi on ne nous accepte pas ici, pourquoi on se méfie de nous. La seule solution qui est apportée à l’immigration est de renvoyer les gens d’où ils viennent avec tout les risques que cela comporte, ou alors de vivre exploité ici illégalement, pour revivre ainsi une part de ce qu’on a fuis.

C’était un centre dit « ouvert », il vous était donc possible de sortir ?

C’était un centre ouvert, on était libre d’en sortir, mais il était fort éloigné de la ville. Il faut payer les tickets de bus pour y arriver et nous n’avions que 4 euros par semaine, même pas assez pour un voyage. Dans les faits, « ouvert » ou « fermé », c’est la même chose.

Toute ta vie à ce moment, c’était donc le centre et son ambiance de désespoir?

Oui. Le quotidien, c’est un repas le matin, un repas le midi, et un le soir. Et puis l’attente. Le personnel organisait bien des activités pour nous détendre comme du tennis, du vélo, du football,… mais le nombre de personnes était limité et on était laissés fort seuls avec le vide dans nos coeurs et un peu d’espoir pour certains. Je tiens cependant à remercier vivement le personnel de ce centre. Leur sympathie et leur amitié nous aidait, mais cela ne réduit malheureusement pas la souffrance.

Ce qui nous aide tous le plus là-bas, c’est l’espoir. Mais beaucoup étaient déjà perdus, ils avaient oublié cet espoir. C’est malgré tout dans cette ambiance que j’ai trouvé l’inspiration pour écrire une histoire : « La salle à palabres ».

L’histoire que tu nous as présentée à Socialisme 2006, donc. Tu peux nous en parler un peu ?

Cela raconte les causes de l’immigration, ça parle de la guerre, de la misère, de la famine et de la responsabilité des puissances occidentales face à ça. Une bonne partie parle de la vie dans mon village et mon pays avant la colonisation. Je parle ensuite surtout de la manière dont l’occident gère une immigration dont elle est à 80, ou plutôt à 100% responsable. C’est basé sur mon expérience, mais j’ai voulu y mettre beaucoup d’humour.

Tu as finalement eu tes papiers…

Oui, j’ai reçu le statut et je suis parti du centre. J’ai eu plus de chance que les autres, mais je ne l’ai pas mérité plus qu’eux. La seule chose qui me réconforte maintenant et après tout ce que j’ai vécu, c’est de pouvoir tout recommencer à zéro. Comme je l’ai déjà dit, au centre, on ne vit pas, on survit.

Je dois tout recommencer, mais je ne connais pas le rythme de la société, la culture, les habitudes, et je suis seul. A 25 ans, après tout ce que j’ai vécu, c’est dur. Ce n’est vraiment pas facile avec l’administration qui est totalement différente de celle de mon pays. Cette difficulté administrative est la raison de l’échec de beaucoup d’immigrés. Depuis que je suis sorti du centre, tous les jours je suis à l’administration: au commissariat, au forem, voir mon avocat pour vérifier mon état sur le territoire, je dois renouveler plein de papiers,… L’Afrique est le continent le plus illettré, faute de moyens suffisants, et tout ça est un poids énorme à porter pour des gens qui n’ont pas la chance d’avoir un niveau d’éducation très élevé.

On arrive d’un pays ou l’Etat nous laisse comme ça et le changement est dur à assumer. Un rendez-vous raté avec l’administration a des conséquences énormes et le langage est différent. Je suis pourtant francophone…

Au centre comme maintenant, je dois aller chaque matin à la boîte aux lettres avec une grande angoisse, je vais voir ce qu’on a décidé de ma vie.

Tu es maintenant membre du Mouvement pour une Alternative Socialiste, peux-tu nous expliquer ce qui t’a poussé à nous rejoindre ?

C’est parce que les causes qui m’ont amené ici, qui m’ont fait quitter les seuls être que j’aimais, qui m’ont fait partir – ce qui est la pire chose qui soit – et ce que j’ai vécu ici, tout cela est combattu par le MAS. Je ne pense jamais quitter le MAS ou arrêter la lutte, je peux maintenant faire quelque chose pour ceux qui sont restés au centre. Si la cause défendue par le MAS, le socialisme, était défendue dans mon pays, je ne pense pas que je serais ici.

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