ÉNERGIE: Nos intérêts ne sont pas les leurs

Un sommet européen vient de se tenir à Bruxelles. Au menu: la politique énergétique. Le consommateur, à l’heure des grandes manoeuvres spéculatives, y trouvera t-il- son compte? On peut en douter…

Xavier Dupret

Energie: du monopole public au monopole privé…

La construction européenne, basée sur le libre-échange, a entrepris, dès 2002, le démantèlement des monopoles nationaux en vigueur dans les Etats-Membres. Le projet européen de libéralisation des marchés de l’électricité et du gaz poursuit plusieurs objectifs: favoriser l’émergence d’un marché européen de l’énergie unifié, accroître la compétitivité des entreprises européennes du secteur de l’énergie face à leurs concurrents internationaux, faire profiter les consommateurs (professionnels en particulier) des baisses de prix sur le marché de l’énergie entraînées par la restauration de la libre concurrence. On fera remarquer, dès le départ, que la baisse des tarifs concerne en priorité les gros consommateurs (les entreprises).

En laissant les coudées franches à de grands groupes, on risquait de favoriser l’apparition de monopoles privés au niveau européen, non sans conséquences d’ailleurs. « Les résultats observés sur les marchés européens sont mitigés au regard des objectifs initiaux : forte volatilité des prix de l’électricité sur plusieurs marchés européens, recrudescence croissante des incidents » (1.) Ce genre de remarque permet de voir où le bât blesse. C’est qu’avant la libéralisation, l’existence de monopoles trouvait son explication dans les investissements nécessaires à la mise en oeuvre de la production d’énergie. Au total, la libéralisation aura juste permis un transfert de propriété du public vers le privé. A la clé: une perte de contrôle démocratique sur le secteur de l’énergie.

Electrabel: la poule aux oeufs d’or

La libéralisation a eu très vite ses effets sur le marché intérieur belge. C’est ainsi qu’Electrabel est passé sous le contrôle de Suez pour en devenir le pôle d’électricité. Le passage a été progressif. Au départ, Suez, groupe de service aux collectivités et spécialisé dans l’énergie, détenait déjà 50,1% des parts de la société belge. En août 2005, les actionnaires minoritaires ont été dégagés et Electrabel est passé sous le contrôle total de Suez. Cette stratégie de consolidation répondait à un souci de protection. Enel (Ente Nazionale per l’Energia Elettrica), la société nationale italienne d’électricité, principal producteur d’énergie électrique du pays, a fait connaître son souhait de se porter acquéreur d’Electrabel qui est très rentable puisque ses centrales sont amorties depuis longtemps.

Evidemment, pour capter Electrabel, il fallait passer par Suez qui n’a jamais voulu lâcher la poule aux oeufs d’or. Résultat des courses : après avoir fait l’objet d’une tentative de rachat par ENEL, Suez a décidé de fusionner avec Gaz de France (GDF). Suez restera français, Electrabel aussi.

De l’eau dans le gaz en Belgique

Outre l’électricité, Suez est également, en Belgique, à la tête du principal réseau de stockage et de distribution de gaz, via ses filiales Fluxys et Distrigaz. Le projet de fusion avec GDF -qui vend du gaz en direct en Belgique et qui y est aussi le second producteur d’électricité via sa filiale SPE (qu’il contrôle avec le britannique Centrica) – aboutirait, donc, à la création d’un monopole énergétique. Evidemment, les garanties pour le consommateur sont des plus minces. L’Europe du libre marché n’aura pas eu pour effet, chez nous, d’accroître la concurrence, bien au contraire. Et à quelques mois des communales, ça fait désordre. D’où l’intervention du Premier Ministre. Les pistes avancées sont soit une cession d’actifs en Belgique par GDF et Suez soit le démantèlement pur et simple d’Electrabel. La solution préconisée par les libéraux flamands – et les écologistes francophones ! – tendrait plutôt à casser Electrabel avec toutes les conséquences qu’on peut imaginer. Car si le secteur belge de l’électricité devait se caractériser par un grand nombre d’opérateurs individuels, le principe de concurrence reposerait aussi par une renégociation des acquis des travailleurs du secteur, compression des coûts oblige. Pour rappel, le bénéfice d’Electrabel a grimpé de 60,4% l’année dernière. Décidément, cette Europe n’est pas la nôtre…

(1) 10ème session du cycle de conférences de politique énergétique organisé conjointement par le Commissariat général au Plan, Paris, février 2004

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