Si, pour le moment, la porte d’entrée de la Maison Belgique reste fermée pour les travailleurs d’Europe Orientale, la porte de derrière, par contre, est grande ouverte. Mais il faut se baisser très fort pour entrer…
Dagmar Walgraeve
La discussion sur l’ouverture du marché de l’emploi en Belgique pour les travailleurs venant des « nouveaux Etats membres de l’UE » s’est terminée sur un compromis… typiquement belge. La Commission Européenne voulait savoir pour le 1er mai si la Belgique allait prolonger l’interdiction d’accès ou la supprimer. Puisque les services du gouvernement fédéral n’ont pas encore terminé l’élaboration du document détaillant la politique à suivre (enregistrement obligatoire, contrôles,…), l’Etat ne veut pas encore ouvrir les frontières. Mais le ministre de l’Emploi, Peter Vanvelthoven, affirme que cela devra pouvoir se faire « le plus tôt possible ». Il est déjà acquis que la procédure de demande d’un permis de travail sera réduite de 30 à 5 jours pour les 104 professions où il y a une pénurie de candidats sur le marché belge. C’est le dernier en date des cadeaux que le gouvernement fait au patronat afin de lui livrer des travailleurs à bon marché. Le gouvernement belge est d’ailleurs leader en Europe en ce qui concerne « les aides financières à la création d’emplois » (lisez: les cadeaux au patronat). Par contre, il est bon dernier pour les investissements en formations professionnelles!
Avec l’adoption récente par le Parlement européen de la directive Bolkestein « aménagée », des entreprises polonaises peuvent maintenant s’installer en Belgique, surtout dans le secteur de la construction où de nombreux travailleurs polonais sont déjà « détachés ».
La manière dont se prépare l’ouverture du marché de l’emploi pour les travailleurs des nouveaux Etats membres et la directive Bolkestein montrent comment la classe capitaliste européenne essaie de répondre à la concurrence croissante entre pays et entreprises. L’élargissement de l’Europe est un élémentclé de cette stratégie puisqu’elle va permettre aux grandes entreprises d’exploiter plus facilement les nombreux travailleurs hautement qualifiés et bon marché des pays d’Europe de l’Est. Ceci se fera, d’une part, en délocalisant des entreprises d’ici dans ces pays et, d’autre part, en amenant ici des travailleurs bon marché venant de là-bas.
Le patronat veut utiliser les salaires plus bas et les conditions de travail et de sécurité sociale moins bonnes dans ces pays afin de s’attaquer au niveau de vie de tous les travailleurs en Europe. Car, même si les conditions de travail et de salaire en vigueur chez nous sont respectées lors de la réalisation des contrats d’embauche des travailleurs venus de Pologne ou d’Estonie, il suffira aux entreprises de remplacer les contrats fixes à salaire convenable par du travail précaire au salaire minimal pour doper leurs profits. C’est ce qui s’est passé récemment en Irlande. La direction des Irish Ferries a voulu faire naviguer ses bateaux sous pavillon étranger, ce qui lui permettait de licencier 543 travailleurs irlandais syndiqués et de les remplacer par des travailleurs lithuaniens non-syndiqués, qu’elle comptait payer 3,76 € l’heure – soit moins d’un tiers du salaire officiel actuel – et faire travailler 84 heures par semaine ! Les bateaux ont été occupés par des travailleurs en grève et les syndicats ont été obligés d’organiser une manifestation en solidarité. 100.000 personnes sont descendues dans la rue pour protester contre les licenciements et l’exploitation des travailleurs immigrés. Malheureusement, les syndicats n’étaient pas prêts à engager une lutte décidée et à l’organiser de façon efficace. Ils ont accepté un compromis qui conserve le statut aux travailleurs actuels mais autorise l’embauche de travailleurs étrangers au salaire minimum légal (7,65 €). Une légère amélioration pour ces travailleurs, mais Irish Ferries economisera ainsi annuellement 11,5 millions d’€ en coûts salariaux!
Un autre avantage qu’offre aux patrons l’engagement de travailleurs étrangers avec des contrats à durée très limitée, c’est l’affaiblissement des syndicats dans les entreprises. Tout comme les travailleurs précaires, les travailleurs étrangers sont difficiles à organiser à cause du taux d’exploitation élevé et de la grande insécurité du travail. De plus, beaucoup ne connaissent ni leurs droits, ni la langue du pays. L’initiative de la CSC de distribuer des tracts en polonais pour informer les ouvriers polonais du bâtiment sur leurs droits est un pas en avant important, mais c’est loin d’être suffisant.
Si nous voulons faire face à ces menaces, il faut aller à leurs racines. Partout dans le monde, les patrons cherchent à s’attaquer aux salaires et aux conditions de travail afin de maximaliser les profits. Ils sont continuellement à la recherche de nouveaux travailleurs à bon marché. Dans le passé, ils ont utilisé les femmes pour miner les salaires des hommes, et aujourd’hui les femmes gagnent toujours en moyenne 25% en moins que les hommes. Des travailleurs “coûteux” sont remplacés par des jeunes meilleur marché au moyen du travail précaire et des plans d’embauche style Rosetta et Activa. Diviser pour régner, c’est la politique préférée de la bourgeoisie pour sauvegarder son système. C’est pourquoi nous devons résister à toute tentative de division des travailleurs. S’il n’y avait pas de travailleurs immigrés, les patrons inventeraient bien d’autres moyens de s’attaquer à nos salaires. Il faut défendre les travailleurs étrangers tout autant que les travailleurs dits illégaux. L’UDEP (Union de Défense des sans-papiers) affirme avec raison : « Avec ou sans papiers, nous sommes tous des travailleurs ». Et comme le dit Claude Matuba, un des porte-parole de l’UDEP: “Le travail en noir mène à des salaires plus bas pour tout le monde, la régularisation mène à des salaires plus élevés pour tous.”
Ce n’est qu’en défendant de façon déterminée le niveau de vie de la classe des travailleurs et en se battant systématiquement pour que chaque nouveau travailleur – qu’il soit belge, polonais ou congolais – soit engagé aux ‘anciennes’ conditions que la spirale vers le bas pourra être arrêtée. Nous devons lutter pour que les syndicats organisent aussi les couches les plus opprimées de la classe des travailleurs (les femmes, les jeunes, les immigrés, …). Ce n’est qu’en ayant des syndicats démocratiques et combatifs qui organisent toutes les couches des travailleurs que nous pourrons nous défendre contre les attaques de la bourgeoisie.