500.000 sans-papiers vont être régularisés dans les prochains mois…en Italie. Par contre, chez nous, malgré la mobilisation massive des sans-papiers et l’amplification du mouvement de solidarité, le gouvernement ne bouge pas d’un poil. Faudra-t-il des morts pour qu’une régularisation s’impose enfin ?
Lancé par l’Union de Défense des Sans-papiers (UDEP) en mars, le mouvement d’occupation de bâtiments par les sans-papiers continue à s’étendre, même si le rythme a faibli depuis la mi-mai. 35 lieux sont occupés, en grande majorité des églises, mais aussi une mosquée, plusieurs centres laïques et même un local universitaire à Liège. Née de quasiment rien il y a deux ans, l’UDEP a été capable d’impulser une mobilisation qui implique directement les centaines de sans-papiers qui mènent les occupations depuis des semaines mais qui va bien au-delà. Plus de 45.000 sans-papiers se sont en effet présentés dans les lieux occupés et ont signé les registres pour demander leur régularisation. Et 45.000, cela signifie entre un tiers et la moitié des sans-papiers vivant en Belgique !
Si le mouvement s’est déployé avec une telle force, c’est parce qu’en accordant cet hiver une promesse de régularisation au groupe de sans-papiers qui menaient une grève de la faim à l’église Saint-Boniface à Bruxelles, le Ministre de l’Intérieur, le libéral flamand Dewael, a tout à la fois montré combien la procédure de régularisation était arbitraire et donné un immense espoir aux autres sans-papiers. Pour éviter que le mouvement des sans-papiers éclate en une multitude de grèves de la faim locales et de négociations pour des régularisations partielles, l’UDEP a lancé le mouvement d’occupation des églises. Le but était de faire pression sur la discussion qui allait commencé au parlement afin d’obtenir la mise en place d’une « Commission permanente de régularisation sur base de critères clairs ».
Cette discussion a fini par s’ouvrir le 23 mai à la Commission de l’Intérieur de la Chambre où le gouvernement présente son projet de loi destiné à réformer les procédures de demande du droit d’asile. Cette réforme vise notamment à accélérer les procédures de jugement sur les demandes d’asile (tout régler, appels compris, en un an maximum au lieu d’avoir des procédures qui aujourd’hui durent souvent plus de trois ans) et, dans la foulée, à accélérer et intensifier les expulsions de ceux qui auront été déboutés. Le projet gouvernemental ne traite pas de la régularisation (puisque, pour lui, une procédure de décision plus courte supprimera la possibilité que des gens à qui est refusé le statut de réfugié « s’incrustent » en Belgique et nouent des liens sociaux qui rendent une expulsion plus difficile).
Trois partis francophones – Ecolo, PS et CDH – ont déposé des propositions de loi visant à la régularisation de sans-papiers qui sont inspirées par la proposition de l’UDEP. Mais en face, c’est toujours le mur. Ni le MR, ni aucun des partis flamands ne veulent entendre parler d’une vraie régularisation. De son côté, Dewael le dit et le redit : pas question d’une régularisation générale ni de critères clairs et permanents. Le seul mécanisme doit rester celui des régularisations individuelles sur base de critères extrêmement stricts (médicaux, humanitaires ou de trop longue procédure de demande d’asile) pour lesquels la décision resterait dans les mains de l’Office des Etrangers et du Ministre, en tout arbitraire.
Cette discussion en commission risque donc de ne rien donner. Elle va surtout durer des semaines et ce n’est qu’après cela qu’une discussion et qu’un vote d’une loi pourraient avoir lieu à la Chambre elle-même. Il est clair que le gouvernement et les opposants cherchent à reporter toute décision après les élections communales d’octobre. Et il est tout aussi clair que ceux qui s’opposent à une régularisation générale n’ont aucune solution à proposer, à part le maintien de la situation actuelle dans laquelle la misère et la clandestinité obligent des dizaines de milliers de sans-papiers à travailler pour des salaires de misère, à habiter des logements délabrés payés à un loyer excessif, à manquer de soin faute de sécurité sociale, à ne pouvoir se défendre légalement, à vivre en permanence dans l’ombre dans la crainte de contrôles d’identité policiers,… pour le plus grand bénéfice du patronat qui dispose ainsi d’une main d’œuvre à bon marché et sans moyen de défense.
Ce refus du gouvernement et de la majorité des partis fait monter le désespoir parmi les sans-papiers. Deux groupes – un à Liège et l’autre au Petit Château à Bruxelles – ont commencé début mai une grève de la faim et d’autres risquent de suivre. Ces actions sont compréhensibles et elles font monter la pression sur le gouvernement mais elles risquent malheureusement de déboucher sur un fractionnement du mouvement en une multitude de groupes (organisés souvent sur base du pays d’origine) luttant chacun pour leur régularisation au détriment de la revendication d’une régularisation généralisée.
C’est pourquoi il est essentiel que la mobilisation des sans-papiers et le mouvement de solidarité continuent à s’étendre. Et il faut en particulier que les syndicats s’impliquent beaucoup plus dans le mouvement en syndiquant les sans-papiers et en mobilisant les travailleurs aux côtés de ceux-ci.