Venezuela: la crise s’intensifie

L’économie du Venezuela fait face à une inflation et une spéculation hors de contrôle ainsi qu’à d’importantes pénuries de nourriture. En même temps, les forces capitalistes gagnent en audace à cause des divisions croissantes au sein du gouvernement. Le vide à la tête du gouvernement vénézuélien depuis la mort d’Hugo Chávez, associé à l’intensification de la crise économique globale et aux limites des réformes gouvernementales, a contribué à exposer les faiblesses et les contradictions de la fameuse  »révolution bolivarienne ». Cela marque une nouvelle étape dans le développement de la lutte des classes.

Johan Rivas, Socialismo Revolucionario (CIO-Venezuela)

Dans le même temps, l’absence d’une organisation conscientisée de la classe ouvrière et des pauvres, opposée au capitalisme, à la corruption et à la bureaucratisation, a permis aux forces de droite de lancer une nouvelle offensive politique et économique dans le but de reprendre le flambeau.

Depuis la mort de Chávez au mois de mars, les contradictions du chavisme se sont accentuées, ce qui a conduit à des clivages et à des divisions entre les secteurs civil et militaire pour le contrôle du PSUV (Partido Socialista Unido de Venezuela) au pouvoir et du gouvernement. Cela a conduit à une crise politique du PSUV, qui se reflète dans le choix des candidats pour les élections municipales qui auront lieu le 8 décembre.

L’imposition de candidats par la direction du parti sans prendre en considération la base et les représentants des communautés a provoqué des fissures. Dans certaines régions, des membres en colère de la base du PSUV, qui se réclament du  »chavisme rebelle », ont présenté des candidats indépendants sans consulter la direction du parti. Diosdado Cabello, vice-président du PSUV et président du parlement, a qualifié ceux qui ne  »respectent pas » les décisions du parti de traîtres et de contre-révolutionnaires, ajoutant qu’aucun candidat non-membre du PSUV ne pourrait être digne de l’héritage de Chávez.

Dans un contexte qualifié de  »sabotage » et de  »guerre économique » par le gouvernement, la bourgeoisie est accusée de conspiration, alors qu’en même temps, le gouvernement tente de former des alliances avec des capitalistes qu’il qualifie de  »nationaux » et de  »démocratiques ».

Le successeur de Chávez, Nicolás Maduro, n’a pas appelé à un rassemblement des travailleurs, des pauvres et des mouvements sociaux afin de développer un plan politique révolutionnaire pour affronter le capitalisme (et la violence des casseurs réactionnaires qu’il encourage) après son élection le 14 avril. Au lieu de cela, il a rencontré de grands patrons et des représentants de la bourgeoisie, dont la famille Mendoza, propriétaire de l’entreprise d’alimentation et de boissons POLAR, le plus gros monopole du pays. Le gouvernement leur a offert de grosses concessions pour qu’ils puissent promouvoir leurs affaires, notamment en les autorisant à ignorer d’importantes obligations concernant les droits des travailleurs et en leur octroyant des conditions de financement plus favorables, avec comme résultat une forte hausse du prix des aliments de base et une dévaluation de la monnaie nationale de 46%.

Les patrons ne se sont pas montrés satisfaits et font maintenant pression pour plus de flexibilité sur le marché des changes et pour une dévaluation accélérée, ce que le gouvernement envisage. En même temps, ils exigent un affaiblissement du droit du travail, qui représente 20 à 30% du coût de la production. Selon les patrons, les droits des travailleurs sont l’un des facteurs derrière les pénuries dans l’économie.

Inflation et spéculation

Malheureusement, les principaux porte-paroles des fédérations syndicales comme la CBST (Central Bolivariana Socialista de Trabajadores) et l’UNETE (Unión Nacional de Trabajadores de Venezuela) ont aussi déclaré que l’absentéisme des employés est un facteur du déclin de la production. Ils  »modèrent » cependant leurs propos en disant que les travailleurs ont besoin de davantage de stimulation pour contribuer davantage au travail de leur entreprise.

Bien sûr, il y a d’autres raisons à la baisse de la production. Par exemple, dans la région de Cordero dans l’Etat de Lara, l’entreprise de poulet SOUTO a fait banqueroute et a été fermée de manière frauduleuse, un coup orchestré par ses propriétaires. Puis, en août, l’entreprise toute entière et ses nombreuses usines ont fermé, ce qui a contribué à la pénurie d’aujourd’hui. Les travailleurs de SOUTO ont organisé une résistance héroïque pendant plusieurs mois, exigeant la nationalisation des usines sous contrôle des travailleurs et de la communauté. La réaction du gouvernement a été d’augmenter les importations de nourriture, y compris de poulet. Il existe bien d’autres exemples.

La bureaucratie syndicale semble préférer s’allier de manière opportuniste à l’opposition au gouvernement plutôt que de lutter pour une action unie pour la défense des droits des travailleurs et une alternative révolutionnaire à la droitisation du gouvernement et au sabotage orchestré par la droite.

Les mesures du gouvernement empirent la situation économique. La rareté des denrées atteint des niveaux historiques, généralement 20%, mais parfois 50% et même 100% pour certains produits comme le lait, le poulet, l’huile,… Les tentatives des bureaucrates de contrôler les prix ont échoué et les patrons continuent à spéculer. L’inflation atteint en moyenne 40%, et s’élève à 70% en ce qui concerne la nourriture. Les prix élevés du pétrole dans le monde, qui ont dépassé les 100$ depuis des années, n’ont pas suffi à permettre au gouvernement de maintenir ses politiques sociales, qui sont de plus en plus sapées au profit des concessions accordées à certains patrons (qui tentent malgré tout de faire tomber le gouvernement).

Le gouvernement connaît une sérieuse crise de liquidités, principalement causée par des problèmes de production dans l’entreprise pétrolière nationale PDVA et à la CVG (secteur national du métal et des mines), qui représentent 97% du PIB. Phénomène accru par les fuites massives de capitaux causes par les capitalistes et les mafias.

Malgré des recettes de 900 milliards de dollars ces 14 dernières années, le gouvernement est dans un déficit profond qui ne fait qu’empirer. La Chine est devenue son principal créancier. Mais le régime chinois s’inquiète de l’instabilité du Venezuela et de ses demandes constantes pour plus de crédit. Maduro s’est ainsi rendu en Chine au mois d’octobre pour demander un allongement de crédit. Le régime chinois investit dans la technologie, la construction, les télécommunications et l’automobile, en plus de chercher à s’approprier d’énormes espaces cultivables. Cela peut sembler paradoxal pour un pays qui connaît une énorme pénurie alimentaire.

Il s’agit d’une politique très risquée. Malgré sa croissance record des dernières années, la Chine n’est pas immunisée à la crise du capitalisme. Le ralentissement de son économie et l’effondrement économique du Venezuela, combinés à une chute généralisée des prix du pétrole, mettraient le pays dans une situation critique. Cela élèverait aussi l’intensité de la lutte des classes.

Sous prétexte de combattre la corruption et la fuite de capitaux, le gouvernement s’en prend aux gens ordinaires qui, pour une raison ou une autre, souvent pour cause de nécessité absolue, se retrouvent enrôlés dans des réseaux criminels qui achètent de la monnaie étrangère à bas prix et la revendent à des prix bien plus élevés sur le marché noir. Les dirigeants de ces réseaux s’en sortent pour la plupart sans problèmes.

La domination du marché noir des devises étrangle l’économie, avec une spéculation massive sur les prix. Par exemple, les prix des vols en avion ont augmenté de 400%. Les appareils électroniques et les téléphones qui coûtent généralement entre 100 et 500$ à l’étranger coûtent entre 1000 et 5000$ au Venezuela ! Le gouvernement a pris de nouvelles mesures via l’agence nationale de contrôle des devises, la DADIVI, pour limiter la quantité de devises étrangères auxquelles les Vénézuéliens peuvent avoir accès à l’étranger. Mais cela ne représente que le sommet de l’iceberg, environ 10% des fuites de capitaux seulement.

Inégalités croissantes

Rien que l’année dernière, 23 milliards de dollars ont été donnés au secteur privé pour compenser les  »coûts de l’importation ». Cet argent a disparu dans des entreprises fantômes créées pour faciliter la corruption, avec l’implication d’éléments de la bureaucratie d’Etat. Le gouvernement tente d’éviter ce sujet qui a provoqué le mécontentement parmi la base des chavistes, qui s’est mise à se demander si la croisade contre la corruption était vraiment sérieuse. Le gouvernement tente de cacher le fait que la bureaucratie décide de tout sans réelle participation des travailleurs, et que les taux élevés de corruption au sein de l’Etat ont provoqué et encouragé cette crise.

Ces 14 dernières années, le gouvernement a gardé intactes les principales forteresses économiques des capitalistes, qui continuent à maintenir et à augmenter leurs profits. 70% du PIB reste concentré entre les mains de 1% de la population. L’année dernière, 97% des revenus des banques du pays venaient de la PDVSA. Les 1% les plus riches contribuent donc à moins de 3% ! 60% de cet argent a été dépensé en importations, en majorité de nourriture et de biens manufacturés, en grande partie à destination du secteur privé. La classe parasite bénéficie donc de la plus grande partie de l’argent du pétrole et du PIB.

L’ALEM (Association Sud-Américaine des Economistes Marxistes) estime qu’au Venezuela, il y a 423 « unités » de production agricole. 2% d’entre elles possèdent 17 millions d’hectares, 55% des terres. Depuis 1999, l’Etat a augmenté les vides juridiques pour les grandes entreprises. Les multinationales basées à l’étranger ne paient aucune taxe sur la production vénézuélienne, juste celles de leur pays « d’origine ». Cette nouvelle législation a été dénoncée par Luis Brito Garcia, membre de gauche bien connu du Conseil Fédéral. Il dit que l’Etat a perdu 17 milliards de $ en taxes depuis 2009 à cause de cette législation. Cette réduction de taxe doit clairement être abolie, tout comme les taxes injustes telles que la TVA.

Malgré le fait que la radicalisation des masses a poussé Chávez à nationaliser des entreprises et à exproprier de grands propriétaires terriens, faisant ainsi trembler le capitalisme et l’impérialisme, ces mêmes capitalistes ont maintenu et même augmenté leurs bénéfices sous Chávez et Maduro. Par exemple, le secteur banquier et financier privé continue à battre des records de profits, même en période de récession.

De plus, malgré des conflits diplomatiques et des tentatives de nouvelles alliances avec la Russie et la Chine, l’économie vénézuélienne reste très dépendante des Etats-Unis, qui restent son principal partenaire dans des secteurs-clés. Le Département d’Etat des Etats-Unis a ainsi résumé la situation :  »Les tensions diplomatiques entre le gouvernement du Venezuela et l’administration des Etats-Unis n’affectent pas et n’ont rien à voir avec les relations commerciales fructueuses entre les deux pays. »

Les victoires du passé menacées

La classe ouvrière fait face à de nombreux défis majeurs au Venezuela, et pas qu’à celui de remplacer le poids politique de Chávez. Le défi principal est de continuer avec le processus qui a posé la question d’une révolution socialiste pour mettre fin à la pauvreté dans l’esprit de larges couches des travailleurs et des pauvres.

Cependant, l’absence d’une organisation de la base des travailleurs et des pauvres, prête à jouer un rôle-clé, fait que le processus restera faible et limité à des réformes démocratiques et populistes dans le cadre du capitalisme. C’est le facteur principal qui explique comment un processus qui est devenu une référence si forte pour ceux en lutte contre le capitalisme à travers le monde a été incapable de se défaire définitivement du système.

La crise politique et économique actuelle menace non seulement d’en finir avec les acquis de la révolution, mais augure aussi une défaite politique. Cela pourrait être utilisé par la classe dominante, comme c’est déjà en partie le cas, pour argumenter que le « socialisme » a échoué, qu’il s’agit d’un modèle obsolète et que l’on ne peut que chercher à réformer le capitalisme et à atteindre la paix sociale entre les classes. Rien ne pourrait être plus faux, au vu de la réalité dans laquelle nous vivons à l’échelle globale.

Le gouvernement a parlé de sabotage et de guerre économique contre lui durant toute la période actuelle. Il l’a répété à l’occasion de la 40ème commémoration du coup d’Etat militaire contre Salvador Allende au Chili en 1973. Il a tenté de faire une référence historique de manière mécanique pour convaincre le peuple que la situation actuelle n’a rien à voir avec ses échecs politiques mais ne représente qu’une autre tentative du capitalisme et de l’impérialisme d’en finir avec la révolution. Il s’agit clairement de manipulation visant à dissimuler le fait que le gouvernement s’est engagé dans une politique de conciliation de classe, trahissant les aspirations des travailleurs qui ont soutenu Chávez et l’idée d’une révolution socialiste.

Le rôle de l’armée

L’échec de la politique économique du gouvernement et ses affaires avec les capitalistes ont fait trembler sa base sociale. Les élections du 14 avril ont montré que le chavisme a perdu 2 millions de votes en moins de 5 mois. Il y a un mécontentement croissant parmi la base du chavisme et les travailleurs qui, malgré la confusion et le manque de direction politique, conserve ses aspirations révolutionnaires et de changement de régime. Cela rend impossible pour l’aile droite et la bureaucratie chaviste de contrôler la situation à 100% ou de prévenir une nouvelle explosion révolutionnaire.

Dans une telle situation, l’armée joue souvent un rôle d’arbitre et intervient pour préserver la stabilité du système. Cependant, il s’agit aussi d’un sujet complexe et il existe de nombreuses contradictions politiques au sein même de l’armée. Au Venezuela, certains éléments de l’armée sont d’origine prolétaire, contrairement à de nombreux autres pays de la région, et Chávez avait introduit l’idée du socialisme parmi les troupes, avec cependant une vision nationaliste.

Même si ces idées socialistes sont abstraites et confuses, elles ouvrent la possibilité de divisions et de confrontations au sein des forces armées. Malgré tout, la majorité des militaires sont décidés à protéger le système, et ils pourraient jouer un rôle-clé.

Maduro a aussi exercé plus de pouvoir sur l’armé, bien plus que Chávez. De nombreux départements-clés de l’Etat sont dirigés directement ou non par des personnalités militaires, dans le but de pacifier une partie du mécontentement qui s’élève dans l’armée. Le gouvernement a annoncé des augmentations de salaires pour le personnel militaire, et de nouveaux crédits pour acheter des armes et de l’équipement et financer des réparations. Rien de nouveau ; Chávez avait adopté une approche similaire. La différence, c’est que Chávez avait suffisamment de charisme et d’autorité pour être capable d’équilibrer la balance entre l’armée et les secteurs civils. Il profitait aussi d’une meilleure situation économique.

Les contradictions croissantes au sein du chavisme, la crise politique et économique, et l’intensification des divisions parmi les partis qui soutiennent le gouvernement, particulièrement le PSUV, ouvrent la voie à une réorganisation de la gauche et de la base qui lutte pour une radicalisation et un approfondissement de la révolution bolivarienne.

Dans la prochaine période, nous assisterons à une montée des conflits sociaux, comme c’est déjà le cas pour les travailleurs du métal de SIDOR et pour d’autres travailleurs. La nécessité d’une direction bâtie sur les luttes des travailleurs et des pauvres reste un facteur décisif. Cela représente le principal défi pour la gauche révolutionnaire.

D’un autre côté, vu la balance actuelle des forces, il ne serait pas surprenant que la bourgeoisie reprenne tout le pouvoir, soit via une alliance de droite, MUD (Mesa de Unidad Democratica), ou à travers une contre-révolution au sein du chavisme même. Cependant, ce serait une erreur de tirer des conclusions défaitistes, car les contradictions du capitalisme au Venezuela atteignent leurs limites.

A l’échelle mondiale, la crise du capitalisme se poursuit. Le changement ne viendra pas tout seul, mais, dans le contexte d’une nouvelle période de la lutte des classes, tout gouvernement qui opère sur une base capitaliste connaîtra la possibilité d’explosions révolutionnaires des travailleurs et des pauvres.

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