La crise des banlieues de la fin de l’année passée semblait promettre à la droite française des lendemains qui chantent. Le Ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, caracolait en tête des sondages et des observateurs soi-disant avertis annonçaient un glissement à droite général de la société française.
Thierry Pierret
Lors de cette crise, nous écrivions que le soutien dont bénéficiait le gouvernement Villepin-Sarkozy dans les sondages était purement conjoncturel et ne faisait que traduire le désarroi des travailleurs et de leurs familles face à la rage (auto)destructrice d’une partie de la jeunesse des banlieues. Nous écrivions également que la popularité de Sarkozy baisserait à nouveau dès lors que la lutte des classes reprendrait le dessus.
Le gouvernement a cru habile de tenter de dévier la protestation violente des jeunes des banlieues contre leurs conditions de vie – dont le chômage de masse – au profit de son projet néolibéral. Il a fait voter un ensemble d’attaques baptisé cyniquement « loi sur l’égalité des chances » qui prévoit toute une batterie de mesures visant à casser encore plus le marché du travail : abaissement de l’âge du stage professionnel de 16 à 14 ans, abaissement de l’âge du travail de nuit à 15 ans, Contrat Nouvelle Embauche (CNE) qui instaure un stage de 2 ans pour tous les travailleurs des entreprises de moins de 20 salariés. Le Contrat Première Embauche (CPE), qui étendait ce stage aux jeunes de moins de 26 ans, devait couronner ce dispositif. Mais c’était compter sans la lame de fond anti-libérale qui avait balayé la Constitution européenne et qui avait eu raison du prédécesseur de Dominique de Villepin.
Après avoir quelque peu tergiversé face à l’ampleur du mouvement, la droite a fait bloc autour de Villepin. Elle sait que reculer devant la jeunesse en retirant le CPE risque d’ouvrir une brèche dans laquelle les travailleurs du public comme du privé pourraient s’engouffrer massivement. Un scénario analogue, certes dans un contexte différent, s’était jadis produit en Mai 68. A l’époque, la bureaucratie stalinienne du PCF et de la CGT avait abusé de l’autorité immense qu’elle avait dans la classe ouvrière pour sauver le régime chancelant de de Gaulle. Si un mouvement d’une telle ampleur devait se reproduire, ni le PCF ni le PS ni aucune organisation syndicale n’aurait cette fois l’autorité suffisante pour le canaliser. Mais il n’y a pas davantage d’organisation de masse de travailleurs capable de le conduire à des victoires décisives, sans même parler d’une issue révolutionnaire.
L’unité de la droite autour de Villepin n’est pourtant que de pure façade. Si le mouvement continue de prendre de l’ampleur au lieu de s’essoufler comme l’espère Villepin, ce sera le sauve-qui-peut qui verra tous les dirigeants de la droite chercher désespérément une porte de sortie. Les antagonismes internes n’en ressurgiront alors qu’avec plus de vigueur.
Quelle que soit son issue, le mouvement contre le CPE a déjà sérieusement entamé le crédit de la droite. Villepin et Sarkozy ont vu leur cote de popularité s’effondrer en quelques semaines. L’un et l’autre sont donnés perdants au deuxième tour des élections présidentielles de 2007 face à l’éventuelle candidature de la compagne du président du PS, Ségolène Royal, qui ne cache pourtant pas son admiration pour Tony Blair ! Bien qu’encore improbable à ce stade, une réédition à l’envers du scénario du 22 avril 2002 n’est pas à exclure, qui verrait le ou la candidat(e) du PS affronter celui du FN au second tour en raison d’un effondrement des candidats de la droite classique.
La question d’une alternative socialiste se pose ici de façon très concrète. Il y a un vide béant à gauche que seul un nouveau parti de masse des travailleurs pourrait combler. Les organisations traditionnelles de l’extrême gauche française, comme la LCR et LO, pourraient prendre des initiatives décisives pour la création d’un tel parti. Le feront-elles cette fois-ci ou laisseront-elles une fois de plus passer l’occasion?