Dans la dèche à Londres et à Paris, George Orwell

‘‘Dans la dèche à Londres et à Paris’’ a été publié il y 80 ans (en 1933). Ce livre donne un aperçu percutant de la vie des miséreux dans une société en crise.

Par Geert Cool

Que cela soit le passage où Orwell est travailleur temporaire à Paris où celui de son errance vagabonde à Londres, les divers éléments abordés sonnent particulièrement juste au regard de l’actualité.

80 années après la parution de cette critique d’un monde profondément antisocial, un seul constat s’impose : les choses n’ont pas fondamentalement changé. Au nom du progrès et de la l’adaptation aux conditions de vie moderne, nos conquêtes sociales ont été revues à la baisse, jusqu’au point de nous faire inévitablement penser à des pratiques choquantes en vigueur il y a près d’un siècle.

George Orwell est né en Inde, enfant d’un fonctionnaire de l’administration coloniale des Indes. Il devint ensuite sergent dans la police impériale britannique en Birmanie. Son expérience personnelle de l’horreur coloniale et plus tard des terribles conséquences de la crise économique mondiale sur les sections les plus pauvres de la population l’ont poussé à adopter une conscience socialiste.

‘‘Dans la dèche à Londres et à Paris’’ est à considérer dans ce cadre. A Paris, nous rencontrons un professeur d’anglais sans travail ni argent, qui finit en désespoir de cause par s’épuiser dans l’univers de la restauration : ‘‘il y a une clientèle pour les restaurants, il faut donc des hommes qui passent quatre vingts heures par semaine à laver des assiettes. C’est la civilisation qui l’exige, un point c’est tout.’’ Les luttes intestines entre les divers membres d’un personnel bien trop mal payés pour de longues heures de travail sont décrites, de même que leur vie misérable, plongée dans l’incertitude permanente. De nombreuses punaises grouillent dans les pages du livre.

L’illusion d’un meilleur avenir en Angleterre est rapidement brisée. Dès son arrivée, Orwell apprend que le travail qu’on lui avait promis est reporté d’un mois. Ce sera un mois d’errance et de mendicité. Mendiants et sans-abri n’hésitent pas à se battre entre eux ou à accuser les étrangers de venir leur voler le travail. Quant aux autorités, elles ne voient pas les vagabonds d’un très bon oeil. ‘‘Je m’étais trouvé à Londres un nombre incalculable de fois, et jamais je n’avais pris conscience d’un des vices rédhibitoires de la ville – à savoir qu’il est tout bonnement impossible de s’asseoir sans payer. À Paris, si vous n’avez pas d’argent et que vous n’arrivez pas à trouver un banc public libre, vous pouvez toujours vous asseoir par terre, sur le trottoir. Mais Dieu seul sait à quoi vous exposerait semblable comportement à Londres – à la prison, vraisemblablement.’’ Aujourd’hui, ce sont les Sanctions Administratives Communales, les interdictions de mendier ou encore les bancs ‘‘anti-clochards’’ avec des accoudoirs qui empêchent de s’allonger pour dormir…

‘‘Dans la dèche à Londres et à Paris’’ aurait tout aussi bien pu prendre pour base Bruxelles, Anvers, Charleroi, Gand ou Liège aujourd’hui. Les emplois excessivement mal payés, le cauchemar d’être un sans-abri en proie à la faim,… le sujet de ce livre n’a pas pris une ride malgré ses 80 ans. Toute la force d’Orwell réside dans sa narration, les yeux bien fixés sur le problème, la plume trempée dans le respect, avec une pointe d’humour. Cette approche n’est pas un hasard, Orwell part d’un point de vue de classe. Chaque personne qui éprouve des difficultés à joindre les deux bouts, une couche de la population qui gagne en ampleur, se reconnaîtra dans ces quelques pages, de la honte de ne pas être en mesure de payer quelque chose au mensonge pour couvrir le manque d’argent en passant par les conditions de travail scandaleuses. En bref, voilà une lecture idéale pour les longs mois d’hiver.

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